William Ritter
Journaliste, critique d’art et critique musical suisse, William Ritter (*31 mai 1867 à Neuchâtel, † 19 mars 1955 à Melide) est l’auteur de nombreuses contributions sur l’art autrichien dans les revues françaises entre 1895 et 1914. Par ailleurs, grand admirateur de Gustav Mahler, il a publié en 1906 le premier essai d’envergure en langue française sur le compositeur autrichien ainsi que plusieurs études documentées sur Anton Bruckner, Johann Strauss fils et Arnold Schönberg.
Biographie
William Ritter naît le 31 mai 1867 à Neuchâtel, en Suisse romande, et meurt le 19 mars 1955 à Melide, dans le canton du Tessin. Il est issu d’un milieu « bourgeois, catholique, cultivé et artiste » (Meylan 2000, 433). Après un séjour de trois ans chez les jésuites à Dole, puis des études au Collège latin et au Gymnase cantonal de Neuchâtel, Ritter étudie les lettres à l’Académie et se passionne pour les arts, en particulier la musique de Richard Wagner et les œuvres des décadents et symbolistes français. Dès 1888, à l’âge de 21 ans, il entreprend des voyages à travers l’Europe. Après de brefs séjours à Paris, Prague, Vienne et Bucarest, il s’installe plus durablement à Vienne de 1893 à 1898, puis à Munich de 1901 à 1914 (Kaenel 1998, 80). Durant cette période viennoise et munichoise, entrecoupée de multiples escapades vers les pays d’Europe centrale et orientale, Ritter écrit la plupart de ses articles sur la musique et l’art en Autriche. Son intense activité de critique musical et de critique d’art se déploie en effet dans un contexte de « déracinement perpétuel » (Lüthi 2019, 130). Sans cesse ici et ailleurs, nomade entre différentes régions géographiques et linguistiques, il est un passeur aux multiples attaches culturelles qui offre un regard détaillé sur l’actualité artistique des pays d’Europe centrale et orientale.
Dans les années 1890, Ritter fréquente de façon régulière les milieux mondains et intellectuels à Paris, notamment les cercles symbolistes mais aussi les réseaux wagnériens et catholiques (Kaenel 1998, 81). Ce microcosme parisien lui donne rapidement accès au milieu de la presse et de l’édition. Il publie ainsi ses articles dans des revues éminentes comme La Plume, Art et Décoration, la Gazette des beaux-arts, la Chronique des arts et de la curiosité et L’Art et les artistes.
Dans ces revues, les articles consacrés à l’art et à la vie artistique en Autriche sont d’ailleurs signés presque exclusivement de Ritter. À la différence de ses collègues français, qui, pour la plupart, ne commentent que l’actualité parisienne, le critique suisse est en effet l’un des seuls à couvrir régulièrement les expositions des grands musées et des galeries de Vienne, Munich et Berlin, mais aussi d’autres métropoles culturelles européennes comme Prague, Budapest ou Cracovie. Dans la Gazette des beaux-arts, par exemple, il salue, dès la première exposition de la Sécession, l’originalité des artistes présentés. Tout en louant le travail de « la hardie petite phalange des Viennois fondateurs de la Sécession » (Ritter 1898, 171), il n’omet pas de mentionner des artistes moins connus, issus notamment des régions slaves de l’empire, dont il perçoit déjà le talent et la modernité. C’est le cas, par exemple, des Polonais Stanislaw Wyspianski et Józef Mehoffer ou encore des Tchèques Vojtĕch Hynais et Benes Knüpfer. Cette mise à l’honneur des artistes slaves se reflète dans l’ensemble des contributions de Ritter sur l’art autrichien. Imprégné de l’idéologie racialiste de la fin du XIXe siècle, il a tendance, en effet, à analyser les personnalités et les œuvres sous l’angle de la ‘race’ et insiste particulièrement sur le caractère slave de la Sécession et, plus généralement, de l’art moderne autrichien. Si certaines de ces analyses peuvent sembler empreintes à l’excès de théories racialistes et d’une volonté « d’orientaliser la culture occidentale » (Lüthi 2019, 133), elles ont le mérite de faire découvrir au public français un riche panorama de la modernité artistique austro-hongroise. En cela, elles contrastent avec certains articles sur l’art autrichien dans les revues françaises où les auteurs s’en tiennent à des descriptions sommaires, en agrégeant par exemple l’art autrichien à l’art allemand ou bien en se focalisant uniquement sur quelques grands noms (Hans Makart et Gustav Klimt étant les plus cités).
