Ambassade de France à Vienne

De decaf-fr
L'ambassade de France en 1912

L’ambassade de France en Autriche est un bâtiment conçu par l'architecte Georges Paul Chedanne[1]. Elle est installée dans le 4ème arrondissement de Vienne, entre le boulevard du Ring, la place Schwarzenberg et l’église Saint-Charles-Borromée. Le bâtiment est construit entre 1903 et 1912, conçu et décoré selon l’esthétique de l’Art nouveau français. Le chantier est mené durant une phase de constructions d’ambassades par la République française dans une Europe monarchique. Haut-lieu politique et culturel, l’ambassade est pensée pour accueillir de manière pérenne la présence diplomatique, en inscrivant l’esthétique française dans le paysage urbain viennois.

Histoire de l'édifice

Allégorie de la Liberté, de l'Égalité et de la Fraternité

La construction d’une ambassade à Vienne répond tout d’abord au besoin pratique d’un lieu d’accueil pérenne pour la présence diplomatique française à Vienne. Durant le XVIIIe et le XIXe siècles, les ambassadeurs successifs n’ont pas de bâtiment qui leur est propre et doivent donc occuper différents lieux dans la capitale viennoise : Armand de Vignerot du Plessis, duc de Richelieu au palais Questenberg-Kaunitz (1725-1728), François de Bussy dans l’une des maisons de la famille Gatterburg, au 26 Wollzeile (1729-1732), Jean-Gabriel de La Porte du Theil au palais-jardin Czernin dans le quartier de Leopoldstadt (1735-1737), le marquis Gaston-Pierre de Lévis-Mirepoix dans un des palais de la famille Liechtenstein de la Herrengasse (1738-1739), Emmanuel Dieudonné de Hautefort au palais Harrach sur la Freyung (1750-1753), le marquis d’Aubeterre au palais du comte Starhemberg (1753-1757). Entre 1758 et 1791, puis de 1802 à 1816, les ambassadeurs français s’installent à nouveau dans le palais Questenberg-Kaunitz. Jean-Baptiste Bernadotte occupe le palais Caprara-Geymüller en 1798. De 1817 à 1830, ils sont installés dans une maison située « in der hinteren Schenkenstraße » ; de 1831 à 1848, c’est le palais Starhemberg qui les accueille ; puis, le palais Battyány entre 1848 et 1853. Entre 1853 et 1856, François-Adolphe de Bourquerney retourne au palais Caprara-Geymüller, puis s’installe au palais Pálffy entre 1856 et 1859. Les ambassadeurs prennent ensuite leurs quartiers au palais Mollard-Clary (1860-1868) et enfin au palais Lobkowitz (1869-1909).

Dès les années 1850, les ambassadeurs François-Adolphe de Bourqueney[2] et Léonel de Moustier[3] tentent de convaincre les autorités françaises de saisir l’opportunité des travaux de réaménagement urbain autour du nouveau boulevard du Ring, la Ringstraße, pour accueillir un terrain et faire construire une ambassade. Les négociations entre Français et Autrichiens prévoient d’échanger des immeubles dans chaque capitale à cet effet. Par crainte d’engager des travaux de réaménagement trop onéreux, le gouvernement décide plutôt de construire un nouvel édifice, afin de donner à voir dans le tissu urbain viennois un bâtiment représentatif de l’esthétique architecturale française contemporaine comme une matérialisation tant symbolique que visuelle de la présence française. Elle est d’autant plus nécessaire que la France cherche, après la défaite de Sedan, à revenir au premier plan en Europe.

En 1901 sont votés des crédits pour la construction d’ambassades pour la France à Vienne et à Washington. La France acquiert un terrain auprès de la municipalité de Vienne au niveau de la place Schwarzenberg. Dans l’acte d’achat conclu entre Vienne, représentée par le maire Karl Lueger[4], et les émissaires français, sont stipulées des obligations architecturales et esthétiques : le bâtiment doit être symétrique et de type pavillon, et ne peut pas dépasser les vingt mètres de hauteur, la façade ne peut être protégée que par une grille, tandis que l’enceinte doit être clôturée par des murs façonnés et des grilles. Le projet est confié à l’architecte français Georges Paul Chedanne. Le 19 septembre 1904, le ministre des Affaires Étrangères Théophile Delcassé[5] approuve les plans de Chedanne et la municipalité viennoise délivre le permis de construire le même mois. Pour la décoration, Chedanne peut compter sur le Sous-Secrétariat d’État aux beaux-arts, il contacte l’École des Beaux-Arts de Paris qui met à sa disposition de nombreux artistes comme les sculpteurs Henri Bouchard, Paul Landowski, Jacques Froment-Meurice, Victor Peter, Georges Gardet, Frédéric Vernon ; les décorateurs Tony Selmersheim, François Léon Prieur-Bardin, Louis Majorelle ; les peintres Albert Besnard, Georges Picard, Henri-Paul Hannotin et André Devambez. Beaucoup ont été pensionnaires de la Villa Médicis en même temps que Chedanne.

