Georgette Boner
Au cours de sa longue vie, les activités de femme de théâtre (notamment comme metteuse en scène et dans la formation des acteurs/actrices) et d’artiste peintre de la Suissesse Georgette Boner[1] (* 4 février 1903 à Milan, † 26 novembre 1998 à Zurich) ont été liées étroitement d’une part à sa collaboration avec le metteur en scène Michaël Tchékhov[2] (1891–1955), le neveu d’Anton Tchékhov, d’autre part à son intérêt pour la culture indienne qu’elle découvre, dans le sillage de sa sœur Alice[3], dès la fin des années 1930. Son rôle dans les échanges culturels franco-autrichiens ne couvre que quelques années (1929–1933) mais a son importance dans la mesure où Boner a contribué à l’entrée de deux dramaturges autrichiens sur les scènes parisiennes : Ferdinand Bruckner[4] (= Theodor Tagger, 1891–1958) et Arthur Schnitzler.
Éléments biographiques
Georgette Boner est issue d’une famille aisée : son père, Georg, a été ingénieur et administrateur-délégué du groupe industriel BBC[5], fondé par son beau-père, sa femme (et mère de Georgette), Alice Kathrine Brown, étant la fille de Charles Eugene L. Brown et la sœur de l’artiste-peintre Juliet Brown (1869–1943) à qui Georgette consacrera une monographie (Die Malerin Juliet Brown. Zürich : Classen 1992). L’aisance de la famille a permis aux filles de se consacrer à leurs activités artistiques, notamment à Alice dans le domaine de la peinture et à Georgette dans celui du théâtre. À l’heure actuelle, la fondation Boner, domiciliée à Coire (Chur), soutient des activités artistiques dans les Grisons[6].
L’attrait du théâtre
Dès sa scolarité, Georgette Boner s’intéresse au théâtre et à la peinture, puis, tout en poursuivant des études de germanistique à l’Université de Zurich, elle suit des cours de théâtre, d’abord en 1924 chez Max Reinhardt à Vienne (mise en scène), puis en 1926 chez Ferdinand Gregori (1870–1928) à Berlin (dramaturgie, jeu d’acteur), avant d’entreprendre, à l’Université de Zurich, sous la direction de Robert Faesi[7], une thèse sur Arthur Schnitzler. Cette thèse, qui devait d’abord porter sur le théâtre de Schnitzler, sera finalement consacrée aux personnages féminins dans l’œuvre de l’écrivain viennois et paraîtra en 1930[8]. La correspondance qu’elle entretient avec l’écrivain porte essentiellement sur des questions de théâtre (Boner évoque, entre autres, l’idée d’adapter la nouvelle Lieutenant Gustl pour la scène, inspirée en cela sans doute par le film que Béla Balazs[9] (1884–1949) et Paul Czinner[10] (1890–1972) ont tiré en 1929 de la nouvelle Fräulein Else avec Elisabeth Bergner[11] (1897–1986) dans le rôle principal). Souhaitant mettre les théories à l’épreuve de la pratique, elle se rend, en 1929, à Paris où elle entre comme « régisseuse » dans la troupe de Georges Pitoëff[12] (1884–1939) qui monte, dès 1929 au Théâtre des Arts, Les Criminels (Die Verbrecher, 1928) de Ferdinand Bruckner (production reprise en février 1931 aux « Célestins » à Lyon et en mars 1932 au Théâtre de l’Avenue à Paris), puis crée, en 1931, la « Deutsche Bühne Paris / Studio allemand de Paris ». Elle engage et y fait jouer des acteurs et actrices autrichiens et allemands, les productions sont représentées au Studio des Champs-Élysées : Krankheit der Jugend (1926) de Bruckner (4 représentations à partir du 31 janvuer 1931)[13], le cycle Komödie der Worte (1915) de Schnitzler comprenant « Stunde des Erkennens », « Grosse Szene » et « Bacchusfest » (7 représentations du 12 au 17 juin 1931). Ces représentations en langue allemande ont logiquement trouvé davantage d’échos dans la presse germanophone (dont le Neue Pariser Zeitung, 3.6. et 13.6.1931, et, surtout, en Suisse : Basler Nachrichten, 13./14.6.1931, Neue Zürcher Zeitung, 18.6.1931), mais ont aussi été remarquées par des journaux parisiens (Comoedia et Ami du peuple du 14.6.31). Elles ont ainsi ouvert la voie à la première représentation parisienne du cycle Anatole de Schnitzler que Boner met en scène au Théâtre de l’Avenue en coopération avec Michaël Tchékhov en janvier 1932 (première le 23.1.32) et aux deux mémorables mises en scène de Georges Pitoëff, auxquelles Boner ne semble pas avoir été étrangère : La Ronde, qui connaît, au Théâtre de l’Avenue, à partir du 29 septembre 1932 un énorme succès et donne lieu à cent représentations (Ludmilla, l’épouse de G. Pitoëff, incarnant les cinq personnages féminins de ces dix dialogues), et Liebelei (Amourette), le 29 septembre 1933 au Théâtre du Vieux-Colombier. Les réactions de la presse à ces représentations en langue française ont été naturellement beaucoup plus nombreuses dans la presse française (une vingtaine de comptes rendus pour Anatole, une cinquantaine à propos de La Ronde, vingt-cinq sur Amourette), beaucoup de critiques ayant voulu voir dans les pièces de Schnitzler surtout l’influence française, l’esprit parisien et une certaine légèreté latine, voire un héritage du naturalisme (à propos d’Amourette)[14].
