L’Institut français d’Innsbruck

De decaf-fr
L’Institut Français d’Innsbruck dans la Karl-Kapferer-Straße.

Le lundi 8 juillet 1946 la France ouvre un Institut français à Innsbruck, Karl-Kapfererstrasse[1], deux ans avant la réouverture de celui de Vienne qui avait été créé en 1928 et fermé pendant la guerre. L’Institut d’Innsbruck, avec compétence pour le Tyrol et le Vorarlberg, est inauguré par l’Ambassadeur Louis de Monicault, représentant politique de la République française en Autriche, par le Général Béthouart, responsable des troupes françaises qui occupent le Tyrol et le Vorarlberg, en présence des administrateurs généraux, le préfet Pierre Voizard, délégué général, chef de la mission française de Contrôle en Autriche[2] et Eugène Susini qui présente les responsables de l’Institut, Marcel Decombis[3] (qui restera jusqu’en 1948) et Maurice Besset. Mention spéciale est faite à l’organisation d’une exposition où sont présentées « notamment » des œuvres de Henri Matisse[4], Pierre Bonnard[5], Raoul Dufy[6], Suzanne Valadon[7] et Maurice Denis[8].[9]

Les premiers objectifs sous Maurice Besset

La salle d'exposition de l’Institut Français d’Innsbruck.

Cette inauguration officielle, devant toutes les autorités tyroliennes, montre l’importance accordée à l’Institut par la puissance occupante. Sa mission est double : créer des liens avec l’Université d’Innsbruck, collaborant à sa réouverture, et développer un projet « culturel », en particulier en direction de la jeunesse et des artistes. En quelques mois, les activités artistiques deviennent prédominantes. Les raisons apparaissent vite : elles servent à construire une image positive de la France. L’Autriche, « pays ami » selon la formule rapportée à chaque rencontre officielle par le général Béthouart, est un partenaire de choix pour cet objectif. Maurice Besset, directeur à partir de 1948, est l’artisan de cette politique. Prenant la tête de l’Institut français, il organise chaque année quatre expositions, invite des écrivains célèbres comme Raymond Queneau[10], Pierre Emmanuel[11] et Jean Cocteau[12] qui donne une conférence de presse le 2 mai 1952, des personnalités intellectuelles comme Gabriel Marcel[13] ou Raymond Aron[14], ou venues du monde artistique comme Tristan Tzara[15] et Le Corbusier, ainsi que de très nombreux représentants issus du monde de la musique tels Ginette Neveu[16] ou Alfred Cortot[17], déjà venu plusieurs fois avant la guerre. Des cinéastes comme Marcel Carné[18] et Jacques Becker[19] accompagnent leurs films.[20] Maurice Besset organise également des camps de jeunesse et les « Hochschulwochen » à Pertisau am Achensee, où André Gide donne une conférence, et à St. Christoph/Arlberg. Il instaure des liens avec de nombreux artistes autrichiens qu’il fait venir en France pour la première fois. Il y a entre autres Gerhild Diesner, Paul Flora, Wilfried Kirschl, Franz Lettner, Max Weiler et le photographe Rudolf Purner dont les photos de son séjour à Paris seront remontrées à Innsbruck pour les 50 ans de l’Institut. Maurice Besset quitte Innsbruck en 1958, ayant posé les bases d’une coopération étroite menée avec ses collaborateurs choisis localement, notamment l’historienne de l’art, poétesse et traductrice Lilly von Sauter et Renate Lichtfuss qui accompagnera les directeurs successifs jusqu’en 1988. Succéderont à Maurice Besset au poste de directeur François Léger (1958–1964), Pierre Würms (1964–1968), François Fillard (1968–1973), Jean-José Daugas (1973–1978), Francis Olivier (1978–1981), Dominique Paillarse (1981–1985), Jean-Luc Bredel (1985–1986), Line Sourbier-Pinter (1987–1991), Jean-Marc Terrasse (1991–1997), Catherine Roth (1997–2000). Ces directeurs sont germanistes, enseignants universitaires et/ou issus du monde culturel français au sein duquel ils retourneront après leur passage à Innsbruck. Leur travail dépendra à la fois des instructions ministérielles et des conclusions qu’ils en tirent selon leur tempérament.

