Eduard Melly

Eduard Melly (* 15 janvier 1814 à Krems, Autriche, † 22 octobre 1854 à Bad Pistyan, actuelle Slovaquie) est un historien de l’art et un archéologue autrichien, il est le pionnier de la politique de protection des œuvres anciennes et des monuments historiques en Autriche. Fort de ses contacts en Europe, il a joué un rôle de premier plan dans la diffusion des modèles français d’étude et de protection des monuments historiques au sein de l’empire des Habsbourg. Il est crédité par plusieurs chercheurs comme Elisabeth Springer, Walter Frodl ou Theodor Brückler comme étant le principal instigateur de l’introduction d’une protection d’État des monuments historiques en Autriche au XIXe.
Biographie
Né le 15 janvier 1814 à Krems, Eduard Melly est le fils d’un avocat, il grandit à Vienne où il fréquente le Schottengymnasium de 1829 à 1831. Melly s’intéresse depuis l’enfance à l’archéologie et aux objets du passé, il poursuit ses études à la faculté de philosophie de l’Université de Vienne, où il étudie l’histoire et l’archéologie classiques auprès d’Anton von Steinbüchel[1], alors conservateur du cabinet impérial et royal des médailles et des antiquités. Durant ses études, Melly inventorie les collections de médailles de la commanderie de Vienne en 1836 et réalise le catalogue de la collection de pièces de la maison Helfersdorfer, avant sa vente en 1837. Sur recommandation d’Anton von Steinbüchel, Melly obtient une bourse pour visiter l’Italie entre 1837 et 1842. Il voyage à Florence, à Naples, ainsi qu’à Modène, et à Rome où il prolonge ses séjours. En 1842, il est nommé membre correspondant de la société archéologique de Rome et membre de l’Académie royale des sciences de Naples. La bourse de voyage en Italie de Melly est financée par Ferdinand Charles Joseph d'Autriche-Este, alors gouverneur général de Galicie et de Transylvanie. Le prince a l’espoir de le recruter par la suite à Lviv comme précepteur d’archéologie à sa cour. Tout en voyageant, Melly travaille comme correspondant pour des journaux autrichiens et allemands, notamment Carinthia[2] et Der Österreichische Zuschauer[3] . Il réalise de nombreux inventaires et catalogues critiques de collections numismatiques, dont celui de la famille d’Autriche-Este en 1837, puis celui de la maison Ossolinski, en mars 1841, sur demande de Ferdinand d’Este.
En 1842, Melly quitte Lviv et rentre à Vienne, où il épouse Josefine Groll. Il obtient la même année son diplôme de doctorat et poursuit ses travaux de recherche. Il publie plusieurs livres, parmi lesquels une monographie sur le peintre Karl Ruß, ainsi qu’une étude sur le portail de la cathédrale Saint-Étienne de Vienne. Il développe un intérêt particulier pour les sceaux, rédigeant les premières contributions autrichiennes de sphragistique. Ces travaux reçoivent un très bon accueil et lui valent une reconnaissance internationale dans le milieu académique. Durant ses études, Melly fréquente le salon de Josef von Scheiger [4], un archéologue topographe autrichien, avec lequel il partage une vision non romantique de l’archéologie et le désir de voir naître en Autriche une prise de conscience de l’État de la nécessité de protéger les traces du passé. Le salon de Scheiger, typique des cercles de rencontre du Vormärz, rassemble de nombreux historiens de l’art qui partagent ces convictions. En 1848, Melly est élu à la Diète de Francfort en tant que représentant de la ville d’Horn, Basse-Autriche. Il fait partie de la fraction Westendhall et de l’Association centrale de Mars.
Polyglotte (il parle allemand, italien, polonais, français), Eduard Melly tisse des relations avec ses collègues archéologues européens et se tient informé des avancées en matière de prévention, d’étude et de protection des monuments historiques. Il entretient à ce titre une correspondance avec Adolphe Napoléon Didron[5], rédacteur des Annales Archéologiques[6], au sujet de la nécessité de la création de structures d’État en Autriche de protection des monuments. Didron publie des lettres de Melly et présente ses travaux dans son journal, qui se fait l’écho des dernières études et publications en archéologie et histoire de l’art médiéval en Europe. Didron souligne l’importance des correspondants étrangers à plusieurs occasions dans son journal, Melly y est présenté comme le correspondant pour Vienne.
L’impact de la France sur la politique de reconnaissance, de protection et de conservation des monuments en Autriche se ressent dès le tournant du XVIIIe et XIXe siècle. D’une part, les pillages et destructions causés par les armées napoléoniennes dans les territoires de l’empire ont engendré une prise de conscience de la nécessité de protéger les biens culturels. D’autre part, les efforts investis par les gouvernements français pour inventorier et protéger les monuments nationaux sont perçus positivement en Autriche. La création, en 1834, du Comité des arts et monuments à Paris, puis celle, en 1837, de la Commission des monuments historiques est rapportée dans plusieurs journaux autrichiens, notamment dans le Literatur- und Anzeigenblatt für das Baufach avec un certain enthousiasme. Melly observe les développements français avec grand intérêt et espère voir des efforts similaires être entrepris en Autriche. Il souhaite également que l’archéologie médiévale soit reconnue dans l’empire de la même manière qu’en France, où elle est considérée comme une science au même plan que l’archéologie antique, bénéficiant d’une formation scientifique et d’un système d’organisation digne de la discipline. En mars 1850, il est également nommé correspondant étranger pour les travaux historiques du Comité des arts et des monuments, statut que lui confère le ministre de l’Instruction et des Cultes français, Félix Esquirou de Parieu.
