Margret Kreidl

Margret Kreidl[1], née en 1964 à Salzbourg, exerce depuis 1989 le métier d’écrivaine (théâtre, pièces radiophoniques, prose, poésie). Depuis 1990, ses pièces sont régulièrement jouées en Autriche ainsi qu’à l’étranger (mises en scène entre autres à Graz, Vienne, Berlin, Munich, Zurich, Amsterdam, Tel-Aviv, Paris, Marseille). Depuis 2015, elle enseigne au célèbre Max Reinhardt Seminar de Vienne. Margret Kreidl est lauréate de divers prix, dont le Prix littéraire de la ville de Vienne (Preis der Stadt Wien für Literatur) en 2021 et le Prix H. C. Artmann en 2024.
Présentation de l’auteure et de son œuvre
L’œuvre de Margret Kreidl se caractérise à la fois par une constante dans son engagement pour le travail verbal et par un éclectisme dans la diversité des formes que prend ce travail et des références qui le nourrit, que l’on pense aux dialogues scéniques comme Dankbare Frauen (1996) ou Grinshorn und Wespenmaler (2001), à son alphabet de rêves Einfache Erklärung. Alphabet der Träume (2014), qui n’est pas un journal de rêves, au réinvestissement de l’acrostiche dans Schlüssel zum Offenen (2021) ou encore à son poème en prose ou monologue poétique Eine Schwalbe falten (2009). Dans tous les cas, il s’agit pour l’auteure d’interroger les genres, d’en dépasser les frontières, mais aussi de mettre à nu des travers de la société, car l’œuvre de Margret Kreidl est une œuvre engagée, un « engagement qui sait faire abstraction de tout discours idéologique abstrait et/ou fléché d’avance, à la construction artificielle », comme le soulignait Jeanne Benay en 2001 dans le numéro 53 d’Austriaca[2], un engagement qui se préoccupe tout particulièrement de la place des femmes[3] dans la société actuelle (on pense spontanément au titre de son recueil publié en 2023 Mehr Frauen als Antworten. Gedichte mit Fußnoten), mais aussi des siècles passés (en mars 2025, Margret Kreidl présente, avec Michael Hammerschmid[4], la poète mexicaine baroque Juana Inès de la Cruz[5] et son œuvre). Lors de la remise du Prix H. C. Artmann, Annemarie Türk propose un parcours dans l’œuvre de Margret Kreidl, mettant elle aussi en évidence son engagement, sa dimension extrêmement poétique, mais évoquant aussi son humour et sa créativité verbale. De plus, elle rappelle que l’auteure Margret Kreidl se définit comme une lectrice[6]. Parmi ses lectures, la littérature de langue française occupe une place importante.
Margret Kreidl et la littérature française
Dans son recueil Zitat, Zikade. Zu den Sätzen, qui rassemble des écrits souvent poétologiques, à l’impulsion renouvelée par diverses lectures, Margret Kreidl indique dans un texte aux accents autobiographiques : « Das ist Frankreich für mich, sage ich, das Land meines Herzens, seit ich mit 17 zum ersten Mal dort war.[7] ». La France, la culture et la littérature françaises sont des sources d’inspiration essentielles pour Margret Kreidl. Ainsi peut-on interpréter son travail sur les jeux de mots, sur les listes, sur les libres associations d’idées et de sons ou encore son intérêt pour le rêve comme le signe d’une influence du surréalisme et de l’Oulipo, même s’il ne faut pas oublier, pour tous ces aspects, le rôle de l’avant-garde autrichienne, tels le Groupe de Vienne, Friederike Mayröcker, Ernst Jandl, Elfriede Gerstl[8], qui s’inspire du reste elle-même du dadaïsme et du surréalisme. Jeanne Benay mentionne Marguerite Duras[9], Francis Ponge[10] et Robert Pinget[11][12], mais aussi Apollinaire[13], Beckett[14][15], Ionesco[16][17] comme de possibles influences sur l’œuvre de Margret Kreidl.
Cette dernière évoque divers femmes et hommes des lettres françaises dans ses textes : des auteurs classiques comme Nerval[18][19], Flaubert[20][21] ou Diderot[22][23], des poètes du XXe siècle tels que Marguerite Yourcenar[24][25], René Char[26][27], André Breton[28][29], Blaise Cendrars[30][31], Georges Perec[32][33], Pascal Quignard[34][35], des écrivaines qui ont traduit certains de ses textes comme Nathalie Quintane[36][37] ou Catherine Weinzaepflen[38][39]. Par ailleurs, il arrive de trouver des termes en français dans les recueils de Margret Kreidl comme ce vers à la fin d’un des acrostiches de Schlüssel zum Offenen : « Hier bin ich und denke an dich, à/toi, moi, je suis Marguerite.[40] ». Margret Kreidl a même rédigé un poème en français, intitulé Les jardins de l’écrivaine, à l’occasion de la soirée de lecture et performance à la Maison de Rhénanie-Palatinat de Dijon le 14 mai 2016. Enfin, un temps fort de la rencontre avec la littérature française eut lieu en 2024 alors que Margret Kreidl fut invitée avec huit autres écrivains par le Unabhängiges Literaturhaus Niederösterreich, dans le cadre de la manifestation « Dichter im Fokus », à se pencher sur la poésie de François Villon. Les créations des neuf participantes et participants, originaires d’Allemagne, d’Autriche et de Suisse, furent présentées en décembre 2024 à Krems.
