Georges-Arthur Goldschmidt

De decaf-fr
Version datée du 7 octobre 2024 à 06:46 par Solene (discussion | contributions) (Page créée avec « |thumb|Georges-Arthur Goldschmidt (6 mars 2007) D’origine allemande, naturalisé français en 1949, Georges-Arthur Goldschmidt (* 2 mai 1928 à Reinbek bei Hamburg) est un écrivain et traducteur multirécompensé. Traducteur de Peter Handke (*1942), il fait partie des rares traducteurs qui traduisent de leur langue maternelle vers leur langue seconde et de ces traducteurs encore plus rares traduits par un auteur qu... »)
(diff) ← Version précédente | Voir la version actuelle (diff) | Version suivante → (diff)
Georges-Arthur Goldschmidt (6 mars 2007)

D’origine allemande, naturalisé français en 1949, Georges-Arthur Goldschmidt (* 2 mai 1928 à Reinbek bei Hamburg) est un écrivain et traducteur multirécompensé. Traducteur de Peter Handke (*1942), il fait partie des rares traducteurs qui traduisent de leur langue maternelle vers leur langue seconde et de ces traducteurs encore plus rares traduits par un auteur qu’ils traduisent. Il lui arrive aussi de s’autotraduire.

Biographie

Goldschmidt est né dans une famille de la grande bourgeoisie juive assimilée, convertie au protestantisme, libérale et apparentée à la famille de Heinrich Heine. Il décrit ses parents comme « surintégrés[1] ». Quand la Seconde Guerre mondiale éclate, il a 10 ans. Avec son grand frère, il est envoyé par les parents dès 1938 en Italie, puis en France, dans un internat qui le marque beaucoup. Après la guerre, il devient professeur d’allemand dans le secondaire (il obtient le CAPES en 1956) et se met à écrire dès la fin des années 1950. Exilé, il se sent toutefois pleinement chez lui en France et dans le français qu’il appelle sa « langue de préservation[2] ».

Il publie un premier essai (sur le poète et écrivain Marcel Béalu[3]) en 1967. En 1971 paraissent son premier texte autobiographique (Un corps dérisoire. 1. L’Empan, Julliard) et sa première traduction de Handke (Mort complice, Bourgois), assortie d’une préface. En France, Handke est traduit depuis 1968, majoritairement (mais pas exclusivement) par Goldschmidt. Ce dernier n’avait pas prévu de devenir traducteur, il se définit même à plusieurs endroits comme une « poule de luxe » de la traduction : « Je n’en vis pas et ne traduis que ce que je choisis moi de traduire au rythme que je détermine moi[4] ».

Pendant trente ans environ, G.-A. Goldschmidt a traduit Handke en français, et Handke a exprimé sa gratitude à son traducteur en le traduisant à son tour ou en préfaçant certains de ses textes. Handke parle de « reconnaissance[5] » : il a traduit deux livres de Goldschmidt en allemand (Le Miroir quotidien [Der Spiegeltag] en 1981 et La Forêt interrompue [Der unterbrochene Wald] en 1995) et il a préfacé La Ligne de fuite (Die Absonderung) en 1994. Comme le souligne Valérie de Daran, « il est peu d’exemples d’un si long compagnonnage entre un auteur et son traducteur dans le transfert en France de la littérature contemporaine de langue allemande.[6] »

Handke est l’auteur que Goldschmidt a le plus traduit (un peu plus de 25 textes) et il est aussi un médiateur important de son œuvre. En 1988, il a rédigé un essai pour les éditions du Seuil qui constitue la première monographie française sur cet auteur autrichien. Entre les deux auteurs, la relation est forte mais complexe. Dès 1998, Goldschmidt ne masque pas leurs dissensions politiques : « Je suis l’ami de Handke et je continuerai à le traduire malgré nos dissensions sur la Serbie.[7] ». En 2019, dans un article pour En attendant Nadeau, où il revient sur la nécessité de laisser d’autres traducteurs passionnés par l’œuvre de Handke traduire ce dernier, il explique l’utilisation d’un pseudonyme transparent (Georges Lorfèvre), en 1996, pour traduire Un voyage hivernal vers le Danube, la Save, la Morava et la Drina, par une forme de distance avec Handke (En attendant Nadeau). Dans ce texte, Handke présente les Serbes comme des victimes, ce qui a donné lieu à une grande controverse.

