Cercle de Vienne

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En dépit d’un certain nombre de manifestations et de publications, la première réception du Cercle de Vienne en France dans les années 1930 est un rendez-vous manqué. Une authentique réception s’amorce dans les années 1970, prend son essor dans les années 1990 et devient un champ de recherche majeur à partir des années 2000.

Réception en France

Si, dans les années trente, les représentants du Cercle de Vienne citent assez régulièrement des philosophes et des savants français, comme Poincaré[1] ou Duhem[2], parmi leurs précurseurs ou les penseurs dont ils se sentent proches, la réciproque est loin d’être vraie. Et la réception française du Cercle de Vienne semble avoir été, de fait, fort modeste à cette époque. Toutefois, deux congrès, manifestations spectaculaires d’une présence des idées du Cercle de Vienne en France se tiennent à Paris en 1935 et 1937. Le premier – dit Premier Congrès international de philosophie scientifique – a lieu à Paris, à la Sorbonne, du 16 au 21 septembre 1935. Ce congrès, qui a bénéficié du soutien d’un certain nombre d’institutions françaises – dont l’Institut d’histoire des sciences et des techniques et le Centre international de synthèse – a été co-organisé par Otto Neurath[3] (1882–1945) et Louis Rougier[4] (1889-1982), seul membre français du Cercle de Vienne et figure centrale de la réception de l’empirisme logique en France à cette époque. C’est également Rougier qui organisera, toujours avec Neurath, le congrès de 1937 dans le cadre du IXe congrès international de philosophie, dit « Congrès Descartes ». La préparation du congrès de 1935 a été accompagnée d’une activité éditoriale importante, essentiellement sous la forme d’une série de traductions dues pour la plupart d’entre elles à Ernest Vouillemin[5] et publiées chez Hermann dans la collection « Actualités scientifiques et industrielles » : entre 1932 et 1935, Vouillemin traduit deux textes de Carnap[6], un de Hahn[7], deux de Schlick[8], un de Reichenbach et un de Neurath. L’un des textes de Neurath – Le Développement du Cercle de Vienne et l’avenir de l’empirisme logique (1935) – a été rédigé tout spécialement pour être publié en français (l’original allemand en est perdu) à l’occasion du congrès. On peut y ajouter la traduction faite en 1937 par J. Duplessis de Grenédan du livre de Philipp Frank[9], Le principe de causalité et ses limites, ainsi que la publication entre 1934 et 1936, par la Revue de synthèse, de textes de Hempel et de Schlick traduits par J. Haendler et de textes de Carnap, Frank et Neurath traduits par Robert Bouvier. Sans oublier les traductions françaises, publiées par la revue italienne Scientia (Rivista di Scienza), de textes de Schlick (dès 1929), de Frank, de Neurath, de Carnap.

Mais ces publications ainsi que les congrès de Paris eux-mêmes ont en réalité trouvé peu d’écho. Et, de manière générale, les philosophes français de l’époque sont restés assez indifférents à ces idées, à quelques exceptions près, dont celle de Jean Cavaillès[10] (1903–1944) qui a rendu compte en 1935, dans la Revue de métaphysique et de morale, du congrès de Prague de 1934 auquel il a assisté et qui, dans la thèse – Méthode axiomatique et formalisme – qu’il soutient en 1937, discute les thèses de la Syntaxe logique du langage de Carnap. Cavaillès semble avoir été un des rares à prendre la mesure de l’empirisme logique, tout en étant lui-même très critique.

On a donc, dans l’ensemble, le sentiment d’un rendez-vous manqué. Et lorsque les conférenciers viennois du congrès de Paris de 1935 évoquent dans leurs interventions Poincaré, Duhem et Abel Rey et rappellent ce que l’empirisme logique doit à l’épistémologie française, ils rendent hommage à une tradition intellectuelle qui n’est plus celle de la philosophie française des années trente largement dominée d’un côté par Bergson et de l’autre par le rationalisme spiritualiste de Brunschvicg et des élèves de Lachelier ou de Lagneau, comme Alain. La situation n’est guère plus favorable du côté des épistémologues et des logiciens. La recension par Bachelard (1884–1962), dans la revue Recherches philosophiques[11], de Logik der Forschung de Popper, recension dans laquelle il n’est question ni du problème de l’induction ou de la vérification ni de celui des énoncés protocolaires témoigne d’une indifférence ou d’une cécité à peu près totale à l’égard des questions que se posent les empiristes logiques viennois.

