Hermann Broch

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Hermann Borch (1937)

Hermann Broch (* 1er novembre 1886 à Vienne, † 30 mai 1951 à New Haven), d’origine juive, est une personnalité majeure de la vie littéraire viennoise dont l’œuvre mérite d’être connue du grand public. On lui doit, dans son essai Hofmannsthal et son temps, le concept d’« Apocalypse joyeuse » pour désigner l’effondrement de l’Empire austro-hongrois. Après l’Anschluss, il est arrêté et emprisonné. Avec l’aide de son ami James Joyce, il parvient à émigrer aux États-Unis où il se consacre à la théorie de la démocratie et de la folie des masses.

« Un écrivain malgré lui » (Hannah Arendt) : entre littérature et philosophie

Dans son Autobiographie en tant que programme de travail (1941), Broch brosse son cheminement depuis ses études de mathématiques et de philosophie à l’université de Vienne. Il vient tardivement à la littérature. Après avoir dirigé pendant vingt ans l’usine de textile de son père à Vienne, il publie en 1931 la trilogie des Somnambules, un roman à la frontière entre littérature et philosophie où il diagnostique la crise des valeurs de 1888 à 1918. Il décrit trois époques de désagrégation des valeurs (1888 : Pasenow ou le romantisme, 1903 : Esch ou l’anarchie, 1918 : Huguenau ou le réalisme). Le récit est enveloppé par des essais philosophiques sur la désagrégation des valeurs, l’absence de sens, cet « état crépusculaire[1] » reléguant l’homme à sa solitude existentielle et correspondant à une perte de conscience morale. La modernité prend la forme d’une rupture qui, depuis la proclamation de Nietzsche « Dieu est mort », annonce la crise du sens. Broch forge l’expression de « roman épistémologique » et instaure un double regard entre la fiction et la philosophie. Des Somnambules aux Irresponsables, ses romans mêlent plusieurs voix et niveaux de récits, la polyphonie illustrant précisément la perte des valeurs. Son chef-d’œuvre La Mort de Virgile, un long monologue à la fois poétique et philosophique, tout d’abord publié en 1945 aux États-Unis dans une version anglaise, ne paraît en allemand qu’après la guerre. L’écriture relève pour Broch d’une dimension éthique.

Les enjeux éthiques

Broch fut aussi un penseur politique, un philosophe de l’histoire, un témoin précieux de son époque. Son exil aux États-Unis en 1938 suscite une réflexion sur la Théorie de la folie des masses rédigée entre 1939 et 1948. Il tente de décrypter dans ses essais le processus psychologique qui a conduit au national-socialisme. Son exil lui fait prendre conscience de la nécessité d’une nouvelle forme de démocratie, une « démocratie totale » fondée sur le respect des droits de l’homme. Il écrit dans une lettre adressée à Volkmar Zühlsdorff[2] : « Le but de ma psychologie des masses est la recherche de possibilités de conversion qui existent (aujourd’hui encore).[3] » Sa réflexion comporte une visée pratique et la dimension politique rejoint son engagement éthique. Il propose une éthique de la responsabilité qui a pour mission d’éduquer et d’éclairer. Son engagement en qualité de sociologue et de penseur humaniste mérite d’être mis en lumière.

Réception

Broch n’a pas toujours eu en France l’écho qu’y trouva Robert Musil, alors qu’il aimait la France et que son œuvre présente une grande originalité par l’ampleur de sa réflexion. Toute son œuvre narrative a été traduite et publiée chez Gallimard, avec lequel Broch a eu des contacts épistolaires. Le public francophone peut découvrir une partie de son œuvre philosophique moins connue, sa « théorie de la connaissance » fondée sur le concept de valeur, comme il la définit lui-même, et que l’on découvre dans les six essais Logique d’un monde en ruine écrits entre 1931 et 1946. C’est aussi une somme de réflexions sur les années noires du national-socialisme que nous propose Broch dans sa Théorie de la folie des masses. Il n’existe toujours pas de traduction de ses œuvres complètes dirigées par l’éminent spécialiste Paul Michael Lützeler[4].

Références et liens externes

  1. Hermann Broch, KW 12, p. 79 : « Dämmerzustand ».
  2. https://d-nb.info/gnd/118815873
  3. Hermann Broch, Briefe über Deutschland. Francfort-sur-le-Main : Suhrkamp 1986, p. 69 : « Das Ziel meiner Massenpsychologie ist die Suche nach (heute noch) vorhandenen Bekehrungsmöglichkeiten ».
  4. https://german.wustl.edu/people/paul-michael-l%C3%BCtzeler

Bibliographie

Œuvres

  • L’œuvre de Broch est parue dans son édition complète chez Suhrkamp en 13 volumes (Kommentierte Werkausgabe (KW)), éd. par Paul Michael Lützeler. Francfort-sur-le-Main : Suhrkamp.
  • Éditions Gallimard : Le Tentateur, Les Irresponsables, Les Somnambules, Les affaires du Baron Laborde ou Comment vendre du vent, Récit de la servante Zerline, Création littéraire et connaissance, La Mort de Virgile, La Grandeur inconnue, Lettres (1929–1951).
  • Éditions de l’Arche : Autobiographie psychique, Autobiographie comme programme de travail.
  • Éditions de l’Éclat : Logique d’un monde en ruine, Théorie de la folie des masses.

Littérature critique

  • Broch (actes des colloques de Paris, 1986 et Lyon, 1988) = Cahiers d’études germaniques no16 (1989).
  • Robert Musil, Hermann Broch = Europe no741–742 (1991).
  • Mondon, Christine (dir.) : Hermann Broch = Austriaca no55 (2002).
  • Mondon, Christine : Écritures romanesques (H. Hesse, Th. Mann, H. Broch, R. Musil) et philosophie. Bordeaux : Presses Universitaires de Bordeaux 2011.
  • Mondon, Christine : La réception de Hermann Broch en France. In : Valérie de Daran et Marion George (dir.) : Éclats d’Autriche. Vingt études sur l’image de la culture autrichienne aux XXe et XXIe siècles. Berne et al. : Peter Lang 2014, p. 267–280.

Auteur

Christine Mondon

Mise en ligne : 03/03/2025