Mozart l’opéra-rock

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Mikelangelo Loconte, interprète du rôle titre, lors d'une représentation de Mozart l'opéra rock

Mozart l’opéra-rock est un spectacle musical français produit par Dove Attia[1] et Albert Cohen, créé au Palais des sports de Paris le 22 septembre 2009 dans une mise en scène d’Olivier Dahan[2]. Le spectacle, mêlant chansons pop-rock françaises et airs du répertoire du compositeur autrichien, suit la vie tumultueuse du jeune Wolfgang entre l’Autriche et la France depuis sa jeunesse sous le règne du prince-archevêque Colloredo de Salzbourg[3] (1772-1777) jusqu’à sa mort prématurée (1791). À l’instar d’un biopic cinématographique, ce spectacle français mainstream utilise un certain nombre de clichés renvoyant à un imaginaire autrichien pittoresque du XVIIIe siècle.

Conception du spectacle

Les textes des chansons et les musiques sont signés par un collectif de paroliers et de compositeurs réunis autour de Dove Attia. Les chorégraphies sont l’œuvre de Dan Stewart. Le livret a été écrit par Dove Attia et François Chouquet[4]. Nourri des correspondances de l’artiste et documenté par de nombreuses biographies, le spectacle est l’équivalent sur scène d’un biopic au cinéma. Le show est intermédial et ne peut se comprendre sans les références cinématographiques que sont Amadeus de Miloš Forman[5] (1984) et dans une moindre mesure Marie-Antoinette de Sofia Coppola[6] (2006). Pour satisfaire à l’efficacité dramatique de son histoire, les références historiques, biographiques et cinématographiques se mêlent : le personnage du Comte Rosenberg[7], véritable figure d’histrion dans le spectacle, déclame par exemple la célèbre citation « Trop de notes ! » attribuée à Joseph II[8], déjà reprise dans le film de Forman.

Mozart l’opéra rock est classé numéro 1 des ventes de spectacles en 2009/2010 en France, avec plus de 1 500 000 billets vendus[9]. La version concert a attiré en 2013 plus de 50 000 spectateurs. Si la production n’a jamais effectué de tournée dans les pays germanophones, il a connu un succès sans précédent en Russie et surtout en Asie.

L’argument dramatique : allers et retours entre Vienne et Paris

L’intrigue, qui repose sur les pérégrinations de l’artiste, est une célébration du génie mozartien. Si Mozart a parcouru l’Europe (avec quelques séjours parisiens) avec son père avant l’âge de 17 ans, Attia et Chouquet ont choisi de faire commencer l’action à Salzbourg au moment de l’avènement du prince-archevêque Colloredo (1772) et la répudiation du musicien de 22 ans par ce dernier (1777).

Dès le premier numéro (« Penser l'impossible »), le personnage de Mozart se caractérise par le mouvement scénique et la rupture de la bienséance. Son entrée en scène, pendant laquelle il rit à gorge déployée et réalise une révérence parodique au public qui a pour effet de rompre le quatrième mur, engage un mouvement chorégraphique exacerbé par le son des guitares électriques et des percussions électroniques. Enclin au désapprentissage de l’académisme et à la désobéissance face au rigorisme politique, Mozart quitte l’Autriche pour Mannheim où il rêve à un grand opéra en allemand. Sur missive de son père, il est sommé de se rendre à Paris pour établir sa carrière (1778). C’est là qu’il compose plusieurs œuvres importantes, dont la Symphonie no. 31, surnommée « Paris ». Le spectacle musical ne retient de l’expérience française que la difficulté de se faire une place, le libertinage naissant et la mort de la mère (dont les funérailles ont lieu en l’église Saint-Eustache). La chanson phare du spectacle « Tatoue-moi » dénonce l’arrogance des bourgeois parisien tout en plébiscitant les inconvenances du jeune Mozart. À la mort de sa mère, l’artiste éconduit déclare : « Ceux qui ne savaient rien de moi m’ont regardé d’une façon totalement risible. Ils s’imaginent donc, parce que je suis petit et jeune, qu’il ne peut rien exister en moi de grand et de mûr ? Eh bien, ils vont s’en rendre compte bientôt. » Paris devient donc le berceau de la maturation artistique du jeune compositeur, qui après cet épisode revient en Autriche.