La réception de la culture française dans l’œuvre de Margret Kreidl (à la littérature, on pourrait ajouter l’importance du cinéma, notamment de la Nouvelle Vague, ainsi que de la peinture, Braque[41] et Sonia Delaunay[42] sont par exemple mentionnés dans Zitat, Zikade. Zu den Sätzen[43]) est donc très importante et constitue un versant de la médiation interculturelle entre l’Autriche et la France dans cette production. Cependant, afin de rendre complètement justice à l’auteure, on ne peut ignorer l’importance de la littérature russe ou encore de la littérature américaine, comme le relève Jeanne Benay, qualifiant Margret Kreidl d’auteure « transculturelle[44] ».
La réception de l’œuvre de Margret Kreidl en France
La réception de l’œuvre de Margret Kreidl en France représente le second versant des échanges culturels entre l’Autriche et la France au regard de cette production. Lucie Taïeb propose un panorama précis de cette réception, en s’appuyant notamment sur un texte inédit de Margret Kreidl intitulé Übersetztwerden et publié à la fin de sa contribution[45]. Cette réception est étroitement liée à la traduction de textes d’abord de théâtre, puis de poésie, et par la participation de Margret Kreidl à des festivals. Tout a commencé avec l’invitation de Henri Deluy à la Sixième Biennale Internationale des Poètes en Val-de-Marne en 2001. En 2002, Henri Deluy[46] invite de nouveau Margret Kreidl à Paris. S’ensuit une publication de traduction et présentation dans action poétique (n° 166/2002). À Paris, l’écrivaine autrichienne fait la connaissance de poètes français dont Liliane Giraudon[47] et Jean-Jacques Viton[48] qui invitent à leur tour Margret Kreidl en 2003, cette fois à Marseille, pour participer à un atelier de traduction collective du comptoir 6, dont le résultat a été présenté au cipM (Marseille). Margret Kreidl y rencontre Catherine Weinzaepflen. Le groupe traduit la pièce de Kreidl Das steile Glück. Alpenländisches Singspiel, qui est publiée en 2005 aux éditions Al Dante sous le titre Le bonheur sur la colline. Une autre rencontre décisive à Paris en 2002 est celle de Nathalie Quintane, qui traduit Grinshorn und Wespenmaler. 34 Heimatdramen / Grinshorn et Wespenmaler. 33 drames patriotiques, publié dans la revue Nioques de 2010 (numéro 7/8), puis mise en scène en 2015 à Marseille (festival actoral) et en 2016 à Montpellier (au hTh – CDN). À Paris avait déjà eu lieu en 2005 une lecture scénique de la pièce Dankbare Frauen dans la traduction de Henri Christophe / Heinz Schwarzinger sous le titre Femmes reconnaissantes au Théâtre Artistic Athévains. Comme le note Lucie Taïeb, les débuts de la réception de l’œuvre de Margret Kreidl en France se font largement dans le contexte de la poésie engagée, voire militante, qui correspond bien à l’engagement de l’écrivaine[49].
Un deuxième temps fort de la réception de l’œuvre de Margret Kreidl en France se cristallise à Dijon, tout d’abord lors du festival Temps de Paroles en janvier/février 2004 au cours duquel Margret Kreidl rencontre François Mathieu[50], qui traduit de nombreux textes de la poète et lui consacre un beau dossier avec une interview menée par Yves-Jacques Bouin[51] dans le numéro 172 de la revue Décharge de 2016. Cette même année, Margret Kreidl est de retour à Dijon où elle participe au Jardin du poète, soirée de lecture et performance à l’occasion des vingt-cinq ans de la Maison de Rhénanie-Palatinat et des dix ans de Tempoésie. C’est dans ce cadre que Margret Kreidl rédige le poème en français : Les jardins de l’écrivaine. La collaboration avec François Mathieu voit son couronnement en 2020 avec la publication de la traduction Plier une hirondelle aux éditions Les inaperçus. Cette traduction a fait l’objet d’une lecture spectacle avec Sümeyra Yilmaz à Poitiers en 2020 dans le cadre du festival Bruits des langues. Margret Kreidl avait déjà participé à ce festival en 2017. Des extraits de Eine Schwalbe falten / Plier une hirondelle furent également lus par l’auteure et son traducteur au Consulat général d’Autriche à Strasbourg en 2023. Enfin, pour compléter cette présentation de la réception de l’œuvre de Margret Kreidl en France, signalons les deux articles scientifiques de Jeanne Benay, qui a très tôt attiré l’attention du milieu universitaire sur la production de cette auteure autrichienne[52].