Si Ritter a largement contribué à faire découvrir l’art autrichien au public français, son nom est surtout connu des spécialistes comme critique musical, notamment des œuvres de Mahler. En 1888, lors de son premier séjour à Vienne, il s’inscrit à l’université et suit des cours d’harmonie avec Anton Bruckner et d’histoire de la musique avec Eduard Hanslick (Conus 2019, 79). À la même période, il rédige une vaste étude sur les œuvres de Johann Strauss, d’abord publiée en 1892 dans le Magasin littéraire de Gand, puis rééditée en 1906 dans ses Études d’art étranger au Mercure de France. Elle contient une analyse approfondie de cinq œuvres, composées entre 1889 et 1892 : Kaiserwalzer, Rathausball-Tänze, Gross-Wien, Ritter Pázmán et Seid umschlungen Millionen. La réflexion sur le caractère à la fois national et impérial de la valse viennoise est au cœur de l’étude. Dans le même recueil, Ritter publie son essai sur Mahler, considéré comme la première étude importante en langue française sur le compositeur. Dans une note, il précise qu’il a écrit son texte à Prague en 1905 et que celui-ci a été « refusé à l’envi par tous les périodiques de France » (Ritter 1906, 244). L’antigermanisme ambiant explique en grande partie cette méfiance, encore renforcée par l’ascendance juive du compositeur (Eliseev 2021, 5). L’étude se fonde sur l’écoute de trois œuvres, la Symphonie no 4, découverte à Munich lors de sa création en 1901, la Symphonie no 3 et la Symphonie no 5 (véritable révélation pour Ritter), toutes deux jouées à Prague en 1904 et en 1905. Bien que l’étude du critique suisse soit profondément subjective et relève davantage de la critique musicographique que musicologique (Conus 2019, 81), elle marque néanmoins le point de départ d’une véritable activité de ‘promotion’ de l’œuvre de Mahler en France. Elle offre par ailleurs un contrepoint remarquable à l’essai de Romain Rolland, publié quelques mois plus tôt, dans lequel l’écrivain français critique sévèrement la musique du compositeur autrichien (Rolland 1905). L’essai de Ritter est suivi de nombreux articles sur Mahler dans les revues francophones. Claude Meylan recense 31 écrits publiés et 12 inédits, rédigés pour l’essentiel entre 1906 et 1912 (2000, 8). En France, on peut citer plusieurs articles parus successivement dans la Revue Musicale de Lyon, la Revue Française de Musique et S.I.M entre 1911 et 1912, peu après la mort de Mahler. Ces contributions témoignent de la grande admiration de Ritter pour le compositeur, qu’il présente, dans un style souvent emphatique, comme un génie messianique ou encore comme « le plus Autrichien des musiciens contemporains, surtout par ceci qu’il est plus slave, beaucoup plus slave qu’allemand » (Ritter 1912, 380). Comme dans la plupart de ses écrits sur l’art autrichien, Ritter insiste de façon récurrente sur le caractère slave de la musique du compositeur et associe souvent ses œuvres à celles de la Sécession. Il convient de signaler, enfin, la correspondance entre Ritter et Mahler, essentiellement centrée sur les années 1906 à 1909, qui se compose de 24 lettres adressées à Mahler et de 15 reçues de lui (Meylan 2000, 8). Avec les manuscrits inédits de Ritter sur l’œuvre du compositeur et le Journal de toute une vie que le critique suisse tiendra jusqu’en 1955, elle constitue une remarquable source d’information sur la réception de Mahler en France.
Bibliographie
Littérature primaire
• Ritter, William : Correspondance d’Autriche. Les expositions internationales de Vienne. In : Gazette des beaux-arts, 1er août 1898, p. 165–176.
• Ritter, William : Études d’art étranger. Paris : Société du Mercure de France 1906.
• Ritter, William : Gustave Mahler. In : Revue Musicale de Lyon, 15 juin 1911, p. 857–864.
• Ritter, William : Pèlerinage à la Neuvième symphonie et à la tombe de Gustave Mahler. In : Revue Française de Musique, 15 juil. 1912, p. 369–384 (partie I) et 15 août–15 sept. 1912, p. 415–438 (partie II).
• Rolland, Romain : Une fête musicale en Alsace-Lorraine. In : La Revue de Paris, 1er juil. 1905, p. 134–152.
Littérature secondaire
• Cagneau, Irène : La Sécession viennoise dans les revues artistiques françaises (1897-1937). In : Marc Lacheny, Aurélie Le Née (dir.) : Le rôle des revues dans les transferts culturels entre l’Autriche et la France. Rouen : PURH 2024 [indiquer pagination].
• Conus (Eliseev), Céline : Gustav Mahler, le dieu rittérien : William Ritter mélomane. In : Daniel Maggetti, Dave Lüthi (dir.) : William Ritter. Un homme-orchestre dissonant. Versants 2019, n°66, cahier 1, p. 78–96.
• Eliseev, Céline : 1906. Les Études d’art étranger de William Ritter et la réception française de Gustav Mahler. In : Nouvelle histoire de la musique en France (1870–1950), sous la direction de l’équipe « Musique en France aux XIXe et XXe siècles : discours et idéologies ». Mis en ligne le 1er décembre 2021. Disponible sur https://emf.oicrm.org/nhmf-1906/ (consulté le 19 novembre 2023).
• Kaenel, Philippe : William Ritter (1867–1955). Un critique cosmopolite, böcklinien et anti-hodlérien. In : Revue Suisse d’Histoire 1998, vol. 48, cahier 1, p. 73–98.
• Lüthi, Dave : Critiques paratopiques. Ritter, Lambert et Jeanneret, des Neuchâtelois déracinés et leur rapport à la tradition. In : Daniel Maggetti, Dave Lüthi (dir.) : William Ritter. Un homme-orchestre dissonant. Versants 2019, n°66, cahier 1, p. 124–137.
• Meylan, Claude : William Ritter chevalier de Gustav Mahler. Écrits, correspondance, documents. Berne, Berlin, Bruxelles : Peter Lang 2000.
Auteur
Irène Cagneau
Mise en ligne : 26/02/2024
Dernière modification : 26/02/2024