L’acte II met en valeur le travail de répétition et les représentations des Noces de Figaro, opéra bouffe composé en 1786 et présenté pour la première fois au Burgtheater de Vienne le 1er mai de la même année. L’opéra mozartien, qui adapte la comédie de Beaumarchais[10], a tout comme elle provoqué un certain scandale en raison de sujets tels que la lutte des classes, la fidélité et la critique des mœurs aristocratiques. « Je déteste les convenances », assume le personnage pendant les répétitions, provoquant des réactions mitigées allant de l’admiration pour certaine audace par la modernité esthétique (« Le Bien qui fait mal ») jusqu’au mépris comique dont le personnage de Rosenberg, l’intendant de Joseph II, est le représentant. L’intrigue met en lumière les relations familiales et amoureuses du personnage éponyme, comme de convention dans un spectacle musical, sans se départir d’une réflexion sur ses relations artistiques et politiques notamment par le biais du personnage d’Antonio Salieri[11] qui apparaît dans l’acte II.

L’esthétique : Mozart et l’opéra-rock français

Bien que sous-titré « opéra-rock », l’œuvre relève plutôt de la typologie du concert dramatique. Les tubes de l’album concept préexistant au spectacle se succèdent tout en faisant avancer l’action et des numéros théâtraux introduisent et glosent les chansons. Il faut donc comprendre le sous-titre comme définissant à la fois l’esthétique de l’œuvre et celle de son personnage éponyme. Le projet illustre la capacité de la musique classique à évoluer et à se réinventer, tout en restant pertinente dans le paysage culturel contemporain. Il mêle ainsi subtilement la musique de Mozart dite « classique » et le chant lyrique d’une part et les rythmes et vocalités pop-rock d’autre part. Jouant constamment sur la modernisation des formes classiques, Mozart l’opéra-rock se définirait comme une œuvre de « rock lyrique »[12] dans le style de Queen ou des Sparks. Le spectacle mettant en scène dans l’acte II le travail de l’artiste cite de nombreux passages du Requiem et de L’Enlèvement au Sérail ainsi que le final de l’acte III des Noces de Figaro. D’autres références à l’œuvre de Mozart ponctuent les deux actes et assurent un accompagnement sonore des passages parlés. La vocalité lyrique en langue allemande et les voix pop contemporaines françaises fusionnent parfois au sein d’un même titre (« Vivre à en crever »). Les intermèdes théâtraux, déclamés en français, se mêlent au langage musical mozartien par la présence d’extraits de La Flûte enchantée, des Symphonies no. 10 et no. 40, de la Symphonie concertante, du Concerto no 23 pour piano, de la Petite musique de nuit, de la Messe funèbre maçonnique et du Concerto pour clarinette. L’œuvre relève d’une esthétique de la fusion entre ce qui est devenu l’académisme opératique et l’entertainment populaire d’un « hyperspectacle de producteurs[13] ».

Les compositions mozartiennes apparaissent comme des citations de l’œuvre de l’artiste, mais remplissent également une fonction dramatique. Le célèbre Dies Irae surgit dès la première scène pour marquer l’avènement de Hieronymus Joseph Colloredo au pouvoir (1772) : ce puissant passage du Requiem, sans introduction, lance le spectacle sur la dynamique de la peur, que l’arrivée du trublion Wolfgang viendra casser. Le Dies Irae se réactualise donc dans un spectacle de pop culture contemporaine. De même, les fantaisies du personnage de Mozart sont théâtralement interprétées sur des fonds musicaux classiques : la grotesque dispute avec la famille Weber dans l’acte II se joue sur la Sonate en La Majeur (Alla Turca, Allegretto). Sur ce modèle, chaque extrait de l’œuvre de Mozart convoqué suscite un défigement et une modernisation : la répétition de L’Enlèvement au Sérail, interprétée par la chanteuse lyrique Estelle Micheaud, laisse ainsi place au titre rock « Le Bien qui fait mal ». Les décors, les costumes et les chorégraphies sont soigneusement conçus pour plonger le spectateur dans l’univers baroque de l’époque de Mozart, tout en intégrant des éléments modernes qui reflètent l’énergie du rock. L’utilisation du clavecin ou du violon dès l’ouverture inscrit l’intrigue dans l’espace-temps d’un XVIIIe siècle germanique tout en l’associant avec le numérique et les instruments rock. Les arrangements modernes et les performances vocales puissantes donnent une nouvelle vie aux classiques et les rendent accessibles à un public contemporain. Certains numéros permettent la fusion d’une esthétique pittoresque à la verve du savoir-faire des productions hyperspectaculaires. Le spectacle ne se prive pas de reprendre un certain nombre de clichés renvoyant à un imaginaire autrichien, comme la caricature tyrolienne dans « La chanson de l’aubergiste », cependant censée se dérouler à Mannheim, ou de citer les signes traditionnels de la mode du XVIIIe siècle (perruques blanches poudrées dites « en bourse ») que le costumier Gigi Lepage a modernisés. L’entreprise Swarovski[14], dont le siège historique se situe à Wattens, a par ailleurs habillé les artistes de ses bijoux et cristaux.