Jusqu’en 1955 et la fin de l’Occupation française, les conditions matérielles sont largement facilitées par l’intendance militaire qui transporte invités et œuvres des deux côtés de la frontière. À cette date, l’Institut s’installe Rennweg, aux numéros 17 et 19, sur les bords de l’Inn ; en même temps, le Consulat occupe les bâtiments jumeaux du 21 et 23. Ces quatre maisons, offertes à la France par la région Tyrol (Land Tirol), avaient abrité des troupes allemandes (après l’Anschluss) puis françaises depuis 1945. L’ensemble forme alors une sorte de « petite France », selon le mot de M. Burki qui fut le dernier consul. L’Institut, qui a de la place, propose de nombreux cours de français et installe une imposante bibliothèque qui comportera jusqu’à 10.000 livres et revues. Les relations avec les autorités tyroliennes sont nombreuses et cordiales ; l’Institut est vécu localement comme une institution officielle, le public est fidèle. La presse suit les événements qui s’y déroulent et les directeurs sont des personnalités reconnues, présentes à toutes les inaugurations culturelles, universitaires et politiques au Tyrol et au Vorarlberg. Depuis 1948 et pendant une dizaine d’années, l’Institut est dans une situation quasi-hégémonique en tant que vitrine culturelle internationale. Par exemple, le seul cinéma existant à Innsbruck est celui de l’Institut. Petit à petit, après la signature du Traité d’État de 1955, comme le fait remarquer Maurice Besset, la conjoncture n’est plus la même, le redressement économique est en cours et « les règles du professionnalisme s’imposent »[21].

Après la fin de l’Occupation française

Après son départ, au cours des années 60 et 70, les enjeux de l’Institut français d’Innsbruck évoluent dans ce nouveau contexte avec d’autres acteurs culturels qui s’installent sur la scène tyrolienne. Les conditions financières héritées de la période d’occupation sont encore très bonnes. Le personnel local est formé de cinq à sept personnes (concierge, secrétaires, assistants, comptable, bibliothécaire), la France envoie deux « détachés » : un directeur général et un secrétaire général qui fait office de directeur des cours. Un développement semblable a lieu dans les instituts en Allemagne. Il s’agit de répondre aux consignes du Ministère des Affaires étrangères, dont l’Ambassadeur et le Conseiller culturel à Vienne sont garants, en participant à un projet fondé sur « l’identité de la France » et sur la réconciliation franco-allemande (la spécificité autrichienne n’est pas abordée). Ce projet repose sur quatre axes (ou « piliers », selon la terminologie officielle). À savoir : 1. développer la langue française, 2. créer ou fortifier les liens avec l’Université, 3. poursuivre une politique culturelle active, 4. offrir une bibliothèque qui prendra le nom modernisé de « médiathèque » dans les années 80. Les différents ministres des Affaires étrangères – ou leur entourage – mettront en avant l’un ou l’autre de ces quatre piliers. Pendant les années 70/80, la langue est l’axe dominant et les cours de Français se multiplient. Il y aura jusqu’à une douzaine d’enseignants de français, tous recrutés localement. À partir de 1981, sous l’impulsion du ministre de la Culture Jack Lang, l’action culturelle est à nouveau mise en évidence, sans pour autant négliger les cours qui sont la seule activité rapportant de l’argent. En 1982, l’écrivaine Catherine Clément[22] prend la direction de l’AFAA (Association française d’action artistique), créée en 1922 pour favoriser les échanges artistiques entre la France et l’étranger, et propose d’appuyer la politique culturelle des Instituts français. Ainsi l’Institut français d’Innsbruck bénéficie de cette aide double : compétence et financement. Les Instituts sont regroupés par zone. L’Autriche est dans la zone « allemande ». Les expositions circulent entre les Instituts d’une même zone. En 1991, une exposition organisée au Tiroler Landesmuseum Ferdinandeum par le Dr. Günther Dankl montre, avec un grand succès, les œuvres qui étaient présentes à l’exposition inaugurale de l’Institut en 1946, renouant ainsi avec la tradition artistique. Parallèlement à ces actions artistiques, la politique d’échanges et d’invitations de personnalités françaises se poursuit. On note, entre autres, les conférences des futurs Académiciens Erik Orsenna[23] (en 1992) et Alain Finkielkraut[24] (en 1996).

Toutes ces années, les bâtiments des Instituts restent essentiels pour la politique française, en particulier à Innsbruck, comme à Vienne. Peu à peu, d’autres approches plus centrées sur les rapports avec les structures artistiques et culturelles locales (Tiroler Landestheater, Galerie Sankt Barbara [Hall in Tirol], Festwoche der Alten Musik, etc.) se développent. Le Guêpier, un groupe de théâtre en français du département de romanistique de l’Université d’Innsbruck, s’associe à l’Institut pour proposer dans les années 90, plusieurs saisons de suite, un programme de théâtre en français. Le cinéma de l’Institut est fermé et remplacé par un soutien aux cinémas locaux (dont notamment le cinéma d’art et essai « Cinematograph ») et au « Internationales Filmfestival Innsbruck [IFFI] » créé en 1992.

En 1995, l’Autriche entre dans la Communauté européenne. Les quatre Instituts qui la composent (Vienne, Innsbruck, et dans une moindre mesure les antennes de Salzburg et Graz) sont rattachés à la zone Europe de l’Est. Pour Innsbruck, ce lien est moins naturel que pour Vienne. L’Institut, déjà contesté par les nouvelles directions ministérielles, n’est plus prioritaire, d’autant plus que le Consulat a fermé ses portes, que la France a vendu ses bâtiments et que l’Institut se trouve isolé. Le 5 septembre 1995, la France reprend un cycle de six essais nucléaires à Moruroa, qui provoque une forte réaction locale et fait fuir amis et soutiens de l’Institut. Les cours de langue sont désertés. L’Institut a vécu sur une certaine image de la France, pays amical, soutenu par les institutions locales. L’Italie, proche, prend rapidement le relais de meilleur partenaire, d’autant plus que les étudiants du Sud-Tyrol (la région bilingue allemand-italien) s’inscrivent à l’Université d’Innsbruck.