Dès les années 1830, Melly cherche auprès de l’aristocratie autrichienne, notamment chez le prince Johann von und zu Liechtenstein, un soutien pour persuader l’État de développer l’étude de ce qu’il nomme « l’archéologie patriotique » (« vaterländische Altherthumsforschung »), et, plus globalement, la préservation des monuments historiques et des œuvres d’art. Si les efforts de Melly restent vains, il ne cesse cependant d’appeler l’État à intervenir et à se saisir de ces questions avant qu’il ne soit trop tard et continue d’alerter à ce sujet : « en France, immédiatement après la tempête révolutionnaire et alors que la situation de l’État était encore bouillonnante, on prit des dispositions pour conserver, préserver et rassembler ce qui avait été sauvé de la frénétique hostilité contre les arts qui s’est déployée contre les monuments nationaux, tandis que l’État autrichien ne parvient pas à organiser la science archéologique ni sur le plan scientifique, ni sur le plan pratique[7]». En avril 1850, il s’adresse au ministre de l’Intérieur, Alexander von Bach, pour solliciter la création d’une institution autrichienne de protection des monuments. Il a rédigé une proposition, de structure pour cette nouvelle commission, fort de sa connaissance des institutions publiques analogues à l’étranger et de la nécessité de les adapter au territoire autrichien. L’organisation qu’il propose à Alexander von Bach laisse transparaître la profonde influence qu’exercent alors les doctrines et les politiques françaises en matière de conservation et de restauration sur l’historien de l’art autrichien. Comme en France, Melly pointe la nécessité d’établir un inventaire statistique et critique des monuments historiques mobiliers et immobiliers sur l’ensemble des territoires de la couronne. Il plaide pour une structure centralisée, avec des conservateurs pour les provinces, reprenant le modèle français – alors qu’en Prusse s’est développée à l’inverse une organisation ancrée localement. Le contexte politique autrichien ayant évolué, les idées de Melly sont cette fois bien accueillies par l’État autrichien. Le 31 décembre 1850, l’empereur ordonne la création de la Commission centrale d’étude et de préservation des monuments bâtis (« k.k. Central-Commission zur Erforschung und Erhaltung der Baudenkmale »). Placée sous la tutelle du ministère du Commerce, de l’Industrie et des Travaux Publics, celle-ci ne dispose toutefois pas d’un budget propre et ne débute réellement son action qu’en 1856.
En 1853, Melly est nommé à Graz comme lecteur d’archéologie au musée Joanneum et responsable des recherches archéologiques pour la Styrie au sein du Historischer Verein für Steiermark. Il se propose d’inventorier, durant la décennie qui suit, les monuments médiévaux de Styrie, afin d’établir une topographie archéologique de la région, ainsi que des statistiques sur les monuments. Il obtient l’autorisation de se lancer dans cette entreprise en novembre 1853 et commence la rédaction d’un manuscrit, qu’il ne peut achever puisqu’il décède de maladie le 22 octobre 1854 à Bad Pistyan, en Slovaquie actuelle. La mort de Melly, alors qu’il n’a que quarante ans, l’empêche d’être témoin de l’aboutissement de ses efforts, qui ont été indispensables à la mise en place de la politique autrichienne de conservation-restauration. Son influence – et à travers lui, l’influence des doctrines françaises – demeure indéniablement ancrée dans le « code génétique[8]» de la conservation autrichienne.
Références et liens externes
- ↑ https://biographien.ac.at/ID-0.3052992-1
- ↑ https://anno.onb.ac.at/info/car_info.html
- ↑ https://anno.onb.ac.at/info/doz_info.html
- ↑ https://biographien.ac.at/ID-0.3054134-1
- ↑ https://www.inha.fr/fr/ressources/publications/publications-numeriques/dictionnaire-critique-des-historiens-de-l-art/didron-adolphe-napoleon.html
- ↑ https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/cb32693386n/date
- ↑ Melly 1850, 4
- ↑ Euler-Rolle 2019
Bibliographie
Littérature primaire
- Melly, Eduard : Zur Reform der kaiserlichen Kunstakademie. Vienne : Franz Edl. v. Schmid, 1848.
- Melly, Eduard : « L’Archéologie nationale en Autriche ». In : Annales archéologiques, 1850, tome 11, p. 145-153.
- Melly, Eduard : Das Westportal des Domes zu Wien, in seinen Bildwerken und ihrer Bemalung. Vienne : Leopold Sommer, 1850.
Littérature secondaire
- Brückler, Theodor, Nimeth, Ulrike : Personenlexikon zur Österreichischen Denkmalpflege (1850-1990). Vienne : Berger, 2001.
- Euler-Rolle, Bernd : « Zur genetischen Code der österreichischen Denkmalpflege », Österreichische Zeitschrift für Kunst und Denkmalpflege, 1/2, 73, 2019, p. 25 34.
- Frodl, Walter : Idee und Verwirklichung: das Werden der staatlichen Denkmalpflege in Österreich. Vienne : Böhlau, 1988.
- Springer, Elisabeth : « Zur wissenschaftlichen und kulturpolitischen Tätigkeit Eduard Mellys ». In : Mitteilungen des Österreichischen Staatsarchivs (MÖStA), no30, 1977, p. 67-96.
Auteur
Solène Scherer
Mise en ligne : 20/02/2024