Heinrich von Geymüller

De decaf-fr
Heinrich von Geymüller (um 1895)

Né à Vienne, l’architecte et historien de l’art Heinrich von Geymüller a passé les premières années de son enfance dans la capitale autrichienne. Après avoir épousé une Parisienne, il a résidé en France pendant plusieurs décennies. À la fin de sa vie, ses liens avec Vienne se sont renforcés, notamment dans le cadre de ses recherches en histoire de l’architecture. Ses archives sont actuellement conservées en Autriche.

Biographie

Après la faillite de l’empire financier familial lors de la crise de 1842, Heinrich von Geymüller, né le 12 mai 1839 à Vienne et décédé le 19 décembre 1909 à Baden-Baden, connaît une enfance et une adolescence itinérantes, marquées par des séjours en Angleterre, en France et en Suisse. Au décès de son père, alors que sa mère est gravement malade, il est adopté de façon informelle par la famille d’un camarade d’école. Ses études en ingénierie et en architecture à Berlin font de lui un Européen polyglotte, capable de s’exprimer et de publier dans quatre langues différentes (allemand, français, anglais et italien).

Ses activités professionnelles à Berlin et à Paris amènent Geymüller à s’intéresser à l’histoire de l’architecture. Encouragé par l’historien de l’art et de la culture Jakob Burckhardt[1], il entreprend une étude approfondie des dessins conservés à la Galerie des Offices de Florence afin de mieux comprendre l’histoire de la conception et de la construction de la basilique Saint-Pierre de Rome. Ses efforts portent rapidement leurs fruits : Geymüller fait des découvertes spectaculaires, notamment en identifiant et en interprétant des documents fondamentaux, inconnus jusqu’alors, relatifs aux projets primitifs élaborés pour la basilique Saint-Pierre. Fidèle aux préceptes architecturaux de son époque, il essaie de reconstituer les plans de la basilique à partir de documents souvent hermétiques sur le plan graphique et crée des projections impressionnantes. Sa reconstruction minutieuse de projets datant de la Renaissance se distingue par sa qualité graphique et sa puissance créatrice.

Heinrich von Geymüller, Rekonstruktion eines Entwurfs für St. Peter in Rom nach Bramante (1867)
Heinrich von Geymüller, Skizze einer Rekonstruktion für St. Peter in Rom nach Antonio da Sangallo il Giovane

Les contributions pratiques et méthodologiques de Geymüller en matière de restauration et de conservation du patrimoine ont fait l’objet de nombreuses discussions et continuent d’exercer une influence notable. À sa mort, il a laissé derrière lui une série de projets entamés ou inachevés. Parmi eux figure un thésaurus qui consiste en une collection étendue et représentative d’œuvres architecturales fondée sur une approche systématique ainsi que sur des reproductions fidèles (fac-similés) de haute qualité. Cette œuvre monumentale a occupé Geymüller pendant de nombreuses décennies. En règle générale, il a toujours eu pour objectif d’analyser de manière méthodique la signification des croquis conceptuels dans l’histoire de l’architecture et de les rendre exploitables. Sa démarche a conduit à des avancées significatives : grâce à la qualité de ses reproductions en fac-similé, il a contribué à un changement majeur dans la manière de concevoir les publications sur l’histoire de l’architecture.

Le rôle de médiateur de Geymüller doit être examiné à la lumière de son identité européenne. Sa famille, aisée et cultivée, est originaire de Bâle et a des racines alsaciennes. Sa mère, Eleonore Eliza Griesbach (1808-1866), est issue d’une famille de Hanovre installée en Angleterre depuis plusieurs générations. Après avoir quitté Vienne, la famille entame un périple de plusieurs années qui permet au jeune Heinrich, âgé de neuf ans à l’époque, d’acquérir la nationalité bâloise grâce à des parents originaires de Bâle. Cette citoyenneté sera la seule qu’il conservera tout au long de sa vie. En 1851, Geymüller intègre le Collège Galliard de Lausanne.

