Otto Bauer

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Otto Bauer est l’un des nombreux architectes viennois qui ont tenté l’aventure parisienne. Il y apporte l’héritage des enseignements d’Adolf Loos, tant sur le plan architectural que sur celui des idées, faisant sienne l’admiration de Loos pour les modes de vie et l’audace américaines. Naturalisé français et a priori bien intégré au vu des commandes reçues, il continue de construire à Vienne et intervient volontiers dans les cercles français pour éclairer sur les réalités autrichiennes.

Biographie

Né à Olomouc en Moravie en 1897, Otto Bauer se forme comme architecte à la Technische Hochschule de Vienne entre 1917 et 1921 puis à l’école d’Adolf Loos. Il débute sa carrière dans la capitale autrichienne et se spécialise dans l’aménagement d’intérieurs privés. Ces derniers, conçus entre 1921 et 1926, révèlent nombre d’emprunts à Adolf Loos : effets de lumières et de matières avec l’utilisation de certains luminaires ; emploi de rideaux, de marbre ; présence de certaines pièces de mobilier comme le tabouret à trois pieds que son maître intègre quasiment à tous ses aménagements. Par ailleurs, Bauer intervient dans la presse et lors de conférences pour définir le rôle de l’architecte qu’il entend comme artisan et thérapeute. Il cofonde enfin l’Alliance des architectes autrichiens (Bund Österreichischer Architekten) avec ses anciens camarades de classe également architectes, Martin Ziegler[1] et Josef Berger[2]. En 1927, Otto Bauer décide de s’installer à Paris où il réside jusqu’à la fin de sa vie.

Otto Bauer arrive à Paris le 6 janvier 1927 : sa migration témoigne de l’attraction qu’exerce la capitale dans l’entre-deux-guerres en Europe, volontiers qualifiée de capitale des arts. Il ouvre son agence personnelle avenue du Président Wilson et reçoit rapidement des commandes d’aménagements intérieurs à Paris et en banlieue. Il retrouve également dans la capitale française ses connaissances viennoises, dont Adolf Loos et ses anciens camarades d’école comme le croate Zlatko Neumann[3][4] : tous trois travaillent d’ailleurs ensemble sur le chantier de la villa de Tristan Tzara (1928) et sur d’autres projets parisiens tel que celui d’un immeuble de bureaux du boulevard des Italiens.

Les réalisations personnelles de Bauer à Paris illustrent la manière dont l’architecte y importe ses préoccupations viennoises, à l’image d’une certaine culture du café. Le meilleur exemple réside dans les deux antennes de la chaîne de buffets automatiques Presto que Bauer aménage dans le quartier de la Bourse et de Saint-Lazare en 1930 – deux établissements aujourd’hui disparus mais connus par les photographies d’André Vigneau et de Paul Kowaliski. Le bar automatique Presto fait l’objet de plusieurs articles au moment de son inauguration, notamment du fait de sa nouveauté : l’établissement annonçait d’une certaine manière le fast-food contemporain puisque s’y pressaient coursiers et banquiers au moment du déjeuner, désireux de consommer rapidement sans avoir à s’attabler comme dans les restaurants traditionnels. Le rez-de-chaussée accueillait les consommateurs qui se servaient eux-mêmes en nourriture et en boissons grâce à 27 distributeurs automatiques et se restauraient debout. L’ensemble du mobilier et des machines était réalisé en aluminium, en verre opalin et marbre noir. Le sous-sol, destiné aux clients qui disposaient de plus de temps, se voulait plus intime dans une sorte de rappel des traditionnels cafés viennois : l’utilisation du bois de chêne et des tapis de velours vert et marron créait une ambiance chaleureuse.

S’il puise dans son expérience viennoise, le bar Presto illustre également les inflexions du travail de Bauer après son installation en France : influencé par l’Art Déco, il envisage des espaces moins chargés, plus lumineux et avec de nouvelles pièces de mobilier. Plus encore, cette réalisation révèle une circulation d’œuvres et de discours, non seulement entre Vienne et Paris mais aussi entre les États-Unis et l’Europe. Les critiques publiées à l’époque retiennent en effet la fonctionnalité de l’espace et surtout l’américanisation de la société française : le buffet Presto vient répondre à l’urbanisation du temps avec de nouveaux modes de vie (la foule, le rythme dans des quartiers de travail, l’automatisation) et emprunte à des modèles américains. Sensibilisé, depuis sa formation auprès d’Adolf Loos à Vienne, à l’architecture américaine et à sa forte adaptation au monde moderne, Bauer s’en fait véritablement le passeur dans sa carrière parisienne, revendiquant divers héritages.

Parallèlement à sa carrière française et essentiellement parisienne - dont une importante villa à Garches dans le style fonctionnaliste -, Bauer garde ses contacts en Autriche et construit pour la municipalité de Vienne un immeuble de 17 logements sociaux en 1931 sur une parcelle d’angle particulièrement contraignante. Il revendique ce double ancrage puisqu’en France, il donne des conférences à Paris sur le système d’éducation de son pays d’origine dans le cadre de réunions de travail organisées pendant l’exposition universelle de 1937 et dessine un projet pour le pavillon de l’Autriche qui ne sera finalement pas retenu, notamment pour des raisons financières. Par de multiples aspects, Bauer affirme ses liens avec les deux pays et joue le rôle de passeur de l’Autriche en France.

