Édouard Molinaro

Réalisateur, scénariste et dialoguiste français, Édouard Molinaro (*13 mai 1928 à Bordeaux, † 7 décembre 2013 à Paris) s’est distingué par une œuvre télévisuelle et cinématographique d’une grande diversité, conciliant des succès populaires avec une production plus confidentielle, tournée vers des formes narratives exigeantes. Dans les années 1980, il développe un lien privilégié avec l’univers psychologique et la rigueur formelle de Stefan Zweig, dont il adapte La Ruelle au clair de lune, La Pitié dangereuse et L’Ivresse de la métamorphose pour la télévision. Il exprime également son admiration pour Arthur Schnitzler, dont il salue la virtuosité dramaturgique, en particulier dans La Ronde. En 1991, il réalise l’adaptation télévisuelle de L’Amour maudit de Leisenbohg, poursuivant son exploration de l’univers viennois fin de siècle. Cette double référence témoigne d’une orientation esthétique fondée sur l’introspection, la construction maîtrisée du récit et une sensibilité marquée à la littérature autrichienne.
Biographie
Formé à l’Institut des hautes études cinématographiques (IDHEC), Molinaro débute sa carrière par la réalisation de courts-métrages avant de signer, dès la fin des années 1950, ses premiers longs métrages. Il se distingue rapidement par sa capacité à évoluer entre différents registres, alliant efficacité narrative et sens du rythme. Sa notoriété s’affirme durablement dans les années 1970 grâce à des comédies populaires du cinéma français, telles que Oscar (1967) ou La Cage aux folles (1978), cette dernière connaissant un succès international.
Parallèlement à cette orientation grand public, le réalisateur développe une œuvre télévisuelle plus discrète mais d’une grande exigence littéraire. Il s’attache notamment à l’adaptation d’écrivains européens de langue allemande et anglaise, tels que Stefan Zweig, Arthur Schnitzler et Henry James. Dans son autobiographie Intérieur soir (2009), il évoque à plusieurs reprises la tension persistante entre les attentes du public – qui l’identifie au registre comique – et ses propres aspirations orientées vers des thèmes plus introspectifs et littéraires. Molinaro décède à Paris en 2013. Il laisse derrière lui une œuvre polymorphe, marquée par le désir de transposer à l’écran la complexité des âmes humaines et d’offrir à la télévision française un espace de dialogue fécond avec la littérature.
==Molinaro et Zweig : une affinité élective?? Dans les années 1980, Molinaro signe trois adaptations télévisuelles d’œuvres de Stefan Zweig : La Pitié dangereuse (1979), La Ruelle au clair de lune (1988) et L’Ivresse de la métamorphose (1989). Portées par une distribution prestigieuse – où figurent notamment Mathieu Carrière[1], Marie-Hélène Breilla[2], Michel Piccoli[3], Niels Arestrup[4], Évelyne Bouix[5], Marthe Keller[6] ou encore Catherine Arditi[7] –, ces réalisations témoignent de l’intérêt du cinéaste pour l’univers littéraire de Zweig, qu’il perçoit comme particulièrement favorable à la transposition télévisuelle en raison de la complexité psychologique de ses personnages et de la rigueur de sa construction narrative.
Le tournage de La Pitié dangereuse a lieu à Vienne, avec Mathieu Carrière et Marie-Hélène Breillat dans les rôles principaux. Molinaro salue à cet égard le travail de son chef opérateur, Michael Epp, « un authentique Viennois dont la compétence et la sensibilité [l’] accompagneront pendant vingt ans, jusqu’à sa mort »[8]. Pour l’adaptation de La Ruelle au clair de lune, que le réalisateur qualifie de « récit sans pathos sur la déchéance amoureuse »[9], il collabore avec la scénariste Christine Miller[10]. Ensemble, ils optent pour le recours à la voix off, seul procédé jugé apte à préserver la fidélité à la nouvelle de Zweig. Le rôle du narrateur est confié à Niels Arestrup qui donne puissance et sensibilité à la figure du « professeur Klemm » (ainsi nommé dans l’adaptation). La descente aux enfers du protagoniste principal, « Pierre Willer », est quant à elle incarnée par Michel Piccoli, dont Molinaro salue le génie et les qualités humaines[11]. Pour le téléfilm en deux parties L’Ivresse de la métamorphose, enfin, le réalisateur choisit de situer le tournage en République tchèque, notamment à Prague, qu’il considère propice « à l’évocation de l’Autriche du début du XXe siècle »[12]. Il complète le décor par des prises de vue à Karlovy Vary (Carlsbad) dont l’esthétique baroque, selon lui, enrichit l’univers visuel de Zweig et l’inspire dans la conception d’un dénouement aux accents « post-felliniens »[13]. Il déplore, cependant, que la post-production ait abusivement étiré l’adaptation sur une durée de 180 minutes, une contrainte imposée par les exigences télévisuelles. Cette extension arbitraire a, selon lui, nui à l’équilibre du récit et trahi en partie l’intensité de la nouvelle de Zweig[14].