Après avoir été chaleureusement accueilli dans la famille de son camarade Louis Boissonnet[2], le jeune garçon trouve enfin une certaine stabilité. Grâce à cette nouvelle famille passionnée d’art, les origines autrichiennes, alsaciennes-suisses et germano-anglaises de Geymüller s’enrichissent d’une touche franco-russe, élargissant son héritage européen. Après leurs études d’ingénieur à Lausanne (1857), Geymüller et Boissonnet poursuivent leur formation à l’École Centrale des Arts et Manufactures de Paris[3]. Par la suite, Geymüller s’installe à Berlin pour approfondir ses connaissances à l’académie d’architecture auprès de professeurs renommés. Berlin est alors un centre majeur de l’histoire de l’art, jeune discipline en plein essor. Par l’intermédiaire de Wilhelm Lübke[4], qui enseigne à l’académie, le jeune homme fait la connaissance de Jakob Burckhardt. Une amitié solide se noue entre les deux hommes et joue un rôle déterminant dans la carrière de Geymüller. Après avoir travaillé en tant que maître d’œuvre pour son professeur Friedrich Adler[5], il retourne à Paris pour poursuivre sa formation à l’École des Beaux-Arts[6]. En 1864, il rejoint le cabinet d’architecture Questel[7], mais le quitte peu de temps après, à la suite de l’accident mortel de son ami Boissonnet. Il retourne en Suisse assister la mère de ce dernier, puis, après un bref séjour à Vienne en 1866 en raison du décès de sa mère, il tente de nouveau d’exercer la profession d’architecte à Paris au cabinet Le Soufaché[8].

Pendant cette période, les questions d’histoire de l’architecture ont gagné en importance aux yeux de Geymüller, en particulier grâce à l’influence de Lübke et de Burckhardt. Après des séjours fructueux en Italie et la publication de ses premiers écrits en 1868, il se consacre entièrement à ses recherches. Entre 1875 et 1880, il publie son ouvrage révolutionnaire en deux volumes sur les projets architecturaux de Saint-Pierre de Rome, en allemand et en français, à Vienne et à Paris. Après son mariage avec Marguerite Delaborde en 1869, Paris devient pour plusieurs décennies son lieu de résidence principal. Dans les années 1880, d’autres travaux importants sur l’histoire de l’architecture voient le jour : ceux sur Léonard de Vinci (1883), Raphaël (1884) et Du Cerceau (1887). La publication en plusieurs volumes sur l’architecture de la Renaissance en Toscane a également débuté en 1885 pour finalement être achevée en 1908, un an avant le décès de Geymüller.

Les relations de Geymüller avec Vienne et l’Autriche, bien que relativement limitées, revêtent une importance significative. En 1873, il participe à l’exposition universelle de Vienne où il présente ses projections graphiques (« restaurations »), élaborées à partir des plans de Saint-Pierre-de-Rome. Ce travail lui vaut une médaille dans la catégorie des beaux-arts. Une dizaine d’années plus tard, alors qu’il s’est imposé comme une figure incontournable de la recherche en architecture, il aspire à obtenir un poste permanent à Vienne. Après le décès de Moritz Tausig, directeur de l’Albertina, il a en effet adressé une demande de poste à Rudolf von Eitelberger, alors titulaire de la première chaire d’histoire de l’art à Vienne et directeur fondateur du musée d’Art et d’Industrie. Celui-ci manifeste un vif intérêt pour cette initiative mais il doit reconnaître que les chaires ne sont pas bien dotées et que les titulaires de tels postes exercent généralement des activités secondaires. Les négociations prennent toutefois fin de façon abrupte à cause d’une grave maladie d’Eitelberger qui entraîne son décès. Après la période particulièrement fructueuse des années 1880, certains travaux de Geymüller s’enlisent au cours des années 1890. Le projet d’un thésaurus architectural, poursuivi depuis longtemps et relancé à cette période, le met en relation avec Hermann Egger[9] (1873-1949), jeune chercheur originaire de Vienne. Dans ses publications, celui-ci s’inscrit dans la lignée des recherches menées par Geymüller. Il commence à publier des dessins d’architecture au tournant du siècle et se considère comme un disciple de Geymüller, qui perçoit également en lui son héritier intellectuel. D’une part, Egger est chargé de finaliser l’œuvre sur l’architecture de la Renaissance en Toscane en cas de décès de Geymüller, et d’autre part, ce dernier espère pouvoir poursuivre son projet de thésaurus avec le jeune chercheur. Bien que Geymüller réussisse à achever son opus sur la Toscane un an avant sa mort, le thésaurus demeure quant à lui au stade de projet. Cependant, la collaboration professionnelle entre les deux hommes devient si étroite dans les dernières années de la vie de Geymüller que sa famille décide de léguer l’intégralité de ses archives à Egger (qui sera nommé professeur d’histoire de l’art à Graz en 1911) ainsi qu’à l’institut de Graz. Ainsi, bien que Geymüller lui-même n’ait guère œuvré en Autriche, son héritage scientifique et intellectuel retourne dans son pays natal et constitue une contribution précieuse à l’histoire de l’architecture européenne.