Allégorie de l'amitié entre la France et l'Autriche
Allégorie de l'amitié entre la France et l'Autriche

La fin du chantier connaît quelques déboires, Chedanne étant impliqué dans un scandale de détournement de fonds publics avec le président de la commission des Immeubles Frantz Hamon. L’ambassade n’est que pleinement meublée en juin 1912, bien que l’ambassadeur Philippe Crozier[6] s’y installe le 15 mai 1909. Les hauts-fonctionnaires français sont satisfaits de cette nouvelle ambassade, le ministre des Affaires Étrangères Stephen Pichon[7] félicite Chedanne dans une lettre du 28 octobre 1909 : « Par son caractère artistique et ses heureuses dispositions, le nouvel hôtel assure à notre mission diplomatique une habitation digne à tous égards de la représentation nationale et constitue vis-à-vis des étrangers un magnifique spécimen de l’architecture française moderne. »

Si l’objectif français est d’installer durablement sa mission diplomatique à Vienne, la construction de ce bâtiment est aussi « l’engagement de créer une ambassade modèle », comme le spécifie Philippe Crozier à Stephen Pichon dans une lettre du 15 octobre 1907. La République doit offrir à ses émissaires un lieu en adéquation avec le faste de la cour impériale, afin de pouvoir recevoir et intégrer l’élite aristocratique viennoise. Il s’agit aussi de rivaliser sur leur propre terrain avec les artistes du Jugendstil et surtout de la Sécession viennoise : Chedanne est sommé de produire une architecture embrassant pleinement le style Art Nouveau français comme réponse au style viennois. Les ambassades faisant pleinement partie du patrimoine français, elles ont un rôle d’autant plus politique et représentatif qu’elles ne sont pas situées sur le territoire national. Chedanne donne à voir l’Art nouveau français par les lignes courbes de la façade et des intérieurs, le mobilier et le travail du fer forgé à thématique florale, qui rappellent l’esthétique alors développée en France par le mouvement « L’Art dans Tout » et l’École de Nancy. L’ambassade est aussi l’occasion de faire valoir la République dans un pays monarchique, tout en rappelant les liens d’amitié avec l’Autriche. Sur la façade est installé, au-dessus de l’entrée d’honneur, un groupe sculpté par Hippolyte Lefèbvre[8] : il représente l’écusson de la République française, ainsi que trois allégories figurant la liberté, l’égalité et la fraternité. De part et d’autre de la façade se trouvent également deux groupes de statues allégoriques symbolisant l’amitié entre la France et l’Autriche, sculptés par François Sicard[9] et Paul Gasq[10].

L’architecture Art nouveau ne plaît pas aux ambassadeurs succédant à Crozier, ni à certains fonctionnaires français, ils engagent alors des travaux de réaménagement, surtout pour l’intérieur de l’édifice. À la chute de l’empire, la France cherche dans un premier temps à se séparer du bâtiment, sans succès. Des travaux d’entretien et de restauration sont conduits entre 1934 et 1937. Si la mission diplomatique française est maintenue durant le régime austro-fasciste et après l’Anschluss, en 1939, au début de la guerre, l’immeuble est évacué par les services français. Bien que l’administration nationale-socialiste souhaite que le régime de Vichy y entretienne une délégation diplomatique, le bâtiment reste inoccupé et sans usage durant la guerre. Le bâtiment est touché par un bombardement le 21 février 1945 qui endommage ses portes et ses vitrages, sa façade et sa toiture. Le gouvernement français reprend possession des lieux le 13 septembre 1945 et y accueille à nouveau des conseillers diplomatiques. Durant l’occupation alliée entre 1945 et 1955, le général Béthouart n’y réside pas, préférant la villa Windisch-Graetz, en zone française. À la signature du Traité d’État en mai 1955, l’édifice redevient pleinement l’ambassade de France en Autriche.

Détails des décorations des balcons

Des travaux de reconstruction et de ravalement sont menés après la guerre et s’achèvent en 1953. Le nouvel ambassadeur, Jean Chauvel[11], peu sensible à l’architecture de Chedanne, renonce à restaurer à l’identique les pièces : il fait supprimer la décoration encore présente en 1956. Le manque de crédits empêche toutefois la disparition totale de tous les éléments architecturaux déplaisant aux diplomates, permettant ainsi de conserver la façade et les grilles forgées. Les derniers grands travaux structurels de restauration et de redécoration datent de 1993 : sont restaurés, modernisés et remplacés l’éclairage, les peintures, les moquettes, etc. Toutes ces missions sont confiées à des restaurateurs et artistes français, nécessitant le déplacement de chaque élément. À l’instar de la construction, il s’agit encore de faire de l’ambassade une vitrine des arts, de l’artisanat et du goût français, comme le soulignait déjà le rapport de la commission des Meubles du 12 novembre 1907 : « une maison de France ne doit être meublée et ornée qu’avec des produits nationaux ». L’ambassade incarne aujourd’hui un témoignage de l’usage politique de l’Art nouveau, tout en continuant à célébrer l’amitié franco-autrichienne au travers d’événements culturels et artistiques.

Références et liens externes

Bibliographie

  • Dasque, Isabelle : Les hôtels diplomatiques : un instrument de prestige pour la République à l’étranger (1871-1914). In Livraisons d’histoire de l’architecture, 2002, no4, p. 43‑68.
  • Fraudreau, Martin : Ambassades de France : Le Quai d’Orsay et les trésors du patrimoine diplomatique. Paris : Perrin 2000.
  • Hort, Jakob : Architektur der Diplomatie: Repräsentation in europäischen Botschaftsbauten, 1800-1920. Konstantinopel - Rom - Wien - St. Petersburg. Göttingen : Vandenhoeck & Ruprecht 2014.
  • Gastinel-Coural, Chantal : Ambassade de France à Vienne. Paris : Éditions internationales du patrimoine 2011.
  • Lehne, Andreas : Jugendstil in Wien. Architekturführer. Vienne : J & V Ed. 1990.
  • Lewin, André : L’Ambassade de France à Vienne. Vienne : Verein für Geschichte der Stadt Wien 1995.
  • Moisy, Pierre : L’ambassade de France à Vienne, manifeste d’un art nouveau officiel. In Revue de l’art, 1974, no23, p. 42‑53.

Auteur

Solène Scherer

Mise en ligne : 21/02/2024