Hugo Wittmann

De decaf-fr
Tombe de Hugo Wittmann au Cimetière central de Vienne (2018)

En tant que rédacteur, puis chef du feuilleton de la Neue Freie Presse (NFP), Hugo Wittmann (*16 octobre 1839, Ulm, † 6 février 1923, Vienne) occupe pendant une cinquantaine d’années (de 1872 jusqu’à sa mort en 1923) une position importante dans le champ culturel autrichien, en particulier viennois.

Biographie

Né à Ulm, dans une famille protestante, Wittmann, après des études de théologie rapidement abandonnées, vit pendant dix ans à Paris (1862–1872), où il a eu des liens familiaux et où il a tenu sous le pseudonyme H. Vallier la critique musicale dans différents journaux (Le Réveil, Le Nain Jaune, La Cloche). À partir de 1869, il a travaillé comme correspondant parisien de la NFP, avant d’intégrer, après la guerre de 1870-1871, la rédaction viennoise du journal. Pendant son long séjour parisien, il a acquis une excellente connaissance de la culture française et établi un réseau de contacts, ce qui fait de ce « maître du feuilleton viennois[1] » un « prototype » du médiateur entre les deux cultures.

En dehors de la NFP, il travaille comme correspondant viennois pour la Breslauer Morgenzeitung, pour la Petersburger Zeitung et pour Le Figaro (rédigeant les articles pour ce dernier en français) ; à côté de son travail journalistique, il écrit des livrets d’opérettes (souvent en collaboration avec Julius Bauer[2]), entre autres pour Karl Millöcker (1842–1899) et Karl (« Charles ») Weinberger[3] (1861–1939).) Il a épousé en 1883 la chanteuse Helene Weinberger (1839–1898), dont Charles Weinberger était le fils d’un premier mariage.

Le médiateur culturel

Le travail d’intermédiaire de Wittmann comprend plusieurs volets : la traduction et la publication de romans français, notamment de la période réaliste-naturaliste, la critique littéraire et théâtrale, ainsi que le travail de librettiste.

Traduction et publication

On peut supposer que la présence importante d’écrivains français dans les colonnes de la NFP au début des années 1880 est due – en dehors du prestige dont la littérature française jouit à ce moment-là – au grand intérêt que Wittmann porte à la culture française. Ainsi, par exemple, trouve-t-on dans le feuilleton de la NFP entre 1881 et 1884 trois romans d’Alphonse Daudet[4] : Numa Roumestan (8 mai–27 juillet 1881), L’Évangéliste (5 décembre 1882–17 février 1883) et Sapho (13 avril–24 juin 1884), La Faustin d’Edmond de Goncourt[5], sous le titre Juliette Faustin (1er novembre–29 décembre 1881) et Pot-Bouille de [Émile Zola|Zola], sous le titre Geschichte eines Bürgerhauses (8 février–20 juin 1882). Si la traduction de La Faustin et celle de Pot-Bouille sont bien signées « Hugo Wittmann », les traductions des œuvres d’A. Daudet ne sont pas signées. À la publication de ces romans s’ajoute celle d’un nombre important d’essais de Daudet (dont la série « L’Histoire de mes livres »), de Goncourt (« Eine Vorrede » [« Préface » de Chérie], 3 avril 1884) et de Zola (« Die Geldfrage in der Literatur » [« L’Argent dans la littérature »], 4, 5 et 8 mai 1880), traduits par Wittmann pour la NFP.

À ce propos, la correspondance de Wittmann avec les écrivains concernés est révélatrice des enjeux éditoriaux. Ainsi, une dizaine de lettres de Daudet à Wittmann conservées à la Wien-Bibliothek[6] et ses échanges avec Zola, publiés dans la Correspondance de Zola (éd. sous la dir. de B. H. Bakker et al., Montréal, Paris, 1978–1995), permettent de suivre les négociations sur les droits de traduction, les dates de publication ou encore les difficultés que peut rencontrer le traducteur (par exemple celle des titres). On y apprend que les droits de publication d’un roman de ces trois auteurs majeurs de la littérature française du dernier quart du XIXe siècle se négocient entre 5.000 et 10.000 francs (de l’époque) et que les dates de la publication dans le feuilleton de la NFP sont souvent quasi identiques à celles de la publication de l’original dans un quotidien français. Cela implique des traductions faites vite (les traducteurs reçoivent les manuscrits selon le rythme de l’avancement de la rédaction du roman et n’ont souvent que quelques jours pour livrer la traduction), ce qui n’est pas sans impact (négatif) sur leur qualité.

Critique littéraire et théâtrale

Dès 1876, on trouve dans la NFP régulièrement de longs comptes rendus consacrés à Alphonse Daudet (Fromont jeune et Risler aîné, 23 mars 1876, Le Nabab, 7 décembre 1877, Les Rois en exil, 30 octobre 1879), à Octave Feuillet[7] (Les Amours de Philippe, 23 septembre 1877), à Flaubert (« Gustav Flaubert », 22 mai 1880), puis à Zola (La Débâcle, 7 juin 1891 et 4 septembre 1892, Lourdes, 12 août 1894). La plupart du temps, ils portent sur la parution de l’original, avant la publication d’une éventuelle traduction. On peut supposer que de nombreux autres articles sur la littérature française dans la NFP sont bien l’œuvre de Wittmann qui signe ses textes, en dehors de son nom complet, parfois « H.Wnn. », par trois étoiles, voire par une bonne quinzaine d’autres sigles ou abréviations, ce qui rend leur attribution parfois aléatoire. Sans adhérer complètement au réalisme-naturalisme des romanciers du dernier tiers du XIXe siècle, Wittmann souligne l’importance de leurs œuvres pour l’évolution de la littérature et souligne leur modernité, leur capacité à saisir la société contemporaine dans ses multiples aspects.