En octobre 1996, l’Institut fête ses 50 années d’existence. Un important colloque marque cet anniversaire. Historiens autrichiens et français analysent ces années de travail en commun. De nombreuses manifestations culturelles accompagnent l’événement. Un ouvrage (das institut français ist 50 jahre alt) est publié, préfacé par le Gouverneur de la région, Wendelin Weingartner[25]. En 2004, les bâtiments du Rennweg 17 et 19 sont vendus à leur tour par la France et l’Institut, qui a de moins en moins de budget, se replie dans de petits bureaux au centre-ville. La médiathèque est dispersée. Un pôle interdisciplinaire d’études françaises est créé à l’Université d’Innsbruck.

En 2015, l’Institut français d’Innsbruck est transformé en un « Institut franco-tyrolien d’Innsbruck », avec le statut d’association à but non lucratif, dont le président est le professeur d’Université Franz Pegger[26], en lien avec l’Institut français d’Autriche installé à Vienne.

Références et liens externes

  1. Bulletin d’information et de documentation n° 14 – août-septembre 1946, p. 47 sqq.
  2. voir le Journal Le Monde du 3 septembre 1953
  3. https://explore.gnd.network/gnd/1069405159
  4. https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb11915136j
  5. https://www.museebonnard.fr/index.php/fr/musee/pierre-bonnard
  6. https://data.bnf.fr/fr/ark:/12148/cb12223382x
  7. https://www.dictionnaire-creatrices.com/fiche-suzanne-valadon
  8. https://data.bnf.fr/fr/ark:/12148/cb121402945
  9. BID n° 14, déjà cité
  10. https://classes.bnf.fr/dossitsm/b-quenea.htm
  11. https://explore.gnd.network/gnd/118530143
  12. https://www.universalis.fr/encyclopedie/jean-cocteau/
  13. https://cths.fr/an/savant.php?id=113704
  14. https://www.universalis.fr/encyclopedie/raymond-aron/
  15. https://www.universalis.fr/encyclopedie/tristan-tzara/
  16. https://data.bnf.fr/fr/ark:/12148/cb138979240
  17. https://data.bnf.fr/fr/ark:/12148/cb124338987
  18. https://www.universalis.fr/encyclopedie/marcel-carne/
  19. https://www.universalis.fr/encyclopedie/jacques-becker/
  20. Les références et informations complètes sur ces visiteurs sont à retrouver dans le livre de Barbara Porpaczy, Frankreich-Österreich 1945–1960, Innsbruck 2002
  21. Catalogue de l’exposition Tirol-Frankreich au Tiroler Landesmueum de 1991
  22. https://data.bnf.fr/ark:/12148/cb11897019n
  23. https://www.universalis.fr/encyclopedie/erik-orsenna/
  24. https://www.universalis.fr/encyclopedie/alain-finkielkraut/
  25. https://explore.gnd.network/gnd/122210743
  26. http://franco-tyrolien.at/wordpress/verein/vorstand/

Bibliographie

  • Besset, Maurice : Eine Erinnerung. In : Tiroler Landesmuseum Ferdinandeum (dir.) : Tirol-Frankreich 1946–1960. Spurensicherung einer Begegnung. Innsbruck 1991, p. 11–16.
  • Dankl, Günther : Tirol-Frankreich. Ein Dialog. In : Tiroler Landesmuseum Ferdinandeum (dir.) : Tirol-Frankreich 1946–1960. Spurensicherung einer Begegnung. Innsbruck 1991, p. 49–59.
  • L’Institut français d’Innsbruck (dir.) : das institut français ist 50 jahre alt. Innsbruck, Institut français d’Innsbruck, septembre 1997, p. 77–83 (= Actes du colloque du 25 octobre 1996). ISBN : 3-901891-00-5.
  • Porpaczy, Barbara : Frankreich-Österreich 1945–1960. Kulturpolitik und Identität. Innsbruck : Studienverlag 2002 (= Innsbrucker Forschungen zur Zeitgeschichte, vol. 18), en particulier p. 75–87.
  • Porpaczy, Barbara : Von der Selbstdarstellung zum Kulturaustausch: Die französischen Kulturinstitute in Wien und Innsbruck. In : Thomas Angerer, Jacques Le Rider (dir.) : „Ein Frühling, dem kein Sommer folgte“? Französisch-österreichische Kulturtransfers seit 1945. Vienne, Cologne, Weimar : Böhlau 1999, p. 119–136.

Auteur

Jean-Marc Terrasse

Mise en ligne : 12/06/2025