Olivier Mannoni

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Olivier Mannoni (2022)

Olivier Mannoni (* 14 septembre 1960 à Tours) est un traducteur majeur de l’allemand, notamment de Manès Sperber, Sigmund Freud, Stefan Zweig, d’auteurs contemporains germanophones, ainsi que d’un grand nombre de textes en lien avec le nazisme.

Biographie

Son père était professeur d’allemand, sa mère germaniste, traductrice, critique littéraire et femme de lettres (Nicole Casanova). Son grand-père paternel est mort à bord du Meknès, coulé par une torpille allemande en 1940, « bien après le cessez-le-feu et alors que son navire rentrait vers la France toutes lanternes allumées en signe de non-belligérance.[1] ». Pour O. Mannoni, son père « a passé sa vie à parler et à enseigner l’allemand, à apprendre par cœur les poèmes de Nietzsche, comme s’il lui fallait à tout prix chercher à comprendre, à courir après une réconciliation.[2] » O. Mannoni commence à pratiquer la langue allemande dès l’âge de six ans avec un répétiteur autrichien[3] et après une khâgne à Henri-IV, puis des études de lettres et de philosophie, il devient journaliste et critique littéraire.

La première œuvre qu’il traduit est un essai sur la vie et l’œuvre du peintre George Grosz[4], paru chez Maspero en 1979. C’est à partir de 1987 qu’il vit de sa plume de traducteur, pour les éditeurs les plus réputés (Grasset, Gallimard, Fayard, Le Seuil, Payot, Christian Bourgois, Calmann-Lévy...). A posteriori, il explique être passé dans « une autre catégorie » grâce à la reconnaissance de Nicole Zand qui a publié un article dans Le Monde sur ses traductions de Manès Sperber[5]. Il est par ailleurs l’auteur d’une biographie de Manès Sperber, de deux ouvrages sur Günter Grass[6] et d’un recueil sur l’humour de Sigmund Freud. Il a publié aux éditions Héloïse d’Ormesson Traduire Hitler (2022) et Coulée brune. Comment le fascisme a inondé notre langue (2024).

Entre 2007 et 2012, il est président de l’Association des traducteurs littéraires de France, puis en charge de la conception de l’École de traduction littéraire (ETL), créée en 2012 par le Centre national du livre et portée depuis 2015 par l’Association nationale pour la formation et le perfectionnement professionnels dans les métiers de l’édition (ASFORED), école qu’il dirige encore aujourd’hui. Il donne également des cours sur le métier de traducteur littéraire dans le cadre du Master de Traduction de l’Université de Strasbourg et prononce de nombreuses conférences dans des universités. Il lui arrive de réviser des traductions ou de travailler en collaboration avec d’autres traducteurs.

Les auteurs qu’il a le plus traduits sont les philosophes Peter Sloterdijk[7] et Byung-Chul Han[8], philosophe sud-coréen vivant en Allemagne, l’écrivain d’origine galicienne Manès Sperber, ainsi que l’écrivain suisse Martin Suter[9]. Il traduit aussi bien de grands auteurs (Max Frisch, Franz Kafka, Arthur Koestler, Botho Strauss) que des écrivains oubliés (Ludwig Hohl, Walter Serner), des romans policiers (Bernhard Schlink) que des romans historiques grand public (Peter Berling). Il transpose en français des textes d’auteurs germanophones contemporains (Maxim Biller, Sherko Fatah, Maxim Leo, Uwe Tellkamp), ainsi que de journalistes (Frank Schirrmacher, Alice Schwarzer). En plus d’avoir traduit ou retraduit des penseurs canoniques (Theodor Adorno, Hannah Arendt, Walter Benjamin, Max Weber), c’est un passeur de philosophie, d’études littéraires, anthropologiques, économiques, écologiques, d’œuvres concernant la musique, le cinéma, la peinture, l’art, mais aussi des textes de spécialistes de l’église. Il a aussi traduit le témoignage de Natascha Kampusch[10].

Toutefois, son plus grand défi est certainement d’être le passeur majeur de la langue nazie en France, se distinguant par un refus, dans ce cas, d’une publication brute. Il impose un accompagnement critique solide établi par des historiens[11]. Un quart de sa production environ est consacré au nazisme et il a écrit plusieurs articles à ce sujet. Il a traduit des œuvres et des témoignages de victimes (Richard Galzar, Ralph Giordano, Roma Ligocka, Moriz Scheyer) mais aussi de ‟bourreauxˮ (Joseph Goebbels, Heinrich Himmler, Adolf Hitler, Alfred Rosenberg), ainsi que des analyses du IIIe Reich (Joachim Fest, Guido Knopp, Peter Reichel, Harald Welzer…). À quoi il faudrait encore ajouter les nombreux articles historiques qu’il a traduits, notamment pour la Revue d’histoire de la Shoah.

