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[[File:WP um 1940 Kopie.jpg||thumb|Wolfgang Paalen (ca. 1940/1946)]] Le peintre, sculpteur et théoricien de l’art Wolfgang Paalen (* 22 juillet 1905 à Vienne, † 24 septembre 1959 à Taxco de Alarcón, Mexique) est considéré comme le seul représentant de la ‘modernité viennoise’ au sein du surréalisme français. Outre son œuvre plastique hétérogène, il laisse derrière lui de nombreux écrits théoriques, des poèmes, des pièces de théâtre et des nouvelles. Après avoir fait partie du groupe parisien Abstraction-Création de 1934 à 1935, il intègre le groupe des surréalistes et joue par la suite un rôle éminent en tant que peintre et générateur d’idées novatrices. Pendant son exil au Mexique à partir de 1939, il publie la revue d’art anti-surréaliste ''DYN'', dans laquelle il s’efforce de concilier les tendances matérialistes et mystiques divergentes du [[surréalisme]] par le biais d’une philosophie de la contingence, apparentée aux réflexions du [[Cercle de Vienne]] et de [[Ludwig Wittgenstein]]. Pendant son séjour à Paris entre 1951 et 1954, il se réconcilie avec André Breton et rejoint à nouveau le cercle surréaliste jusqu’à son retour au Mexique, où il met fin à ses jours en 1959. | |||
==Biographie== | |||
Wolfgang Paalen naît à Vienne en 1905. Il est le premier des quatre fils de Gustav Robert Paalen, un commerçant et inventeur juif autrichien, et de son épouse allemande, l’actrice Clothilde Emilie Gunkel. Il passe les premières années de sa vie à Vienne et à Tobelbad, en Styrie, où son père dirige le légendaire hôtel de cure où Alma Mahler<ref>https://www.geschichtewiki.wien.gv.at/Alma_Mahler-Werfel</ref> a rencontré Walter Gropius<ref>https://bauhauskooperation.de/wissen/das-bauhaus/koepfe/biografien/biografie-detail/person-Gropius-Walter-1436</ref>. En 1912, la famille déménage à Żagań, en Silésie, où Paalen fréquente l’école primaire et le lycée humaniste. Pendant la guerre, il suit les cours d’un professeur particulier. En 1938, à l’apogée de sa période surréaliste, il revient sur la « magie des fées qui se manifesta une nuit dans mon enfance<ref>zit.n. Wolfgang Paalen, Paysage totémique II, in: DYN 2, Mexiko 1943, S. 46f.</ref> » comme expérience déterminante vécue à Żagań et point d’origine de ses créatures fantasmatiques, dont l’exploration artistique constituera plus tard le lien principal de son amitié avec Breton. | |||
[[File:Wolfgang Paalen, Le nuage articulé, 1937 (2023).jpg|thumb||Wolfgang Paalen, Le nuage articulé, 1937 (2023)]] | |||
Pendant les années de guerre, Paalen manifeste un intérêt soutenu pour les œuvres poétiques du romantisme allemand, la philosophie d’Arthur Schopenhauer et le Veda indien. Après des séjours à Rome et à Berlin, il s’installe en France en 1925 (à Paris et à Cassis), où il tisse des liens avec Roland Penrose<ref>https://d-nb.info/gnd/119329999</ref>, Jean Varda<ref>http://www.jeanyankovarda.com/</ref> et Georges Braque<ref>https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb120557687</ref>. En 1927-1928, il fréquente l’école d’art de Hans Hofmann<ref>https://www.historisches-lexikon-bayerns.de/Lexikon/Hans_Hofmann_Schule_f%C3%BCr_Bildende_Kunst</ref> à Munich, adoptant un regard critique vis-à-vis de la théorie métaphysique de ce dernier, et se rend également à Saint-Tropez. En 1932, il étudie brièvement chez Fernand Léger<ref>https://www.fernand-leger.de/</ref> et devient membre du groupe Abstraction-Création en 1934. Il quitte le groupe en 1935, en même temps que Hans Arp<ref>https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/011477/2020-05-05</ref> et Jean Hélion<ref>https://d-nb.info/gnd/118710125</ref>. Dans l’œuvre élaborée à cette période, Paalen s’efforce d’assouplir les règles picturales