La véritable redécouverte du Cercle de Vienne en France a lieu à la fin des années 1960 et au début des années 1970 avec les travaux de Jules Vuillemin[12] (1920–2001), de Gilles-Gaston Granger[13] (1920–2016), ainsi que ceux de Jacques Bouveresse (1940–2022), puis ceux de Pierre Jacob, de Jan Sebestik et d’Antonia Soulez, laquelle publie en 1985 un recueil de traductions dont celle du Manifeste du Cercle de Vienne de 1929 (Soulez 1985). Cet intérêt pour le Cercle de Vienne connaît dans les années 1990 un nouvel élan, contemporain du renouveau des études en Autriche avec la fondation de l’Institut Wiener Kreis en 1991. Puis, à partir des années 2000, la poursuite et le développement de la recherche sur le Cercle de Vienne se traduit par des échanges entre chercheurs français et autrichiens, des ateliers, journées d’études, colloques à Paris et à Vienne et des publications communes[14]. De nombreux travaux[15] voient le jour, ainsi que des traductions de Carnap[16], de Schlick[17] et d’autres textes de membres du Cercle de Vienne[18].

Références et liens externes

  1. https://www.universalis.fr/encyclopedie/henri-poincare/
  2. https://www.universalis.fr/encyclopedie/pierre-duhem/3-le-philosophe-des-sciences/
  3. https://www.geschichtewiki.wien.gv.at/Otto_Neurath
  4. https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb11922811m
  5. https://data.bnf.fr/fr/12353162/ernest_vouillemin/
  6. https://www.geschichtewiki.wien.gv.at/Rudolf_Carnap
  7. https://www.geschichtewiki.wien.gv.at/Hans_Hahn
  8. https://www.geschichtewiki.wien.gv.at/Moritz_Schlick
  9. https://www.geschichtewiki.wien.gv.at/Philipp_Frank
  10. https://www.universalis.fr/encyclopedie/jean-cavailles
  11. tome V, 1935-1936
  12. https://www.universalis.fr/encyclopedie/jules-vuillemin/
  13. https://www.universalis.fr/encyclopedie/granger-gilles-gaston-1920-2016/
  14. Bonnet, Nemeth 2016
  15. Laugier 2001, Brenner 2002, Ouelbani 2006, Schmitz 2009, Chapuis-Schmitz 2010, Fournier 2021, Aray 2022
  16. La construction logique du monde, trad. Th. Rivain. Paris : Vrin 2002 ; Logique inductive et probabilité. 1945-1970, trad. sous la dir. de P. Wagner. Paris : Vrin 2015 ; L’espace, trad. P. Wagner. Paris : Gallimard 2017
  17. Questions d’éthique, trad. Ch. Bonnet. Paris : PUF 2000 ; Théorie générale de la connaissance, trad. Ch. Bonnet. Paris : Gallimard 2009
  18. Bonnet, Wagner 2006