Son premier contact de traducteur avec la langue du nazisme s’est fait par l’étude de Benno Müller-Hill[12] sur la ‟science nazieˮ, parue en 1989, et le ‟couronnementˮ de sa carrière d’expert de cette langue si bien étudiée par Victor Klemplerer[13] (dans les pas duquel il se met) est sa traduction de Mein Kampf parue en 2021 chez Fayard. Suite à cette parution, il est revenu sur cette expérience, ses conséquences et plus largement son parcours dans un essai intitulé Traduire Hitler. Il y raconte la remise de sa traduction au bout de deux ans, soit d’un texte à peu près lisible et fidèle, puis l’arrivée d’un nouveau directeur de publication du livre chez son éditeur (l’historien Florent Brayard) qui lui demande de « démonter radicalement » tout son travail et de « le remonter de telle sorte que le livre soit exactement dans l’état [...] où Hitler l’avait laissé en 1925 : bourbeux, criblé de fautes et de répétitions, souvent illisible, doté d’une syntaxe hasardeuse et truffé de tournures obsessionnelles.[14] » Mannoni accepte cette nouvelle tâche, une « traversée du boyau obscur » qui durera quatre ans[15] et débouchera sur cette traduction qualifiée, dans l’Introduction de l’édition de 2021[16], de « sourciste ».

Pour le domaine autrichien, en plus de ses traductions d’œuvres de Manès Sperber (chez Odile Jacob) et de l’ouvrage qu’il lui a consacré, il est un des passeurs des textes de Sigmund Freud et Stefan Zweig. Au nombre des textes littéraires autrichiens contemporains qu’il a traduits se trouvent : À ce point de folie : d’après l’histoire du naufrage du Radeau de la méduse (2017, trad. 2018) et Toute une expédition : la vie héroïque du conquistador qui rêvait de gloire et de Californie de Franzobel (2021, trad. 2022), ou encore de Dégénérescence de la chair du cœur de Ludwig Laher (2001, trad. 2006), Le Tueur à la caméra de Thomas Glavinic (2001, trad. 2007), La Cravate de Milena Michiko Flašar (2012, trad. 2013), La Capitale de Robert Menasse (2017, trad. 2019), Le Grand Rire des hommes assis au bord du monde de Philipp Weiss (2018, trad. 2021), Terre liquide de Raphaela Edelbauer (2019, trad. 2021), sans oublier les poèmes du pianiste Alfred Brendel (né en 1931). Il est aussi le traducteur de l’Histoire sociale de l’Autriche d’Ernst Bruckmüller (1985, trad. 2003).

Dans les textes contemporains autrichiens qu’il traduit en français, il est souvent question du passé nazi, ce qui peut relever d’un goût du traducteur (puisque depuis quelques années Olivier Mannoni choisit ce qu’il traduit) ou de l’importance majeure de ce passé pour les écrivains contemporains.

Son choix de (re)traduire Freud, qu’il s’agisse de textes canoniques ou de sa correspondance, témoigne de son goût du défi puisque traduire cet auteur revient à affronter des débats profonds (notamment entre spécialistes de Freud et germanistes) portant sur une terminologie ayant débouché sur une pratique thérapeutique (et qu’on peut donc faire difficilement évoluer). À cet égard, son originalité est de traduire Freud en tant que philosophe et écrivain, et pas en tant que clinicien[17]. S’appuyant sur l’exemple de « Phantasie », il explique dans un entretien que Freud s’en sert pour qualifier le « fantasme », mais aussi l’« imaginaire », de sorte que « réduire le mot à un seul sens – ou, pire, le traduire par ‘fantaisie’ sous prétexte qu’il est nécessaire de disposer d’un terme unique –, c’est castrer le texte et surtout nier la dimension littéraire et créative du texte freudien.[18] »

De Zweig, il a traduit Une histoire au crépuscule, Petite nouvelle d’été (avec Rose Labourie), Jérémie (associé à des articles inédits écrits en 1915), Adam Lux, Le Monde sans sommeil, Quatre histoires du pays des enfants, La Fuite dans l’immortalité, Le Wagon plombé suivi de Voyage en Russie et Sur Maxime Gorki, ainsi que Le Joueur d’échecs, La Confusion des sentiments, Amok, La Ruelle au clair de lune sans oublier ses biographies de Baudelaire, Nietzsche, Fouché, Marie Stuart et Marie-Antoinette. Il explique qu’Alzir Hella, premier traducteur et ami de Zweig, avait beaucoup amélioré le texte (du point de vue littéraire) mais que, depuis quelques décennies, la tendance est plutôt de restituer le plus fidèlement possible le texte de Zweig, tout en supprimant quand même ses lourdeurs[19].