Mozart l'opéra rock, Le trublion

Mais Mozart l’opéra-rock ne travaille pas exclusivement sur une réappropriation moderne des airs classiques ou sur l’hybridation des formes musicales. L’esthétique est en effet à l’image du personnage principal, campé comme un histrion sulfureux et insolent. Les chansons « Le trublion », « Place je passe », « Je danse avec les dieux » et « Le carnivore » offrent la peinture d’un personnage libre-penseur que l’éthos de son interprète (Mikelangelo Loconte[15]) conforte en icône rock star. C’est par le vecteur des danses urbaines et de l’expression des corps en scène que l’esprit de liberté s’exprime. Le choix par exemple de travailler sur des rythmes hip-hop et de mettre en scène des performers torses nus ajoute à l’esthétique de la libération des mœurs tout en jouant sur l’érotisation des corps. L’importance accordée aux répétitions de L’Enlèvement au Sérail, qui dans l’acte II suscite polémiques et débats autour de l’esthétique de l’artiste, témoigne de la verve et de l’originalité de Mozart : au service de Joseph II et malgré la critique, il compose Die Entführung aus dem Serail en 1782 pour le Burgtheater de Vienne, inauguré en 1741 et destiné à accueillir des opéras en allemand.

Mozart et Mozart sont donc à la comédie musicale classique ce que l’écriture en allemand est à l’opéra Viennois : un défigement des formes académiques, un renouveau de l’écriture et une modernisation de l’esthétique par la bigarrure et l’hybridation. Comme Mozart qui souhaitait rendre l’opéra plus accessible au public germanophone en utilisant une langue que la majorité des spectateurs pouvaient comprendre et apprécier, Attia et Cohen ont permis de mettre en avant la richesse de la musique classique en popularisant la vie du compositeur et en montrant la diversité des expressions culturelles. L’antagonisme esthétique entre Mozart et Salieri, occupant l’acte II, est à l’image de la verve du spectacle musical populaire français qui collabore, défige et renouvelle le désormais académisme opératique mozartien.

Références et liens externes

Discographie et filmographie

  • Attia, Dove, François Chouquet, Rod Janois, Jean-Pierre Pilot, William Rousseau, Olivier Shultheis et al. : Mozart l’opéra-rock (Double CD), Warner Music France, 2010.
  • Dahan, Olivier : Mozart l’opéra-rock, Gie Sphe-TF1, 2010, 135 minutes.

Bibliographie

  • Jeannot-Guérin, Bernard : La comédie musicale à la française. De l’opéra-rock à l’opéra urbain. Aix-en-Provence : Presses Universitaires de Provence 2024 (coll. « Chants Sons »).
  • Jelery, Jean-Luc : Le Musical. Propos sur un art total. Marcoussis : Beslon 2015.
  • Jelery, Jean-Luc : Opéra-rock. Mensonges et vérité. Marcoussis : Beslon 2022.
  • Papieau, Isabelle : De Starmania à Mozart L’Opéra-Rock, les Stratégies de la séduction. Paris : L’Harmattan 2010.

Auteur

Bernard Jeannot-Guérin

Mise en ligne : 23/04/2025