Augustin Calmet

Né le 26 février 1672 à Mesnil-la-Horgne (Meuse) et décédé à Senones (Vosges) le 25 octobre 1757, Augustin Calmet est un religieux bénédictin qui compte parmi les plus savants de la France religieuse du XVIIIe siècle, et parmi les relais les plus actifs de l’érudition germanique dans la première moitié du siècle.
Biographie
Entré dans l’ordre de saint Benoît en 1688, il se spécialise dans les études bibliques, au moment où celles-ci se transforment par de nouvelles approches, historiques et linguistiques, des textes sacrés. Un séjour à Paris de dix années (1706–1716) lui permet de nouer des contacts érudits. Il publie alors son Commentaire littéral de tous les livres de l’Ancien et du Nouveau testament qui l’impose parmi les grands exégètes de son temps. Parallèlement à ces travaux, il se fait le témoin, auprès de sa congrégation, des querelles parisiennes nées autour de la bulle Unigenitus. Cette double activité, savante et politique, lui vaut à son retour en Lorraine d’accéder à diverses responsabilités dans la Congrégation de Saint-Vanne et de Saint-Hydulphe, pendant lorrain de la Congrégation de Saint-Maur. Il est d’abord prieur de Lay-Saint-Christophe, puis de Nancy (1718), visiteur de la Congrégation, enfin six fois président. Partisan en toutes circonstances d’une voie moyenne, il impose à sa Congrégation la réconciliation avec les pouvoirs ecclésiastiques par le renoncement au jansénisme en 1730. Il est élu abbé de Senones en 1729, où il demeure jusqu’à son décès en 1757. L’abbaye vosgienne et sa gigantesque bibliothèque deviennent durant près de trente ans le lieu où convergent lettres de toute l’Europe et livres rares. À ce moment, l’exégète se mue en historien. Son Histoire ecclésiastique et civile de la Lorraine (1728), comme ses autres écrits (30 titres imprimés, 29 manuscrits), lui attirent une considération nuancée. Les innombrables traductions et adaptations, dont ses ouvrages ont fait l’objet dès le XVIIIe siècle, prouvent assez son succès. Pourtant, on lui reproche aussi une certaine dispersion (il écrit sur tout : l’histoire du jeu de cartes, les dragons volants, les généalogies des familles nobles de Lorraine, les vampires, et même l’histoire de la barbe) ; un travail trop rapide, parfois approximatif ; une grande capacité de lecture mais qui ne dépasse pas, au niveau de l’écriture, le stade de la compilation.
Augustin Calmet a su orchestrer sa notoriété à partir de son retour de Paris en 1716. Le contrôle de sa congrégation dont il prend durablement le leadership, la mise sous surveillance des études monastiques par l’enrôlement de plusieurs religieux à son service pour l’aider dans ses recherches, la pratique de la correspondance savante dont il reste aujourd’hui d’imposants vestiges, lui ont permis de cultiver un prestige international. L’aire géographique avec laquelle il entretient les liens les plus serrés est incontestablement l’Europe germanophone, et il valorise auprès d’une nouvelle génération de religieux les acquis de l’Aufklärung débarrassée de toute dimension anti-religieuse. À un moment où le départ du duc régnant, François III de Lorraine, pour Vienne en 1733 favorise les contacts avec les terres des Habsbourg, Calmet profite de nombreux relais – bénédictins allemands et autrichiens, libraires lorrains installés près du couple impérial, Lorrains fidèles à François – pour prendre connaissance de la pensée de son contemporain Christian Wolff[1] (1679–1754) et de Christian Thomasius[2] (1655–1728) et la promouvoir dans la congrégation. En 1750 au plus tard, la philosophie de Wolff, fondée sur Leibniz[3] et sur une tentative d’arriver à toute connaissance par la démarche déductive, est enseignée dans les cours d’études de la congrégation, comme en témoigne dom Georges à propos des religieux qui suivent le cours de l’abbaye de Munster (lettre du 27 novembre 1750). Les échanges en la matière sont réciproques : en 1743, Calmet est sollicité pour envoyer deux religieux pour un cours d’histoire profane et ecclésiastique à Prague, à la demande du visiteur général de l’abbaye de Brevnov[4]. Calmet organise aussi un vaste commerce de livres entre la Lorraine et les pays germaniques, en profitant d’un réseau de libraires entre Vienne, Strasbourg, Luxembourg et Nancy, mais aussi de l’abbaye de Gengenbach sur la rive droite du Rhin. Cette circulation permet de mettre à jour les collections des bibliothèques monastiques, au profit de penseurs contemporains de langue allemande (Wolff, Thomasius, Gerbert, Febronius en particulier). En 1753, le voyage du neveu de Calmet, dom Augustin Fangé, à Vienne consolide ces liens et le religieux est reçu par François et Marie-Thérèse.
C’est une version monastique de la République des Lettres qui prend vie à travers les lettres reçues par dom Calmet. Dans les années 1730, alors qu’il réside à la cour de Vienne comme diplomate au service des intérêts des États de Brisgau, dom Marquard Herrgott[5] (1694–1762) est en correspondance avec dom Calmet pour évoquer son projet d’histoire de la maison impériale de Habsbourg, qui paraîtra en 1737 (lettres du 10 octobre 1733 et du 9 février 1735). D’autres missives concernent des projets de publications et des recherches en matière de théologie sacramentelle, d’histoire ecclésiastique, voire de sciences. La curiosité pour la pensée allemande, filtrée par les savants bénédictins de langue germanique, intéresse au plus au point dom Calmet, qui est en correspondance avec Gregorius Horner von Gleint[6], recteur de l’université de Salzbourg de 1732 à 1741 (lettres du 10 juin 1736 et du 18 mars 1737). Il surveille également la réédition des œuvres théologiques de dom Benedikt Pettschacher[7] (1634–1701), de la même université. Calmet ne lisant pas l’allemand, il obtient avec ces missives des traductions de textes historiques, chartes, diplômes et autres sources de l’histoire universelle profane ou bénédictine pour ses propres travaux.