Bibliographie

  • Actes du Congrès International de Philosophie Scientifique, Sorbonne, Paris, 1935, fascicules 1 à 8. Paris : Hermann 1936.
  • Aray, Başak : Otto Neurath et le Cercle de Vienne de gauche. Paris : Éd. de la Sorbonne 2022.
  • Congrès Descartes. IXe Congrès International de Philosophie : « L’Encyclopédie internationale de la science unifié ». Paris : Hermann 1937.
  • Bonnet, Christian et Nemeth, Elisabeth (dir.): Wissenschaft und Praxis. Zur Wissenschaftsphilosophie in Frankreich und Österreich in der ersten Hälfte des 20. Jahrhunderts. Vienne : Veröffentlichungen des Instituts Wiener Kreis, Springer 2016.
  • Bonnet, Christian et Wagner, Pierre (dir.) : L’Âge d’or de l’empirisme logique. Vienne-Berlin-Prague. Paris : Gallimard 2006.
  • Bouveresse, Jacques : « La théorie de l’observation dans la philosophie des sciences du positivisme logique ». In : Histoire de la philosophie, tome VIII. Paris : Hachette 1973.
  • Bouveresse, Jacques, Chapuis-Schmitz, Delphine, Rosat, Jean-Jacques : L’empirisme logique à la limite. Schlick, le langage et l’expérience. Paris : CNRS éd. 2006.
  • Bouveresse, Jacques : Essais VI. Les lumières des positivistes. Marseille : Agone 2011.
  • Brenner, Anastasios : « The French Connection : Conventionalism and the Vienna Circle ». In : *Heidelberger et Stadler (dir.) : History of Philosophy of Science 2002.
  • Chapuis-Schmitz, Delphine : Le sens à l’épreuve de l’expérience. Paris : Vrin 2010.
  • Clavelin, Maurice : « La première doctrine de la signification du Cercle de Vienne ». In : Les études philosophiques 1973, p. 475–504.
  • Clavelin, Maurice : « Les deux positivismes du Cercle de Vienne ». In : Archives de philosophie 43, 1 (1980), p. 33–55.
  • Cometti, Jean-Pierre : « La conception scientifique du monde ou Vienne contre Berlin ». In : Cahiers d’études germaniques 24 (1993), p. 183–195.
  • Fournier, Jean-Baptiste : Carnap et la question transcendantale. Paris : Vrin 2021.
  • Granger, Gilles-Gaston : « Le problème de la ‘Construction logique du monde’ ». In : Revue internationale de philosophie 37 (1983), p. 5–36.
  • Jacob, Pierre : L’Empirisme logique, ses antécédents, ses critiques. Paris : Minuit 1980.
  • Jacob, Pierre, De Vienne à Cambridge. L’héritage du positivisme logique de 1950 à nos jours. Paris : Gallimard 1980.
  • Laugier, Sandra (dir.) : Carnap et la construction logique du monde. Paris : Vrin 2001.
  • Laugier, Sandra (dir.) : Schlick et le tournant de la philosophie, numéro spécial des Études philosophiques, 2001.
  • Ouelbani, Malika, Le Cercle de Vienne. Paris : PUF 2006.
  • Revue internationale de philosophie, 144-145, numéro spécial : L’Empirisme logique : science et métaphysique, 1983.
  • Rougier, Louis : « L’empirisme logique. À propos d’un congrès récent ». In : Revue de Paris 43 (1936), p. 182–195.
  • Rougier, Louis : « La révolution cartésienne et l’empirisme logique ». Actes du IXe congrès international de philosophie. Paris : Hermann 1937.
  • Rougier, Louis : « Le langage de la physique est-il universel et autonome ? ». In : Erkenntnis 7 (1937), p. 189–194.
  • Schmitz, François : Le Cercle de Vienne. Paris : Vrin 2009.
  • Sebestik, Jan et Soulez, Antonia (dir.) : Le Cercle de Vienne. Doctrines et controverses. Paris : Méridiens-Klincksieck 1986.
  • Soulez, Antonia (dir.) : Manifeste du Cercle de Vienne et autres écrits. Paris : PUF 1985.
  • Vouillemin, Ernest : La Logique de la science et l’École de Vienne. Paris : Hermann 1935.
  • Vuillemin, Jules : « La Constitution selon Carnap : la construction logique du monde », In : L’Âge de la science II, 4 (1969), p. 304–333.
  • Vuillemin, Jules : La logique et le monde sensible. Paris : Flammarion 1971.

Auteur

Christian Bonnet

Mise en ligne : 03/10/2024