Helene Funke

La peintre et graphiste Helene Funke (*3 septembre 1869 à Chemnitz (Saxe), † 31 juillet 1957 à Vienne) a vécu à Paris entre 1905 et 1913[1]. Alors que ses débuts artistiques sont encore fortement influencés par la peinture de paysage de Munich, c’est vers le fauvisme qu’elle se tourne à Paris, un mouvement qui marquera durablement son œuvre ultérieure. L’accueil réservé par Funke à l’avant-garde française constitue un exemple remarquable de transfert culturel entre Paris et Vienne. Si certains critiques d’art contemporains comme Arthur Roessler[2] ou Adalbert Franz Seligmann[3] sont sceptiques vis-à-vis de son style pictural fauve et coloré[4], l’historien de l’art Hans Tietze[5], ami de Funke, souligne pour sa part le potentiel indéniable de cette artiste moderne[6]. Son activité d’exposition est d’ailleurs restée très soutenue jusque dans les années 1930. Dans ses œuvres, Funke s’est toujours intéressée à des thèmes émancipateurs. Ses tableaux illustrant des loges de théâtre, où elle interroge le statut de la femme dans la sphère publique, semblent avoir été réalisés en réponse aux tableaux de Pierre Auguste Renoir ou de Mary Cassatt[7][8]. Par ailleurs, ses œuvres graphiques abordent parfois des thèmes érotiques. Quant à ses natures mortes, elles peuvent être considérées comme des expérimentations avec la forme et la couleur, positionnant ainsi la peintre en pionnière de la peinture abstraite[9].
Biographie

Helene Funke naît à Chemnitz, elle est la deuxième des cinq enfants du commerçant Hermann Funke et de son épouse Auguste Amalie Eleonore Helene Maria, née baronne d’Orville von Löwenclau. On sait peu de choses sur sa vie, car la plupart de ses documents personnels ont été détruits ou perdus pendant la Seconde Guerre mondiale. Elle entame sa carrière artistique à l’âge de 30 ans. Elle étudie auprès de Friedrich Fehr[10] puis, de 1899 à 1901, elle fréquente l’Académie pour dames (Damen-Akademie) de l’Association des femmes artistes sous la direction d’Angelo Jank[11] à Munich[12]. Entre 1905 et 1913, elle réside en France, parfois en compagnie de sa collègue peintre et amie Martha Hofrichter[13]. À Paris, elle entretient des relations avec des artistes fauves, probablement aussi avec Henri Matisse, bien qu’il n’existe aucune preuve de liens avec ce dernier[14]. Au cours des années 1906-1907, Funke habite au 27 rue de Fleurus, dans le même immeuble que Leo[15] et Gertrude Stein[16], dont le salon littéraire est un lieu de rencontre important pour l’avant-garde artistique[17].
Funke expose au Salon des Indépendants de Paris en 1907, 1910 et 1911. En 1907 et 1908, elle présente ses œuvres au Salon d’Automne au Grand Palais. Au cours de son séjour en France, ses créations sont également mises en avant dans des expositions en Allemagne[18] : en 1904, elle participe à la Grande exposition de l’Académie de Berlin, et en 1906 et 1907, elle est représentée à trois reprises au Kunstverein de Hambourg. En outre, elle prend part à l’exposition inaugurale du König-Albert-Museum de Chemnitz en 1909. En 1910, elle expose à la troisième exposition graphique de l’Union des artistes allemands à Hambourg. La même année, ses œuvres sont également présentées au Kunstverein de Dresde. En 1912, elle contribue à la grande exposition d’art de Dresde, puis expose, au sein du Deutscher Künstlerbund, à la Kunsthalle de Brême. En 1913, enfin, elle prend également part à une exposition de l’Union des artistes allemands à la Kunsthalle de Mannheim.