Au poncif du traduttore, traditore (traducteur traître), Olivier Mannoni répond – non sans humour – par traduttore, trattore (traducteur tracteur)[20] ! Décrivant, en pédagogue qu’il est, le véritable travail de traduction, il énonce son credo en ces termes : « La fascination de voir la phrase russe, anglaise, chinoise, latine, que sais-je, sonner soudain en français comme dans sa langue d’origine, identique et pourtant tellement différente[21] », le gout de l’interprétation, dans le respect de la polysémie et du contexte[22]. Sous sa plume, l’art de la traduction est un artisanat[23], davantage qu’un art ou une science.

Références et liens externes

  1. entretien avec E. Doerler
  2. Ibid.
  3. entretien avec J.-C. Perrier
  4. https://www.universalis.fr/encyclopedie/george-grosz/
  5. entretien avec E. Doerler
  6. https://www.universalis.fr/encyclopedie/gunter-grass/
  7. https://www.universalis.fr/encyclopedie/peter-sloterdijk/
  8. https://dai-heidelberg.de/en/events/byung-chul-han-40961/
  9. https://bourgoisediteur.fr/auteur/suter-martin/
  10. 3096 Jours, J.-C. Lattès 2010
  11. Traduire Hitler : Paris : Héloïse d’Ormesson 2022, p. 11
  12. https://www.persee.fr/doc/bmsap_0037-8984_1989_num_1_1_1709_t1_0158_0000_1
  13. https://www.universalis.fr/encyclopedie/victor-klemperer/
  14. Traduire Hitler, p. 34
  15. Ibid., p. 35
  16. p. XXIX
  17. entretien avec E. Sandron 2013, p. 54
  18. Ibid., p. 53
  19. entretien avec S. Mikleusevic
  20. Cf. article Revue de la BNF
  21. Ibid.
  22. entretien avec C. Gepner 2019
  23. cf. article En attendant Nadeau

Bibliographie

Prix obtenus

  • Prix Eugen-Hemlé 2018 pour l’ensemble de son œuvre
  • Prix Charles Oulmont 2023 pour Traduire Hitler
  • Chevalier des Arts et des Lettres 2023

Monographies d'O. Mannoni

  • Coulée brune. Comment le fascisme a envahi notre langue. Paris : Héloïse d’Ormesson 2024.
  • Traduire Hitler. Paris : Héloïse d’Ormesson 2022.
  • Manès Sperber : l’espoir tragique, préface de Jean Blot. Paris : Albin Michel 2004.
  • Günter Grass : l’honneur d’un homme. Paris : Bayard 2000.
  • Un écrivain à abattre : l’Allemagne contre Günter Grass. Paris : Ramsay 1996.

Quelques articles d'O. Mannoni

  • « Un nouveau visage de la haine ». In : La Revue lacanienne t. 24, n° 1 (2023), p. 151–155.
  • « La langue en lambeaux : la pensée totalitaire et la fragmentation du langage ». In : Cités t. 93, n° 1 (2023), p. 35–44.
  • « Les pièges du langage totalitaire : traduire le nazisme ». In : Traduire t. 240 (2019) http://journals.openedition.org/traduire/1654
  • « La force de l’incohérence ». In : Contemporary French and Francophone Studies t. 21, n° 5 : Translating Trump (2017), p. 548–555.
  • « Apprendre à creuser ». En attendant Nadeau, 25 juillet 2017. https://www.en-attendant-nadeau.fr/2017/07/25/apprendre-creuser-traductologie/
  • « Traduttore, trattore ». In : Revue de la BNF t. 38, n° 2 (2011), p. 40–43.

Ouvrages cités

  • Schneede, Uwe M., Bussmann, Georg, Schneede-Sczesny, Marina : George Grosz : vie et œuvre, traduction d’Olivier Mannoni. Paris : Maspero 1979.
  • Müller-Hill, Benno : Science nazie, science de mort, traduction d’Olivier Mannoni. Paris : Odile Jacob 1989.
  • Bruckmüller, Ernst : Histoire sociale de l’Autriche, 1985, trad. d’Olivier Mannoni, préface de Jacques Le Rider. Paris : éditions de la Maison des sciences de l’homme 2003.
  • Brayard, Florent, Wirsching, Andreas (dir.) : Historiciser le mal. Une édition critique de Mein Kampf. Paris : Fayard 2021.

Entretiens cités

Auteur

Aurélie Barjonet

Mise en ligne : 07/10/2024