Willy Eisenschitz

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Willy Eisenschitz (* 27 octobre 1889 à Vienne, † 8 juillet 1974 à Paris) est un peintre autrichien, naturalisé français, ayant vécu et travaillé la majorité de sa vie en France. Grand admirateur de Cézanne, il a connu un large succès en Europe avec ses toiles représentant le Sud de la France. Les paysages de la Provence et de la Côte d’Azur, qu’il aimait à qualifier de « Tyrol auprès de la mer[1] », ont été une source d’inspiration pour ses aquarelles, ses pastels, dessins et huiles.

Biographie

Fils de l’avocat Emil Eisenschitz et de son épouse Félicie Spitzer, Willy Eisenschitz naît et grandit à Vienne au sein d’une famille juive, libérale et aisée. Sa passion pour le dessin se manifeste dès l’enfance et il souhaite embrasser une carrière artistique. En 1911, alors qu’il est admis à l’Académie des Beaux-arts de Vienne, Eisenschitz est fasciné par les impressionnistes français et les courants artistiques qui se développent à Paris. Peu intéressé par l’enseignement à l’Académie des Beaux-Arts qu’il juge trop tourné vers le passé, il quitte Vienne pour Paris, où il séjourne chez une sœur de sa tante, Louise Neuberger, épouse du philosophe Henri Bergson[2]. Il poursuit sa formation entre 1912 et 1914 au sein de l’Académie de la Grande Chaumière[3]. C’est là qu’il rencontre la peintre Claire Bertrand qu’il épouse le 22 juin 1914 à Paris. Claire Bertrand est issue d’une famille d’intellectuels, fille du géologue Marcel Bertrand[4] et de la pianiste Mathilde Mascart. Eisenschitz fréquente donc à Paris un milieu intellectuel, scientifique et culturel qui nourrit sa formation artistique.

Lorsque la Première Guerre mondiale éclate, Willy Eisenschitz est arrêté alors qu’il tente de rentrer en Autriche. Considéré comme ressortissant d'un pays ennemi, il est interné à Angers. Sa femme, Claire Bertrand, peut le suivre à Angers, où naissent leurs deux enfants Évelyne en 1915 et David en 1916. Durant son internement, il dessine et peint son entourage et sa vie quotidienne. Eisenschitz contracte en 1917 une infection pulmonaire, il est alors autorisé à quitter Angers avec sa famille pour la Suisse, près de Lucerne. En 1920, la famille Eisenschitz regagne Paris et s’installe rue de Tournon.

Découverte de la Provence

En 1921, le peintre découvre la Provence, la Côte d’Azur et l’Italie au cours d’un voyage. La lumière, les couleurs et les paysages méditerranéens le marquent durablement, comme en témoignent les nombreux tableaux de paysages qu’il peint à la suite de ce voyage. Eisenschitz devient membre en 1921 de la Société nationale des Beaux-arts. Au début de l’année 1922, il est invité à exposer au Salon des Indépendants, où ses œuvres sont bien reçues. Ses fréquentations du milieu intellectuel parisien ont donné lieu à cette époque à de nombreux portraits comme ceux du géologue Pierre Termier[5] – discipline de son beau-père Marcel Bertrand –, du philosophe Henri Bergson ou de l’écrivain Pierre-Jean Jouve[6], avec lequel il se lie d’amitié et voyage en Italie et en Suisse à plusieurs reprises.

Durant les années 1920, Willy Eisenschitz abandonne peu à peu les références à l’impressionnisme pour adopter un style plus expressif, aux couleurs vives et proche de la peinture de Cézanne. En janvier 1923, il expose chez Berthe Weill[7] plusieurs de ses œuvres réalisées durant son séjour italien. Il s’agit de sa première exposition personnelle. Dans le catalogue d’exposition, l’historien de l’art Jean-Louis Vaudoyer[8] souligne dans sa préface que le peintre a « un œil à la fraîcheur sauvage[9] ». Willy Eisenschitz et Claire Bertrand sont exposés ensemble dans la galerie Weill en 1924, l’exposition connaît à nouveau le succès. Il participe ensuite annuellement aux expositions thématiques qu’organise Berthe Weill dans sa galerie durant l’entre-deux-guerres.