Pendant la période 1911-1913, les raisons pour lesquelles Funke décide de quitter Paris, capitale d’avant-garde, pour se rendre à Vienne, ville plus conservatrice, demeurent incertaines. Il est possible que Martha Hofrichter l’ait incitée à déménager, car les deux artistes figurent parmi les membres fondateurs de l’Association des femmes artistes plasticiennes d’Autriche (VBKÖ)[19]. Dès 1910, elles présentent leurs créations lors de la première exposition de l’association à la Sécession, intitulée « L’art de la femme » (« Die Kunst der Frau »). En 1911, Funke expose par ailleurs dix-neuf œuvres à la Zedlitzhalle, louée par le Hagenbund. En 1917, elle participe à l’exposition organisée conjointement par l’Association des artistes suédoises (Föreningen Svenska Konstnärinnor) et le VBKÖ au sein de la Liljevalchs Konsthall de Stockholm. Elle y est représentée par plus de trente œuvres, parmi lesquelles figure son tableau « Trois femmes » (« Drei Frauen », 1915). L’une de ces femmes est peinte tenant un bol, l’autre un verre, et la troisième des fleurs, éléments pouvant être interprétés comme des symboles du sexe féminin, présentés ici de manière presque ironique. Ce symbolisme est déjà perceptible dans la « Composition de personnages (autoportrait) » (« Figurenkomposition – Selbstbildnis », vers 1907) de Paula Modersohn-Becker[20][21]. L’identité des trois femmes est incertaine. Il est possible qu’il s’agisse d’une seule femme représentée aux trois âges de la vie. Elisabeth Nowak-Thaller souligne la ressemblance de la femme figurant à droite avec la chanteuse de concert et peintre Claudia Ruth Wenger[22], qui fut l’épouse de Hermann Hesse[23] entre 1924 et 1927, tout en ayant une liaison avec Karl Hofer[24][25]. Funke connaissait non seulement Hermann Hesse, mais fut aussi l’amie de Ninon Dolbin[26], qui devint plus tard la troisième épouse de l’écrivain[27].

En 1918, Funke est l’une des cofondatrices du groupe d’artistes expressionnistes radicaux connu sous le nom de Bewegung (« Mouvement »). L’une de ses œuvres emblématiques, « Rêves » (« Träume », 1913), est présentée la même année lors de la première exposition du groupe, qui se tient dans les locaux de la maison de vente aux enchères Kende à Vienne. En 1919, elle prend part à l’exposition de la Freie Vereinigung, organisée dans le cadre de la 54e exposition de la Sécession[28].
L’année suivante, en 1920, le ministère autrichien de l’Intérieur et de l’Éducation achète le tableau « Musik » de Funke, réalisé l’année précédente et considéré aujourd’hui comme perdu. En 1923, elle est la seule artiste à être représentée par Oskar Laske dans la peinture à huile monumentale intitulée « La Nef des fous » (« Das Narrenschiff », Belvédère, Vienne). En 1925, elle participe à la Kunstschau de Vienne[29], puis, en 1927-1928, à l’exposition d’art féminin viennois au Musée autrichien d’art et d’industrie.