Si Goldschmidt a autant traduit Handke, c’est pour son rapport à la langue, dénué de tout « régionalisme[8] ». Pour lui, c’est un bouleversement : « Traduire Handke est une aventure qui retourne le monde familier et utilitaire et le rend à une perception non fonctionnelle. Dans le paysage quotidien familier, elle ouvre des chemins inexplorés et pourtant évidents et que tout le monde aurait pu emprunter. Le traducteur se retrouve face à une langue (l’allemand) dont le rapport à la réalité est presque inverse de celui du français, plus éloigné de la matérialité concrète que l’allemand, dont Handke accentue encore l’exactitude. » (En attendant Nadeau) Goldschmidt présente la découverte de l’écriture de Handke comme celle d’une rencontre avec son propre univers intérieur[9], admettant dans le même temps qu’« en découvrant tard la traduction des textes de Handke, mon écriture a fondamentalement changé.[10] » Ainsi, il estime que ses deux premiers livres étaient « un peu ‘céliniens’, remplis de vocabulaire. La traduction de Handke m’a appris à réduire le vocabulaire, à lui faire vraiment occuper son champ propre. La traduction fait apparaître des paysages intérieurs dont est ensuite issue l’écriture[11] ».

La langue de Handke intéresse aussi le traducteur sensible à la souillure nazie, si bien décrite par Victor Klemperer[12], car aux yeux de cet ancien enfant caché « [l]a langue de Peter Handke rend la langue allemande à elle-même. Elle avait été dénaturée, détruite par la langue du IIIe Reich (la LTI). Sa langue ne passe pas par les emplois convenus et obligés, il l’écrit comme elle est, tout comme Kafka, son allemand clair et sans ambiguïtés donne à percevoir les choses ou les faits dans leur apparition même, comme s’ils n’avaient jamais encore été racontés. » (En attendant Nadeau) Dans la continuité de cet engagement en faveur d’un retour à une langue dé-souillée, Goldschmidt ne manque pas une occasion de dénoncer la fascination des philosophes français pour Heidegger et sa langue « excluante[13] ».

Outre Handke, Goldschmidt s’intéresse à un autre Autrichien d’une toute autre époque et d’un tout autre style : Adalbert Stifter (1805–1868), reconnu comme grand auteur du Biedermeier. Il a retraduit Der Hagestolz (1844) – traduit en 1943 par G. Guillemot-Magitot sous le titre « Le Célibataire » (dans le recueil Le Cristal de roche et autres contes paru chez Tauchnitz à Leipzig) et en 2014 par Le Vieux Garçon (Paris, éd. Sillage, traduit par Marion Roman) – en choisissant encore un autre titre : L’Homme sans postérité (Phébus 1978). Il s’agit d’un roman de formation, genre que semble affectionner le traducteur (qui a aussi porté Anton Reiser de Karl Philipp Moritz[14] en français et s’en est inspiré pour écrire un texte autobiographique). De nouveau, le choix par Goldschmidt de ce texte s’explique par la langue qui, écrit-il dans sa postface, « s’efface […] pour atteindre à sa perfection même dans une sorte d’absence. Insaisissable à force d’effacement, l’allemand de Stifter recourt systématiquement au vocabulaire le plus neutre, aux verbes les plus simples[15] ». Cette admiration rappelle celle qu’il a pour la langue de Handke qui se révèle pour lui en mesure d’« éliminer la langue – par la langue – pour la rendre aux choses[16] ».

Goldschmidt est aussi un passeur de Freud en France. Il n’en est pas le traducteur mais un commentateur de sa langue dans le cadre de deux essais parus en 1988 et 1996. Il y explore le lien entre psychanalyse et langue allemande : « Toute la démarche de Freud […] n’a consisté qu’à faire parler la langue, qu’à prêter attention à ce qu’elle a à dire[17] », estime Goldschmidt. Il note aussi : « Tous les mots clés de la pensée de Freud en allemand sont des mots transparents. […] Les mots-clés de la pensée de Freud en français sont des mots opaques.[18] » De fait, comme le montre parfaitement Stefan Willer, « Goldschmidt envisage la traduction de Freud en français comme un remède contre la névrose de contrainte de la langue allemande qui ramène tout au corps[19] ». Dans la continuité de ces essais, il a publié Heidegger et la langue allemande en 2016.