À la fin de l’année 1924, la santé de Willy Eisenschitz se détériore, forçant la famille à quitter Paris pour un climat plus clément. Willy Eisenschitz, Claire Bertrand et leurs enfants séjournent alors dans la Drôme provençale. Après sa guérison, la famille décide de rester et s’établit en 1925 à Dieulefit. Eisenschitz continue d’être régulièrement exposé à Paris, notamment dans la galerie de Berthe Weill, et la famille séjourne fréquemment dans leur résidence rue de Tournon. Considéré comme l’un des meilleurs peintres paysagistes par le critique Louis Leon-Martin[10] qui écrit souvent sur son œuvre dans le journal Paris-Soir, Willy Eisenschitz expose dans de nombreuses galeries et salons comme le Salon du Franc en 1926 et le Salon des Tuileries (1926, 1930) ; le Salon de l’Escalier en 1927 ; le Salon des Indépendants en 1928, le Salon d’art français indépendant (1930), ainsi que le Salon d’automne (1925, 1926, 1927 1928, 1929). En 1926, l’État français acquiert pour la première fois l’un de ses tableaux, Paysage, pour l’exposer au musée du Jeu de Paume[11], la critique parisienne lui est très favorable.

En 1927, la famille Eisenschitz quitte la Drôme pour s’installer à l’ancien couvent des Minimes à La-Valette-du-Var, non loin de là où réside le peintre Pierre Deval[12] avec qui Eisenschitz tisse une profonde amitié. Eisenschitz peint alors de très nombreux paysages provençaux, en particulier le Mont Coudon. À la fin des années 1920, Claire Bertrand et Willy Eisenschitz découvrent de nouveaux pays : ils voyagent en Irlande, au Maroc et en 1929 en Espagne. L’année 1931 marque un tournant pour le peintre ; atteint d’arthrite à son bras droit et craignant d’être infirme à vie, il peint désormais de son bras gauche. Il réalise alors de nombreuses aquarelles, dont il continue la production même après avoir retrouvé l’usage de sa main droite.

Années entre Paris et la Côte d'Azur

En 1933, il est exposé à la Sécession viennoise et il continue d’entretenir à Paris des contacts avec d’autres artistes émigrés autrichiens parmi lesquels Walter Bondy[13], Josef Floch, Georg Merkel et Viktor Tischler, tout en continuant de résider en Provence. Dans le Var, Eisenschitz fréquente les artistes et écrivains expatriés ou réfugiés à Sanary-sur-Mer, dont l’écrivain britannique Aldous Huxley[14], avec qui il se lie d’amitié. Huxley apporte son soutien à l’organisation d’une exposition de ses aquarelles à Londres en 1934, dont il signe la préface du catalogue d’exposition[15] et fait ainsi connaître le travail d’Eisenschitz au Royaume-Uni. Huxley contribue à ce que l’exposition se tienne ensuite à New York en 1935.

À Toulon, ses œuvres sont présentées dans des galeries locales, comme celle de Bruno Bassano[16], aux côtés de celles d’autres artistes locaux comme José Mange[17], Eugène Baboulène[18], Simon Segal[19] ou Henri Olive-Tamari[20]. Eisenschitz est pleinement intégré et reconnu sur la scène artistique provençale : en 1935, les éditions suisses La Guilde du Libre font appel à lui pour illustrer Les Vraies richesses, un essai de Jean Giono[21], rencontré à Manosque. Cette même année, il obtient la nationalité française.

Le succès parisien ne se dément pas, plusieurs de ses œuvres entrent au musée du Luxembourg. En 1937, Eisenschitz participe à l’Exposition Universelle de 1937, où deux de ses aquarelles sont exposées au sein du pavillon de la Côte d’Azur : Village Varois et Paysage avec village. Il gagne en popularité à l’international à la fin des années 1930 avec des expositions en Amérique du Sud et aux États-Unis.

Sous le régime de Vichy, Willy Eisenschitz est confronté à des difficultés avec ses origines autrichiennes et son nom juif. S’il ne peut plus voyager, il continue toutefois son activité artistique en Provence jusqu’en 1943. Alors que les troupes allemandes sont désormais en Provence, Eisenschitz retourne avec sa famille à Dieulefit, qui accueille déjà une communauté d’artistes et d’écrivains réfugiés, notamment juifs. Il adopte alors le nom de « Viliers ». Son fils David, engagé dans la résistance, est déporté en 1944 au camp de concentration de Neuengamme à Hambourg, où il est assassiné. Cette disparition marque durablement la famille Eisenschitz.