Helene Funke est la première femme à avoir reçu le prix national autrichien en 1928 pour le tableau « Tobias et l’Ange » (« Tobias und der Engel », 1927), conservé aujourd’hui à la Kunstsammlung de Chemnitz. Au début des années 1930, ses ressources financières se réduisent considérablement à cause des conséquences de l’inflation. Elle vit alors en dessous du seuil de pauvreté dans un modeste appartement qui lui sert également d’atelier. Pendant la période du national-socialisme, elle dit avoir privilégié l’« émigration intérieure » (Innere Emigration[30]). Cependant, des propos antisémites ainsi que des manifestations de sympathie envers le national-socialisme qu’elle a exprimées avant cette période, notamment en 1934, entraînent la rupture temporaire de ses liens d’amitié avec la femme médecin juive Elisabeth Löbl, comme cette dernière le rapporte dans une lettre à Ninon Dolbin[31].
En 1946, Funke obtient la nationalité autrichienne. En 1955, elle est nommée professeure. Durant les dernières années de sa vie, elle vit en retrait et reçoit le soutien de son amie Elisabeth Kowalski[32].
En 1948, la galerie Welz organise la première exposition collective sur Helene Funke. Peu après, une rétrospective a lieu au Konzerthaus de Vienne et dans une galerie de Zell am See[33]. En 1998, la galerie viennoise Hieke se consacre à son tour à l’œuvre de l’artiste. En 2007, une grande rétrospective a lieu au Kunstmuseum Lentos de Linz. Certains de ses tableaux sont également présentés lors de l’exposition « Vienne-Paris », organisée en 2007-2008 au Belvédère. Il y est surtout question des échanges culturels entre la France et l’Autriche, dont l’œuvre de Funke est un exemple déterminant. En 2008, une nouvelle exposition lui est consacrée au Kunstmuseum Lentos de Linz, sous le titre « Störenfriede ». Dix ans plus tard, en 2018-2019, c’est dans sa ville natale, à la Kunstsammlung de Chemnitz, que se déroule l’exposition « Helene Funke. Féminin expressif » (« Helene Funke. Expressiv weibliche »). Dans le cadre de l’exposition « Klimt n’est pas la fin » (« Klimt ist nicht das Ende », Belvédère, Vienne / BOZAR, Bruxelles), il est par ailleurs fait référence à la contribution de Funke à l’expressionnisme dans la monarchie danubienne. Parmi les expositions des années 2010-2020 dans lesquelles certaines œuvres de l’artiste sont présentées, on peut encore mentionner l’exposition collective « Ville des femmes. Femmes artistes à Vienne 1900-1938 » (« Stadt der Frauen. Künstlerinnen in Wien 1900-1938 ») au Belvédère en 2019, « Galatée créatrice » (« Die schaffende Galatea ») à la Kunsthalle Talstraße de Halle an der Saale la même année, et l’exposition thématique « Enfance sauvage. Idéal et réalité de 1900 à nos jours » (« Wilde Kindheit. Ideal und Realität von 1900 bis heute ») au Lentos à Linz en 2021. Enfin, en 2022, certaines des œuvres de Funke sont présentées lors de l’exposition « Hagenbund. De la modernité modérée à la modernité radicale » (« Hagenbund. Von der gemäßigten zur radikalen Moderne ») au musée Leopold de Vienne.
Références et liens externes
- ↑ Funke 2007, 30
- ↑ https://d-nb.info/gnd/118993070
- ↑ https://www.deutsche-biographie.de/117473995.html?
- ↑ Nowak-Thaller 2007, 14
- ↑ https://geschichte.univie.ac.at/en/persons/hans-tietze
- ↑ Plakolm-Forsthuber 1994, 134
- ↑ http://www.fembio.org/biographie.php/frau/biographie/mary-cassatt
- ↑ Plakolm-Forsthuber 1994, 129
- ↑ Johnson 2012, 181
- ↑ https://www.deutsche-biographie.de/sfz69763.html
- ↑ https://d-nb.info/gnd/117078778
- ↑ Funke 2007, 25
- ↑ https://www.oxfordartonline.com/benezit/display/10.1093/benz/9780199773787.001.0001/acref-9780199773787-e-00088664
- ↑ Funke 2007, 30
- ↑ https://d-nb.info/gnd/119365081
- ↑ https://www.fembio.org/biographie.php/frau/biographie/gertrude-stein
- ↑ Sagner 2018, 18
- ↑ Funke 2007, 57–61
- ↑ Nowak-Thaller 2019, 128
- ↑ https://www.dhm.de/lemo/biografie/paula-modersohn-becker
- ↑ Plakolm-Forsthuber 1994, 131
- ↑ https://d-nb.info/gnd/117285986
- ↑ https://www.onb.ac.at/sammlungen/literaturarchiv/bestaende/personen/hesse-hermann-1877-1962/
- ↑ https://recherche.sik-isea.ch/sik:person-4025397/in/sikart/
- ↑ Nowak-Thaller 2019, 126
- ↑ https://www.deutsche-biographie.de/118550438.html
- ↑ Nowak-Thaller 2019, 129
- ↑ Funke 2007, 32
- ↑ Nowak-Thaller 2019, 128
- ↑ https://shs.cairn.info/guerre-et-transgressions--9782706127021-page-135
- ↑ Nowak-Thaller 2018, 34
- ↑ Loitfellner 2019
- ↑ Funke 2007, 33
Bibliographie
- Bußmann, Frédéric/Weigel, Viola (dir.) : Expressiv weiblich. Helene Funke, catalogue d’exposition. Kunstsammlungen Chemnitz, 4.11. 2018–19.1.2019.
- Funke, Peter : Die Rätsel im Leben und Werk der Malerin Helene Funke. In : Helene Funke 1869–1957, catalogue d’exposition. Lentos Kunstmuseum Linz, 4.5.–11.9.2007, p. 23–34.
- Funke Peter : Die Malerin Helene Funke 1869–1957. Leben und Werk. Vienne/Cologne/Weimar : Vandenhoeck & Ruprecht 2011.
- Johnson, Julie M. : Rediscovering Helene Funke: The Invisible Foremother. In : id. : The Memory Factory. The Forgotten Women Artists of Vienna 1900. West : Lafayette 2012, p. 177–201.
- Nowak-Thaller, Elisabeth (dir.) : Helene Funke. 1869–1957, catalogue d’exposition. Lentos Kunstmuseum, Linz 2007.
- Nowak-Thaller, Elisabeth : Helene Funke – Emanzipation und Ekstase. In : Sabine Fellner/Stella Rollig (dir.) : Stadt der Frauen. Künstlerinnen in Wien 1900-1938, catalogue d’exposition. Belvédère, Vienne, 25.1.–19.5.2019, p. 125–129.
- Plakolm-Forsthuber, Sabine : Fauvismus und Frauengruppenbild bei Helene Funke. In : id. : Künstlerinnen in Österreich 1897-1938. Malerei – Plastik – Architektur, Vienne : Picus 1994, p. 128–135.
Auteur
Katharina Lovecky
Traduit de l'allemand par Irène Cagneau
Mise en ligne : 15/03/2025