En dehors de Handke et Stifter, Goldschmidt est le traducteur d’auteurs majeurs comme Johann Wolfgang von Goethe, Georg Büchner, Friedrich Nietzsche, Franz Kafka – sur lequel il a coorganisé un colloque de Cerisy en 2010 –, Walter Benjamin, Thomas Jonigk. Ainsi parlait Zarathoustra est sa première traduction, elle paraît en 1972, et il y a glissé une phrase de son cru[20] ! Il a écrit des essais sur Molière, Rousseau ainsi que sur la traduction. Il excelle à décrire les différences entre le français et allemand, comme ici, découvrant en 1943 la langue française : « La langue française me fascinait, les phrases étaient toutes comme transparentes et faciles à dominer du regard, elles étaient moins serrées, moins touffues que les phrases allemandes. Les mots avaient un visage un peu mystérieux, on ne les comprenait que par le contexte, ils n’étaient pas comme la plupart des mots composés allemands, dont on saisissait le sens rien qu’à les regarder et qui en perdaient, du coup, toute poésie[21] ». Envers l’allemand, Goldschmidt ne peut être qu’ambivalent. Analysant Un Jardin en Allemagne qui relate la petite enfance de Goldschmidt, Valérie de Daran explique même que « L’irruption de termes en allemand dans le corps du texte français coïncide, en une espèce de viol linguistique, avec les instants de répression, les châtiments corporels, les sévices. La langue allemande véhicule la menace, l’oppression ou l’insulte, elle reste imprimée dans la mémoire de l’auteur aussi sûrement que les coups de badine ou de fouet sur la peau de l’enfant.[22] ».

L’œuvre autobiographique de Goldschmidt est traduite en allemand à partir de la fin des années 1980, la première étant Un Jardin en Allemagne par Eugen Helmlé[23] (Ein Garten in Deutschland, 1988). Jusqu’en 1991, Goldschmidt l’écrit en français. Comme l’expliquent ses amis universitaires français et allemands, qui retracent aussi avec précision sa réception dans les deux pays : « Il choisit la langue française pour réveiller son enfance en Allemagne entre 1928 et 1938, établissant ainsi la distance nécessaire pour pouvoir évoquer la menace grandissante de l’horreur omniprésente, celle de la terreur nazie à partir de 1933. Et à l’inverse il choisit la langue allemande pour évoquer sa jeunesse dans un internat en Savoie, créant la distance nécessaire avec les désarrois vécus et violences subies entre 1939 et la Libération.[24] ».

Sa pensée du langage se déploie dans des essais, des entretiens, ainsi que dans son œuvre autobiographique. Elle s’appuie sur la conviction d’un langage toujours défaillant et d’un écart irréductible entre les langues. De ce fait, la traduction est infinie, c’est un éternel recommencement car « de toute façon la traduction ne rejoindra jamais l’original. Le seul fait que l’allemand n’est pas du français et vice versa fera qu’il y aura toujours un intervalle – et c’est bien ce qui est intéressant. Ce qui est excitant dans la traduction, c’est qu’elle va sich warmschreiben, elle va s’échauffer dans les intervalles de l’écriture[25] ».

Il serait vain d’essayer de définir brièvement son art de la traduction, tout au plus peut-on reprendre une expression d’Hélène Thiérard : « Une conception littéraliste de la traduction au service d’une éthique de l’altérité[26] ». Goldschmidt est donc plus sourcier que cibliste, mais dire cela, c’est masquer la profondeur réflexive de ce penseur du langage et des solutions qu’il a mises en œuvre pour résoudre ou – plus souvent – faire voir l’écart entre les langues. Depuis 2004, il existe un programme à son nom à destination de jeunes traducteurs littéraires[27].

Références et liens externes

  1. Un enfant aux cheveux gris, p. 16
  2. La Joie du passeur, p. 9
  3. https://www.universalis.fr/encyclopedie/marcel-bealu/
  4. entretien avec Patricia Zurcher 1998, p. 59
  5. entretien avec Didier Goldschmidt et Brigitte Salino 1987, p. 47
  6. De Daran 2011
  7. entretien avec Patricia Zurcher 1998, p. 62
  8. entretien avec Patrick Démerin 1997, 2014, p. 143
  9. entretien avec P. Zurcher 1998, p. 60
  10. Ibid., p. 61
  11. Un enfant aux cheveux gris, p. 90–91
  12. https://www.universalis.fr/encyclopedie/victor-klemperer/
  13. Willer 2019, p. 108
  14. https://www.universalis.fr/encyclopedie/karl-philipp-moritz/
  15. « L’écriture comme regard », p. 11
  16. La Joie du passeur, p. 41
  17. Quand Freud voit la mer, p. 25
  18. Quand Freud attend le verbe, p. 38
  19. Thiérard 2019, p. 175
  20. Un enfant aux cheveux gris, p. 77
  21. La Traversée des fleuves, p. 165
  22. De Daran 2011
  23. https://publikationen.ub.uni-frankfurt.de/opus4/frontdoor/deliver/index/docId/75658/file/Eugen-Helmle_1927-2000.pdf
  24. Asholt, Coquio, Ritte 2019, p. 15
  25. entretien P. Zurcher 1998, p. 61
  26. Thiérard 2019, p. 170
  27. https://www.ofaj.org/programmes-formations/programme-georges-arthur-goldschmidt#1