Dans son texte Übersetztwerden, Margret Kreidl évoque son projet Zettel, Zitat, Ding – Gesellschaft im Kasten présenté au Literaturhaus de Vienne en 2019 auquel ont participé les écrivains, traducteurs et amis français Yves-Jacques Bouin, François Mathieu, Nathalie Quintane, Catherine Weinzaepflen ou assimilés à la France comme Heinz Schwarzinger. Ainsi le second versant des échanges culturels entre la France et l’Autriche dans l’œuvre de Margret Kreidl rejoint-il ici le premier versant, confirmant le rôle central du dialogue dans la création de cette écrivaine et toute la pertinence du terme « échanges » ici.
Références et liens externes
- ↑ Je remercie sincèrement Margret Kreidl pour les documents de ses archives personnelles qu’elle a mis à ma disposition ainsi que nos entretiens qui furent d’une aide précieuse pour la rédaction de cette notice.
- ↑ Benay 2001, 238
- ↑ Lucie Taïeb rappelle à ce propos que Margret Kreidl est présentée comme « ‘un écrivain femme pour qui l’écriture est inséparable d’une quête d’identité féminine et d’un engagement féministe’ » dans la revue Décharge de 2016, qui cite un texte d’Astrid Poier-Bernhard traduit par François Mathieu. Lucie Taïeb : « La part active des traducteurs dans l’introduction et la réception en France de Friederike Mayröcker et Margret Kreidl », in : Irène Cagneau, Sylvie Grimm-Hamen, Marc Lacheny (dir.) : Les traducteurs, passeurs culturels entre la France et l’Autriche. Berlin : Frank & Timme 2020, p. 201–202.
- ↑ https://www.michaelhammerschmid.com/
- ↑ https://www.universalis.fr/encyclopedie/cruz-sor-juana-ines-de-la/
- ↑ Türk 2024
- ↑ Kreidl 2017, 31
- ↑ https://data.bnf.fr/ark:/12148/cb119861189
- ↑ http://maitron.fr/spip.php?article23489
- ↑ https://www.universalis.fr/encyclopedie/francis-ponge/
- ↑ https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/016201/2011-01-20/
- ↑ Benay 2001, 224
- ↑ https://www.universalis.fr/encyclopedie/guillaume-apollinaire/
- ↑ https://www.nobelprize.org/prizes/literature/1969/beckett/biographical/
- ↑ Benay 2001, 226
- ↑ Benay 2001, 233
- ↑ https://www.academie-francaise.fr/les-immortels/eugene-ionesco
- ↑ https://www.universalis.fr/encyclopedie/gerard-de-nerval/
- ↑ Kreidl 2018, 44 ; également 2023, 60
- ↑ https://www.universalis.fr/encyclopedie/gustave-flaubert/
- ↑ Kreidl 2017, 73
- ↑ https://www.universalis.fr/encyclopedie/denis-diderot/
- ↑ Kreidl, 2017, 83
- ↑ http://www.academie-francaise.fr/les-immortels/marguerite-yourcenar
- ↑ Kreidl 2014, 17
- ↑ https://www.universalis.fr/encyclopedie/rene-char/
- ↑ Kreidl 2017, 69
- ↑ http://maitron.fr/spip.php?article17881
- ↑ Kreidl 2017, 89
- ↑ https://cths.fr/an/savant.php?id=102338
- ↑ Kreidl 2017, 73
- ↑ https://www.universalis.fr/encyclopedie/georges-perec/
- ↑ Kreidl 2017, 90
- ↑ http://pascal-quignard.fr/
- ↑ Kreidl 2017, 125
- ↑ https://www.dictionnaire-creatrices.com/fiche-nathalie-quintane
- ↑ Kreidl 2014, 16 et 90 ; Kreidl 2017, 20
- ↑ http://www.net.esa-paris.fr/~cweinzaepflen
- ↑ Kreidl 2017, 31
- ↑ Kreidl 2021, 100
- ↑ https://www.universalis.fr/encyclopedie/georges-braque/
- ↑ https://www.dictionnaire-creatrices.com/fiche-sonia-delaunay
- ↑ Kreidl 2017, 49 et 73
- ↑ Benay 2001, 224–225 + résumé
- ↑ Taïeb 2020, 208–212
- ↑ http://maitron.fr/spip.php?article22160
- ↑ https://www.pol-editeur.com/index.php?spec=auteur&numauteur=86
- ↑ https://www.printempsdespoetes.com/Jean-Jacques-Viton
- ↑ Taïeb 2020, 203
- ↑ https://www.babelio.com/auteur/Francois-Mathieu/171403
- ↑ https://www.terreaciel.net/Yves-Jacques-Bouin
- ↑ (Benay 2001, 2002
Bibliographie
Œuvres de Margret Kreidl
- Ich bin eine Königin. Klagenfurt/Salzbourg : Wieser Verlag 1996.