Dans un entretien avec Jean-Claude Loiseau[15], Molinaro précise les raisons qui l’ont conduit à adapter Zweig à la télévision. Il insiste sur deux qualités fondamentales de son œuvre : la solidité de la construction du récit et la force expressive de ses figures romanesques. Il évoque également le contexte viennois de l’entre-deux-guerres comme étant un cadre particulièrement riche d’un point de vue émotionnel et esthétique, susceptible d’être reconstitué à l’écran avec une grande puissance évocatrice[16]. Le réalisateur précise que Zweig est pour lui un auteur « cinématographique » vers lequel il s’est tourné « naturellement ». Il souligne toutefois que de tels projets auraient été inenvisageables au cinéma, où il reste durablement associé à la comédie ou au vaudeville. Cette catégorisation, issue de ses succès populaires antérieurs, l’aurait dissuadé, selon ses propres termes, de proposer des œuvres plus ambitieuses ou plus graves pour le grand écran.
Schnitzler à l’écran : entre fidélité et invention
Dans son autobiographie, Molinaro exprime également un vif intérêt pour l’œuvre dramatique d’Arthur Schnitzler, en particulier pour La Ronde, pièce emblématique du théâtre viennois de la modernité[17]. C’est dans cet esprit qu’il entreprend l’adaptation télévisuelle de la nouvelle L’Amour maudit de Leisenbohg (1991).
Séduit par la densité symbolique et les résonances psychanalytiques du récit – qui convoque des motifs récurrents chez Schnitzler tels que l’érotisme, le rêve, le scepticisme ou encore la fatalité –, Molinaro conçoit une mise en scène stylisée, empreinte de lyrisme et d’ironie. Autour du baron de Leisenbohg, il imagine un univers singulier, enrichi par la création d’un personnage secondaire original : un « Sganarelle en jupon »[18], figure à la fois comique et attendrissante, qui vient faire contrepoint à la dimension tragique du protagoniste. Le téléfilm réunit Anouk Aimée[19] dans le rôle de Lola, cantatrice animée par un désir de vengeance, et Michel Piccoli dans celui du baron, personnage dépravé et tourmenté. Christine Citti[20] incarne quant à elle la conscience accusatrice du héros. À l’instar de L’Ivresse de la métamorphose, le tournage se déroule à Prague. Le téléfilm, porté par la photographie onirique de Michael Epp[21] et le talent de Michel Piccoli, reflète la sensibilité du réalisateur, bien que, selon ses propres dires, il soit éloigné des préoccupations d’un public populaire[22]. À travers ces adaptations des œuvres de Zweig et de Schnitzler, Molinaro met en lumière un univers imprégné de subtilité, d’élégance formelle et de mélancolie. Ces choix esthétiques révèlent son admiration pour un art narratif fondé sur la retenue et la précision – des qualités que le cinéaste s’est efforcé de transposer dans ses propres réalisations.
Références et liens externes
- ↑ https://explore.gnd.network/gnd/124940277
- ↑ https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb13891826z
- ↑ https://www.deutsche-biographie.de/118940937.html
- ↑ https://www.filmportal.de/person/niels-arestrup_6a74b9ee51c3475c95818155c3502c51
- ↑ https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb13929625q
- ↑ https://explore.gnd.network/gnd/12119857X
- ↑ https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb14654932v
- ↑ Molinaro 2009, 189
- ↑ ibid., 225
- ↑ https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb141216873
- ↑ Molinaro 2009, 226
- ↑ ibid., 223
- ↑ ibid., 224
- ↑ ibid., 225
- ↑ https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb11913240k
- ↑ Molinaro 2012, chap. 40
- ↑ Molinaro 2009, 245
- ↑ ibid.
- ↑ https://www.dictionnaire-creatrices.com/fiche-anouk-aimee
- ↑ https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb14673613x
- ↑ https://explore.gnd.network/gnd/1103481398
- ↑ Molinaro 2009, 247
Bibliographie
- Molinaro, Édouard : La Pitié dangereuse, Antenne 2, PROGEFI, Taurus Films, couleur, 1979, 168 minutes.
- Molinaro, Édouard : La Ruelle au clair de lune, FR3, couleur, 1988, 90 minutes.
- Molinaro, Édouard : L’Ivresse de la métamorphose, TF1, PROGEFI, Taurus Films, couleur, 1989, 180 minutes.
- Molinaro, Édouard : L’Amour maudit de Leisenbohg, FR3, PROGEFI, Taurus Films, couleur, 1991, 180 minutes.
- Molinaro, Édouard : Intérieur soir. Paris : A. Carrière 2009.
- Molinaro, Édouard : Entretien réalisé par Jean-Claude Loiseau pour la série documentaire « Paroles de cinéastes ». Entretiens patrimoniaux de l’INA, réal. Dominique Froissant, 2012. Disponible sur https://entretiens.ina.fr/entretien/271/edouard-molinaro/transcription/61 (consulté le 15 mai 2025).
Auteur
Irène Cagneau
Mise en ligne : 28/05/2025