Bibliographie

Textes autobiographiques

  • Un corps dérisoire. 1. L’Empan. Roman. Paris : Julliard 1971.
  • Un corps dérisoire. 2. Le Fidibus. Roman. Paris : Julliard 1972.
  • Un jardin en Allemagne. Récit. Paris : Le Seuil 1986.
  • La Forêt interrompue. Récit. Paris : Le Seuil 1991.
  • Die Absonderung. Zurich : Ammann Verlag 1991.
  • Die Aussetzung. Zurich : Ammann Verlag 1996.
  • La Traversée des fleuves. Autobiographie. Paris : Le Seuil 1999.
  • Le Poing dans la bouche : un parcours, Lagrasse : Verdier, 2004.
  • Le Recours. Récit. Lagrasse : Verdier 2005.
  • Une langue pour abri. Récit. Grâne : Créaphis éditions 2009.
  • Les Collines de Belleville. Roman. Paris : Actes Sud 2015.
  • Un destin. Paris : éditions de l’Éclat 2016.
  • L’Exil et le rebond. Paris : éditions de l’Éclat 2018.

Essais de G.-A. Goldschmidt cités

  • « L’écriture comme regard », dans : Adalbert Stifter : L’Homme sans postérité. Paris : Phébus 1978, p. 9–24.
  • Freud et la langue allemande. 1. Quand Freud voit la mer. Paris : Buchet-Chastel 1988.
  • Freud et la langue allemande. 2. Quand Freud attend le verbe. Paris : Buchet-Chastel 1996.
  • Peter Handke. Paris : Le Seuil 1988.
  • La Joie du passeur. Paris : CNRS éditions 2013.
  • Heidegger et la langue allemande. Paris : CNRS éditions 2016.

Articles et entretiens cités

  • Goldschmidt, Georges-Arthur : « Goldschmidt, traducteur du Nobel », En attendant Nadeau, 3 décembre 2019, https://www.en-attendant-nadeau.fr/2019/12/03/goldschmidt-traducteur-handke/
  • Goldschmidt, Georges-Arthur : Un enfant aux cheveux gris. Conversations avec François Dufay. Paris : CRNS éditions 2008.
  • Goldschmidt, Georges-Arthur, entretien avec Patricia Zurcher : « Un exercice dans l’intervalle », dans : Marion Graf : L’Écrivain et son traducteur, en Suisse et en Europe. Carouge-Genève : éditions Zoé 1998, p. 59–62.
  • Goldschmidt, Georges-Arthur, entretien avec Patrick Démerin : « Le traducteur et son auteur » 1997, rp. dans La Joie du passeur. Paris : CNRS éditions 2013, p. 143–153.
  • Entretien de Peter Handke avec Didier Goldschmidt et Brigitte Salino. In : Oracl 1987, p. 49–51.

Articles sur l’œuvre de G.-A. Goldschmidt

  • De Daran, Valérie : « Peter Handke et Georges-Arthur Goldschmidt : deux figures de la traduction comme migration ». In : Bernard Banoun, Michaela Enderle-Ristori, Sylvie Le Moël (dir.) : Migration, exil et traduction : espaces francophone et germanophone, XVIIIe-XXe siècles. Tours : Presses universitaires François Rabelais 2011, p. 361–382, https://books-openedition-org.ressources-electroniques.univ-lille.fr/pufr/9380.
  • Asholt, Wolfgang, Coquio, Catherine, Ritte, Jürgen, « Introduction ». In : Asholt / Coquio / Ritte (dir.) : Traverser les limites. Georges-Arthur Goldschmidt : le corps, l’histoire, la langue. Paris : Hermann 2019, p. 13–21.
  • Willer, Stefan : « Freud, Goldschmidt et la psychanalyse de la langue allemande ». In : Asholt / Coquio / Ritte (dir.) : Traverser les limites. Georges-Arthur Goldschmidt : le corps, l’histoire, la langue, p. 97–108.
  • Thiérard, Hélène, « Pensée du langage et pratique de la traduction chez Georges-Arthur Goldschmidt ». In : Asholt / Coquio / Ritte (dir.) : Traverser les limites. Georges-Arthur Goldschmidt : le corps, l’histoire, la langue, p. 167–185.

Auteur

Aurélie Barjonet

Mise en ligne : 07/10/2024