Les relations entre Calmet et l’Autriche atteignent cependant leur point culminant dans les échanges qui lient le religieux lorrain à dom Olivier Légipont (1698–1758), religieux de Cologne qui séjourne un temps à Vienne, et dom Magnoald Ziegelbauer[8] (1689–1750), religieux viennois. Outre les nouvelles politiques immédiates qui irriguent la Lorraine par voie de lettres, en particulier durant la guerre de Succession d’Autriche, grâce aux religieux autrichiens, la correspondance est le support d’un vaste projet intellectuel porté par dom Légipont avec le soutien de dom Calmet : la Societas litterariae Germano-benedictinae. Cette académie bénédictine internationale, dont Légipont a l’idée dès 1741, profite d’abord de l’assentiment de l’impératrice Marie-Thérèse. Mais la concurrence des jésuites viennois au sein du Theresianum fait échouer le projet qui reprend corps au début des années 1750. Selon ses statuts, cette société doit rassembler les matériaux d’une vaste histoire littéraire universelle de l’ordre de saint Benoît dont dom Ziegelbauer, dom Bernhard Pez[9] (1683–1735) à Melk et dom Légipont avaient déjà donné quelques volumes ; diffuser une revue savante, le Museum Germano-benedictinum ; et publier des sources de l’histoire germanique. La gouvernance de cette société littéraire prévoit des correspondants dans toute l’Europe et chaque bénédictin est appelé à contribuer à cette œuvre collective ambitieuse. Dom Calmet est partie prenante de ce projet et le relaie dans sa congrégation. La mort de dom Légipont en 1758 met un point final à cette éphémère académie, malgré les efforts d’un religieux messin, dom Jean François (1722–1791), pour la pérenniser. Certains religieux lorrains, entraînés par dom Calmet, ont cependant cru à ce projet, comme le Comtois Benoît Thiébault ou les Lorrains Rémy Ceillier et Ildephonse Cathelinot.
Cette coopération n’est pas gratuite. Calmet en attend la diffusion de ses œuvres dans l’Empire et leur traduction en allemand. Dès 1733, le libraire Briffaut, qui a suivi le duc François III à Vienne, écrit à Calmet pour lui demander la permission de donner une édition viennoise de ses œuvres historiques et exégétiques[10]. Au moment de la Commission des Réguliers, les bénédictins lorrains se fonderont sur ces liens avec Vienne et la famille impériale pour tenter de résister aux décisions françaises. Mais dans le dernier tiers du XVIIIe siècle, les bénédictins lorrains se désintéressent progressivement de Vienne, les liens avec Trèves devenant prédominants.
Références et liens externes
- ↑ https://www.universalis.fr/encyclopedie/wolff-wolf/
- ↑ https://www.deutsche-biographie.de/11862220X.html#ndbcontent
- ↑ https://www.universalis.fr/encyclopedie/leibniz-reperes-chronologiques/
- ↑ lettre de dom Ziegelbauer, 27 novembre 1743
- ↑ https://www.deutsche-biographie.de/sfz30245.html#adbcontent
- ↑ https://www.deutsche-biographie.de/pnd12981024X.html
- ↑ https://www.deutsche-biographie.de/pnd100226558.html#_
- ↑ https://data.cerl.org/thesaurus/cnp01313299
- ↑ https://www.deutsche-biographie.de/100226965.html#adbcontent
- ↑ lettre du 8 août 1733
Bibliographie
- Henryot, Fabienne et Martin, Philippe (dir.) : Dom Augustin Calmet, un itinéraire intellectuel. Paris : Riveneuve éditions 2008.
- Henryot, Fabienne : Célébrer l’autorité : des papiers du savant à leur mise en recueil. La notoriété d’Olivier Légipont à Metz au milieu du XVIIIe siècle. Dans : N. Diochon, F. Henryot, E. Klos (dir.) : Pouvoir, autorité, obéissance. Mélanges offerts à Philippe Martin. Paris : Classiques Garnier, à paraître.
- Martin, Philippe : Dom Calmet : janséniste, théologien du juste milieu, opportuniste ou indifférent ? Dans : Olivier Andurand et Albane Pialoux (dir.) : Les forces de la modération. Ligne politique ou accommodements raisonnés dans les crises politico-européennes (XVIe-XIXe siècles). Berne : Peter Lang 2020, p. 251–266.
- Michaux, G. : Échanges culturels et circulation des idées entre la Lorraine et le Saint-Empire au XVIIIe siècle. L’exemple de dom Calmet et des bénédictins. Dans : Jean-Paul Bled, Eugène Faucher et René Taveneaux (dir.) : Les Habsbourg et la Lorraine. Nancy : Presses universitaires de Nancy 1988, p. 139–149.
- Correspondance de dom Calmet conservée à la Bib. diocésaine de Nancy (MB 59-67), à la Bib. municipale de Nancy (ms. 150-151) et à la Bib. municipale de Saint-Dié (ms 94) ; éditée par Julien Reny, Édition scientifique de la correspondance de dom Calmet, diplôme de l’EPHE sous la direction d’O. Christin, 2018.
Autrice
Fabienne Henryot
Mise en ligne : 24/04/2025