En 1932 commence la coopération de G. Boner avec Michaël Tchékhov qui, considéré comme l’un des plus importants disciples de Constantin Stanislawski[15] (1863–1938), marquera la formation des comédiens, notamment après son installation aux États-Unis, où il vit et enseigne à partir de la fin des années 1930 ; Boner rentre en Suisse et, après la Seconde Guerre mondiale, partage son temps entre son travail de peintre et illustratrice (influencée par plusieurs voyages en Inde, elle traite souvent de sujets religieux et philosophiques) et la formation d’élèves-acteurs. Elle y défendra les idées de M. Tchékhov, traduisant ses œuvres et publiant elle-même des livres sur l’art théâtral. On notera, aussi, l’adaptation de la nouvelle Die Schwarze Spinne de Jeremias Gotthelf[16] (1797–1854) que Boner a faite avec Robert Faesi comme livret pour l’opéra du même nom de Willy Burckhard[17] (1900–1955) créé le 28 mai 1949 à Zurich (adaptation en « drame musical » en 1956).
Références et liens externes
- ↑ https://hls-dhs-dss.ch/de/articles/046667/2002-11-08/
- ↑ https://explore.gnd.network/gnd/118624288
- ↑ https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/044638/2021-08-27/
- ↑ https://www.biographien.ac.at/oebl/oebl_B/Bruckner_Ferdinand_1891_1958.xml
- ↑ https://new.abb.com/ch/fr/a-propos-dabb/histoire
- ↑ https://www.swissfoundations.ch/mitglieder/boner-stiftung-fuer-kunst-und-kultur/
- ↑ https://lexikon.a-d-s.ch/Person/59668
- ↑ Georgette Boner : Arthur Schnitzlers Frauengestalten. Zurich, Winterthur 1930 (Thesis – Vita).
- ↑ https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb118899558
- ↑ https://www.deutsche-biographie.de/116787651.html
- ↑ https://www.deutsche-biographie.de/11850956X.html
- ↑ https://comitehistoire.bnf.fr/dictionnaire-fonds/pitoeff-georges
- ↑ ANNO, Neues Wiener Journal, 1931-01-22, p.14, https://anno.onb.ac.at/cgi-content/anno?aid=nwj&datum=19310122&query=
- ↑ Sur les détails de ces mises en scène et leur réception par la critique française, voir Karl Zieger : Arthur Schnitzler et la France 1894-1938. Villeneuve d’Ascq : PU du Septentrion 2012, p. 236–298.
- ↑ https://www.universalis.fr/encyclopedie/stanislavski/2-une-methode-originale/
- ↑ https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/011835/2020-04-08/
- ↑ https://www.willyburkhard.ch/
Bibliographie
- Boner, Georgette : Schauspielkunst: von der theatralischen Sendung und dem Wunder der Verwandlung. Zürich, Stuttgart : Classen 1988.
- Boner, Georgette : Hommage an Michael Tschechow: Schauspieler und Regisseur. Zürich : Classen 1994.
- Fischer, Eberhard, Preiswerk, Eva-Maria : Georgette Boner – Bilder, Texte, Theater. Zürich 1996.
- Tchechow, Michael : Werkgeheimnisse der Schauspielkunst. Traduit de l'Anglais et adapté par Georgette Boner et Hedwig David, avec un essai de Georgette Boner « Michael Tschechows Meisterschaft ». Zürich, Stuttgart : Classen 1979.
- Fonds Georgette Boner: https://www.zhdk.ch/forschungsprojekt/426796
Auteur
Karl Zieger
Mise en ligne : 28/04/2025