Période d'après-guerre

Affiche de la rétrospective à Linz (1999)

Après la guerre, les galeries parisiennes exposent à nouveau ses œuvres et deux de ses tableaux, Paysage de Dieulefit et Les roseaux sont exposés lors du Salon d’automne à Vienne en 1946. En 1949, les œuvres de Willy Eisenschitz, Claire Bertrand et de leur fille Évelyne Marc[22] sont présentées à la galerie Allard durant l’exposition Une famille d’artistes. En 1957, le musée d’art de Toulon organise une première rétrospective de son œuvre, ancrant encore davantage son statut d’artiste local. L’après-guerre marque aussi le retour des voyages pour le couple Bertrand-Eisenschitz : en 1952, ils découvrent l’île d’Ibiza où ils séjournent à de nombreuses reprises les années suivantes. En 1959, un voyage permet à Eisenschitz de découvrir le Soudan lors d’un séjour de plusieurs semaines, durant lequel il produit un grand nombre de dessins, d’aquarelles, de pastels et de tableaux. Dans les années 1960, Claire Bertrand et Willy Eisenschitz achètent un cabanon dans les Alpilles pour y travailler et vont régulièrement en Camargue. En 1969, son épouse Claire Bertrand décède et Willy Eisenschitz regagne Paris. Sa notoriété ne faiblit pas : entre 1972 et 1974, ses œuvres sont exposées au Japon. Atteint de la maladie de Parkinson qui entrave son art, Eisenschitz continue toutefois jusqu’à la fin de sa vie à produire de nombreuses aquarelles et pastels. Il décède le 8 juillet 1974 à Paris.

Plusieurs rétrospectives ont été organisées en hommage à son œuvre : en 1977, le musée d’art de Toulon propose une rétrospective conjointe de Claire Bertrand et Willy Eisenschitz ; en 1999, la Neue Galerie de la ville de Linz lui consacre également une exposition ; en 2001, le musée d’art de Toulon organise une troisième rétrospective. Le marchand d’art autrichien Josef Schütz organise en 2011 une exposition des œuvres de Willy Eisenschitz au National Art Museum of China[23]. Ses œuvres sont aujourd’hui exposées dans les collections permanentes de nombreux musées en France, en Autriche, au Royaume-Uni et aux États-Unis.

Références et liens externes

Bibliographie

  • Denvir, Bernard : Willy Eisenschitz-Colour and Form in Twentieth-Century Painting. Londres/New York : I.B. Tauris Publishers 2005.
  • Giono, Jean : Les Vraies richesses, avec des illustrations de Willy Eisenschitz. Lausanne : La Guilde du livre 1936.
  • Huxley, Aldous, Vorwort zum Ausstellungskatalog der Adams Brothers Gallery, Exhibition of Watercolours by W. Eisenschitz, London 1934.
  • Keller, Thomas : Dieulefit - lieu de mémoire franco-allemand en voie d’effacement ou en veille ?. In : Cahiers d’Études Germaniques, No 53, 2007, p. 157-178. https://www.persee.fr/doc/cetge_0751-4239_2007_num_53_2_1945
  • Musée des Beaux-arts et d’Histoire naturelle de Valence : Les artistes réfugiés à Dieulefit pendant la Seconde Guerre mondiale : Claire Bertrand, Willy Eisenschitz, Pierre Guastalla, Robert Lapujade, Etienne-Martin, Wols. Catalogue d’exposition. Valence : Musée de Valence 1991.
  • Olivares Díaz, Elisabeth, Hirschmann, Roman : Österreichische Malerei der Zwischenkriegszeit: die Sammlung der Österreichischen Nationalbank. Vienne : Nationalbank 2005.
  • Perreau, Jean : Willy Eisenschitz, monographie et catalogue raisonné, Autriche : Éditions Schütz 1999.
  • Perreau, Jean : « L’expressionnisme modéré de Willy Eisenschitz (1889-1974) ». In : Bulletin de l’Académie du Var, Toulon, Tome VIII, 2008.
  • Vrinat, Robert, Cailler, Pierre : « Willy Eisenschitz 1889 ». In Les cahiers d'art-documents, n°200, 1963.

Ressources internet

http://www.willy-eisenschitz.com/

https://willyeisenschitz.at/

Auteur

Solène Scherer avec l'aide de Délie Duparc

Mise en ligne : 21/01/2025