Les intérêts de Wittmann dépassent cependant largement la littérature (française) contemporaine. Le volume intitulé Feuilletons, paru à titre posthume en 1925 au Österreichischer Bundesverlag, avec une préface de l’historienne de l’art Hermine Cloeter[8] (Munich 1879 – Weissenkirchen/Donau, 1970), donne un aperçu de la variété des centres d’intérêt de Wittmann, même si le choix des feuilletons retenus pour ce volume a sans doute été subjectif. La part des sujets français y est importante : le spectre va de feuilletons sur la vie à la Cour de Louis XIV au théâtre d’Alexandre Dumas fils[9] (1919), en passant par plusieurs feuilletons consacrés à [[Napoléon|Napoléon Ier] (qui semble l’impressionner, mais par rapport auquel il garde aussi une distance critique, voire ironique), et de Diderot (1913) et Voltaire au peintre Gustave Courbet (1873), en passant par un intérêt marqué pour la « Memoirenliteratur ». L’une des caractéristiques de son style est d’agrémenter les développements sur des événements ou des personnalités historiques par des anecdotes relevant de la vie quotidienne. Philosophiquement, il semble adhérer aux idées des Lumières et défendre des positions libérales. Cette attitude, qui fait de lui un exemple du « bürgerlicher Feuilletonist[10] », se reflète aussi dans ses « Erinnerungen an die Pariser Kommune » (24 avril 1921). Ses souvenirs de la décennie qu’il a passée à Paris sont présents – avec une certaine nostalgie – dans des feuilletons comme « Erinnerung an Deutsch-Paris » (8 septembre 1880) ou « Vom Pariser Tannhäuser » (29 janvier 1913).

Wittmann, librettiste et dramaturge

Enfin, Wittmann signe plusieurs livrets d’opérettes, souvent en collaboration avec Julius Bauer et Alois Wohlmuth[11], dont Der Feldprediger (1884), Die sieben Schwaben (1887), Pagenstreiche (1888), Der arme Jonathan (1890), Das Sonntagskind (1892), Der Probekuß (1894) de Karl Millöcker, ou encore Adam und Eva (1899) de Karl (Charles) Weinberger. À côté de son travail de journaliste, traducteur et librettiste, Wittmann écrit lui-même des pièces de théâtre, dont Die Wilddiebe (1889) et Die Dame in Schwarz (1891), coécrit avec Theodor Herzl avec lequel il a entretenu une correspondance abondante.

Le nombre important d’articles nécrologiques publiés après sa mort survenue le 6 février 1923 reflète la place importante que Hugo Wittmann a occupée dans le milieu culturel et journalistique viennois pendant près de cinq décennies. Tous saluent son travail de médiateur culturel et insistent sur la manière tout à fait particulière dont il a su relier l’esprit français et la culture allemande, autrichienne ou viennoise.

Références et liens externes

Bibliographie

  • Cloeter, Hermine : Geleitwort. In : Hugo Wittmann : Feuilletons. Vienne : Oesterreichischer Bundesverlag 1925, p. 5–16.
  • Fastl, Christian : „Wittmann, Hugo“, in: Oesterreichisches Musiklexikon online, begr. von Rudolf Flotzinger, hg. von Barbara Boisits (letzte inhaltliche Änderung: 15.5.2006, abgerufen am 9.12.2024) URL: www.musiklexikon.ac.at/ml/musik_W/Wittmann_Hugo.xml*Leisching, Peter : Drei Wiener Theaterabende im August 1872. Tagebuchnotate des Theaterkritikers Hugo Wittmann. In : Wiener Geschichtsblätter 48, 1993, p. 41 sqq.
  • Leisching, Peter : Prosopographie eines eingewienerten Schwaben pariserischer Prägung. In : Sigurd Paul Scheichl und Wolfgang Duchkowitsch (Hg.) : Zeitungen im Wiener Fin de siècle. Wien : Verlag für Geschichte und Politik 1997, p. 197 sqq.
  • Lexikon zum Literatur- und Kulturbetrieb im Österreich der Zwischenkriegszeit (online, m. B., Zugriff am 19.11.2019) : Wittmann, Hugo – litkult1920er.aau.at *Obermaier, Walter : Wittmann, Hugo. In : Österreichische Biographisches Lexikon, 1815–1950, vol. 16 (71), 2020, p. 294 sq.
  • Zieger, Karl : Die Aufnahme der Werke von Emile Zola durch die österreichische Literaturkritik der Jahrhundertwende. Berne et al. : Peter Lang 1986.

Auteur

Karl Zieger

Mise en ligne : 09/12/2024