Références et liens externes

Bibliographie

Littérature primaire

  • Geymüller, Heinrich von : Notizen über die Entwürfe zu St. Peter in Rom. Karlsruhe : Müller’sche Hofbuchhandlung 1868, 34.
  • Geymüller, Heinrich von : Die ursprünglichen Entwürfe für Sanct Peter in Rom von Bramante, Raphael Santi, Fra Giocondo, den Sangallo’s u. a. m. nebst zahlreichen Ergänzungen, und einem Texte zum ersten Mal herausgegeben/Les Projets Primitifs pour la Basilique de Saint Pierre de Rome … 2 vol. Vienne/Paris : Lehmann et Wentzel/Baudry 1875-1880, 380/55. Texte allemand et français.
  • Geymüller, Heinrich von : Leonardo da Vinci as Architect. In : Jean Paul Richter : The Literary Works of Leonardo da Vinci. 2 vol. Londres : Sampson Low 1883, vol. II, 25-104, pl. LXXVII-CVI.
  • Geymüller, Heinrich von : Raffaello Sanzio studiato come architetto. Milan : Hoepli 1884, 113.
  • Geymüller, Heinrich von, avec Carl von Stegmann : Die Architektur der Renaissance in Toscana dargestellt in den hervorragendsten Kirchen, Palästen, Villen und Monumenten nach den Aufnahmen der Gesellschaft San Giorgio in Florenz. 11 vol. Munich : Bruckmann 1885-1908.
  • Geymüller, Heinrich von : Les Du Cerceau. Leur vie et leur œuvre d’après de nouvelles recherches. Paris : Librairie de l’art 1887 (Bibliothèque internationale de l’art), 348.
  • Geymüller, Heinrich von : Die Baukunst der Renaissance in Frankreich. 2 vol. Vol. 1. Historische Darstellung der Entwicklung des Baustils. Stuttgart : Bergsträsser 1898. (Handbuch der Architektur 2. Theil VI, 1). Vol. 2. Struktive und ästhetische Stilrichtungen. Kirchliche Baukunst. Stuttgart : Bergsträsser 1901. (Handbuch der Architektur 2. Theil VI, 2), 676.

Littérature secondaire

  • Ploder, Josef : Heinrich von Geymüller und die Architekturzeichnung. Werk, Wirkung und Nachlaß eines Renaissanceforschers. Vienne/Cologne/Weimar : Böhlau 1998. (Ars viva 5), 495.
  • Heinrich von Geymüller (1839-1909). Architekturforscher und Architekturzeichner. Dirigé par Josef Ploder et Georg Germann. Bâle : Reinhardt 2009. (Katalog der Ausstellung Basel und Graz 2009/2010), 168.
  • Ploder, Josef : Heinrich von Geymüller and the Early Projects for St. Peter’s in Rome. Architectural History between Historical Method and Creative Projection. In : Antonio Brucculeri/Sabine Frommel (dir.) : Renaissance italienne et architecture au XIX ͤ siècle. Rome : Campisano 2015. (Hautes études/histoire de l’art/storia dell’arte), 131-140, Ill. 73-83.

Auteur

Auteur de la notice : Josef Ploder

Traduit de l’allemand par Irène Cagneau

Mise en ligne : 30/08/2024