Son installation définitive en France est pourtant rapidement envisagée puisqu’il y épouse en 1936 la journaliste française Germaine Leboeuf et dépose, en 1938, un dossier de naturalisation - au moment de l’Anschluss -, laquelle lui est accordée en janvier 1939. Pendant la Seconde Guerre mondiale, Bauer s’engage dans l’armée française puis se réfugie à Alger en 1943. Son agence et son appartement personnel sont confisqués et pillés par la Gestapo, notamment les meubles qu’il a dessinés pour garnir son bureau[5][6]. Après-guerre, l’architecte récupère son appartement et choisit de se faire appeler Pierre-Otto Bauer ; en 1954, il épouse en secondes noces Michaela Dworschnigg, née à Vienne en 1914 et naturalisée américaine en 1944. Rapidement Bauer diversifie ses activités en créant en 1947 une société de production de films appelée « En même temps » spécialisée dans la réalisation de courts métrages documentaires. En tant qu’architecte, il participe à plusieurs programmes soutenus par le ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme en France et construit des immeubles d’habitations à Paris comme au n°4-6 du boulevard d’Exelmans en 1950 après la destruction du viaduc d’Auteuil. Il s’attache aussi à la réalisation d’un projet autour du cinéma qu’il avait imaginé dès la fin des années 1920. Ce projet, baptisé « Hollywood européen », est d’abord localisé entre Valbonne et Cannes en 1928 puis dans la région parisienne en 1949. Il était constitué de studios de tournage, d’hôtels, de parkings, ou encore de salles de projections. Né dans le contexte général de l’essor de l’industrie cinématographique en Europe, ce projet illustre l’importance du cinéma et du « rêve américain » dans l’œuvre d’Otto Bauer, la France figurant comme un point de jonction entre l’Autriche et les États-Unis.

Références et liens externes

Bibliographie

Littérature primaire

  • Dossier de la sûreté nationale, 19940434/151 n°2479, Archives nationales.
  • Dossier de naturalisation d’Otto Bauer, 1938-1962, 19770897/196, Archives nationales.
  • Dossier nominatif n°321.449, Renseignements généraux, 77W1886-321449, Service de la Mémoire et des Affaires Culturelles, Le Pré Saint-Gervais.
  • Dossier OBIP n°35967, Services français de récupération artistique, 209SUP/630 et 209SUP/964, Archives diplomatiques, La Courneuve.
  • Registre du commerce, Enregistrement de la société « En même temps », 13 février 1947, D33U3 1711, Archives de Paris.
  • Auteur inconnu : « Deux villas de M. Otto Bauer. Un hôtel avec jardins à tous les étages ». In : Les Échos, n°32, mars 1928, p. 27-28.
  • Auteur inconnu : « Raumkunst der Gegenwart Wohnhaus und Einzelräume des Architekten Otto Bauer ». In : Innendekoration, 1938, 49/3, p. 86-96.
  • Auteur inconnu : « Centres futurs du cinéma français ». In : France-Illustration, 21 septembre 1946, p. 280-281.
  • Auteur inconnu : « Les productions “En même temps” ». In : La Cinématographie française, 21 octobre 1950, p. 20.
  • Bauer, Otto : « Presto ». In : Österreichs Bau- und Werkkunst, 1930/31, p. 23-25, p. 212.
  • Bauer, Otto : « Wohnung Dr. R, Paris ». In : Österreichs Bau- und Werkkunst, 1930/31, p. 216.
  • Bauer, Otto : « Schaffen und Werk ». In : Innendekoration, 1924, 35/11, p. 347-349.
  • Bauer, Otto et Feldman, S. : « Un “Hollywood” européen sur la Côte d’Azur ». In : L’architecture d’Aujourd’hui, avril 1938, p. 79-83.
  • Bauer, Pierre Otto et Feldman, S. : « Une cité du cinéma près de Paris ». In : L’architecture d’Aujourd’hui, mai 1949, p. 64-69.
  • Chavance, René : « Le bar “Presto” ou la décoration sans décor ». In : Mobilier et décoration, janvier 1930, p. 49-54.
  • Dornès, Roger : « Une villa et quelques installations d’Otto Bauer ». In : Art et décoration, novembre 1938, p. 441-454.
  • Frank, Nino : « Bars 1930 ». In : Art et Décoration, juin 1930, p. 179-183.
  • Laprade, Albert : « Bar automatique par Otto Bauer ». In : L’architecture, vol XLIV, n°3, p. 84-86.
  • Machoire, Raymonde : « Les plaisirs amers du bar automatique ». In : La Liberté, 13 novembre 1932, p. 2.
  • Margold Emanuel Josef : « Zweck und Form ». In : Österreichs Bau- und Werkkunst, 1925/26, p. 225-229.

Littérature secondaire

  • Meder, Iris : « Fragmente zu Leben und Werk des Architekten Otto Bauer: “Ihr Platz ist in der Welt” ». In : David, n° 76, avril 2008, http://david.juden.at/2008/76/15_meder.htm (consulté le 15 septembre 2024).
  • Sohst, Claudia : Die Rezeption nordamerikanischer Architektur um 1900 in Deutschland und Österreich. Munich : Meidenbauer 2006.

Auteur

Cécile Poulot

Mise en ligne : 11/10/2024