- Dankbare Frauen. Komödie. Reinbek : Rowohlt Theater Verlag 1996.
- In allen Einzelheiten. Katalog. Klagenfurt et Vienne : Ritter Verlag 1997.
- Grinshorn und Wespenmaler. 34 Heimatdramen. Das fröhliche Zimmer. Vienne : Wohnzimmer-Edition 2001.
- Laute Paare. Szenen Bilder Listen. Buch mit CD. Vienne : Edition Korrespondenzen 2002.
- Mitten ins Herz. Vienne : Edition Korrespondenzen 2005.
- Eine Schwalbe falten. Vienne : Edition Korrespondenzen 2009.
- Einfache Erklärung. Alphabet der Träume. Vienne : Edition Korrespondenzen 2014.
- Zitat, Zikade. Zu den Sätzen. Vienne : Edition Korrespondenzen 2017.
- Hier schläft das Tier mit Zöpfen. Gedichte mit Fußnoten. Horn : Verlag Berger 2018.
- Schlüssel zum Offenen. Vienne : Edition Korrespondenzen 2021.
- Mehr Frauen als Antworten. Gedichte mit Fußnoten. Vienne : Edition Korrespondenzen 2023.
Traductions
Pour une liste plus complète, incluant des traductions non-publiées, voir l’article de Lucie Taïeb, 2020.
- Le bonheur sur la colline. Trad. Arno Calleja, Liliane Giraudon, Jean-Jacques Viton et Catherine Weinzaepflen. Romainville : Éditions Al Dante 2005.
- Grinshorn et Wespenmaler. 33 drames patriotiques. Trad. Nathalie Quintane. In : Nioques no7/8 (2010).
- Plier une hirondelle. Trad. François Mathieu. Nantes : Les inaperçus 2020.
Articles sur Margret Kreidl cités dans la notice
Pour une liste plus exhaustive, se reporter aux bibliographies dans l’article de Jeanne Benay 2001 et dans celui de Lucie Taïeb 2020.
- Portraits/Roses, masculin/Table, féminim/Troisième tableau. In : action poétique no166 (2002).
- Poèmes (Extraits de : Eine Schwalbe falten, 2009 et Zitat, Zikade. Zu den Sätzen) et un entretien (Des Voix venues d’ailleurs) avec Yves-*Jacques Bouin. In : Décharge no172 (2016).
- Jeanne Benay : Margret Kreidl ou la ‘dramatisation du langage’. In : Austriaca no53 (2001), p. 219–255.
- Jeanne Benay : Von einer volkstümlich existentiellen Tradition zur Lyrisierung. F. Hochwälder und M. Kreidl. In : Jeanne Benay / Gerald Stieg (dir.) : Österreich (1945–2000). Das Land der Satire. Bern et al. : Peter Lang 2002, p. 139–164.
- Lucie Taïeb : La part active des traducteurs dans l’introduction et la réception en France de Friederike Mayröcker et Margret Kreidl. In : Irène Cagneau / Sylvie Grimm-Hamen / Marc Lacheny (dir.) : Les traducteurs, passeurs culturels entre la France et l’Autriche. Berlin : Frank & Timme 2020, p. 195–212.
- Annemarie Türk : Laudatio auf Margret Kreidl. H.C.-Artmann-Preis der Stadt Wien. In : Salz. Zeitschrift für Literatur no158 (décembre 2024), p. 22–24.
Liens vers des manifestations en France
- 2016, Le jardin du poète. URL: https://www.maison-rhenanie-palatinat.org/wp-content/uploads/2016/04/Jardin-du-poe%CC%80te-Anthologie-1.pdf
- 2020, Bruits des langues, Poitiers. URL: https://www.bruitsdelangues.fr/2020/02/06/plier-une-hirondelle/
- 2020, Plier une hirondelle, lecture spectacle avec Sümeyra Yilmaz (extrait). URL:https://vimeo.com/402586917
- 2020, Forum Culturel Autrichien, Paris / Poèmes d’été. URL: https://www.instagram.com/austrocult/p/CDgKusllpit/?img_index=1
Auteur
Aurélie Le Née
Mise en ligne : 04/03/2025