rigides du groupe et de leur donner une dimension poétique, une démarche qui le prépare à son travail de réforme théorique et picturale des fondements surréalistes établis par Breton, qu’il développera au cours de la Seconde Guerre mondiale en Amérique. Les résultats obtenus au début des années 1930 doivent être considérés comme une sorte de jeu de langage : il s’agit d’explorer jusqu’à quel point des formes concrètes peuvent être dépouillées afin d’éveiller de multiples significations dans l’imaginaire du spectateur, avant que celles-ci ne deviennent vides de sens et de tension. En 1934, il épouse la créatrice de chapeaux et poétesse française Alice Phillipot (Alice Rahon)<ref>http://www.deutsche-biographie.de/sfz74645.html</ref> et devient un ami proche de Roland Penrose et de son épouse Valentine, qui mettent les Paalen en relation avec Paul Éluard<ref>https://www.deutsche-biographie.de/pnd118530062.html</ref>. | |||
[[File:Wolfgang Paalen, L'heure de la femme où la terre se mouille, 1938.jpg|thumb|left|Wolfgang Paalen, L'heure de la femme où la terre se mouille, 1938 ]] | |||
[[File:39 Wolfgang Paalen, Les étrangers 1937.jpg|thumb|250px||Wolfgang Paalen, Les étrangeres, 1937]] Lors de l’été 1935, Paalen fait la connaissance d’André Breton<ref>https://www.deutsche-biographie.de/sfz127413.html</ref>. En collaboration avec ce dernier et Roland Penrose, il participe à l’organisation de l’Exposition surréaliste d’objets à la galerie Charles Ratton et de l’''International Surrealist Exhibition'' aux New Burlington Galleries (1936) à Londres, où il présente son premier « fumage », un tableau réalisé avec de la fumée de bougie, intitulé ''Dictated by a Candle''. En 1936, il montre ses œuvres au public parisien nouvellement acquis lors d’une exposition individuelle à la galerie Pierre Loeb. Aux côtés de Marcel Duchamp<ref>https://www.deutsche-biographie.de/sfz129322.html</ref>, Man Ray<ref>https://www.deutsche-biographie.de/sfz125035.html</ref> et Salvador Dali<ref>https://www.deutsche-biographie.de/pnd118523481.html</ref>, il figure parmi les concepteurs de l’Exposition Internationale du Surréalisme qui se tient à Paris à la galerie des Beaux-Arts de Georges Wildenstein en 1938. Il y installe un véritable étang, appelé ''Avant la mare'', agrémenté de roseaux, de lierre et de nénuphars. S’inspirant de sa propre création ''Le sol de la forêt'' (1933), il fait également recouvrir tout le sol des salles d’exposition de feuilles mortes et de terre humide provenant du cimetière Montparnasse. La poupée présentée lors de l’exposition, décorée par Paalen et photographiée notamment par Man Ray et Denise Bellon<ref>https://d-nb.info/gnd/129869767</ref>, évoque, avec son foulard de soie, sa chauve-souris géante surplombant sa tête et son effrayante robe de feuilles couvertes de champignons, l’une des créatures féeriques totémiques de ses tableaux peints à l’huile et au fumage, à peine visibles et flottant dans les airs, qu’il présente en mai de la même année à la galerie surréaliste Renou et Colle. Par ailleurs, Paalen contribue à la réalisation du livre-catalogue ''Dictionnaire abrégé du surréalisme'', dans lequel on trouve une première ébauche de son œuvre emblématique, ''Nuage articulé''. | |||
==Le rêve éveillé comme motif pictural== | |||
Dans les tableaux qui contribueront à établir la renommée de Paalen, non seulement à Paris grâce à Renou et Colle, mais surtout à New York grâce à l’exposition de 1940 organisée par Julien Levy <ref>https://archive.metromod.net/viewer.p/69/2948/object/5145-11007220</ref>, l’artiste autrichien parvient de manière inattendue à fusionner les principes du surréalisme et du [[cubisme]]. Le tableau devient une surface plane où émergent des moyens picturaux (à l’instar du cubisme) tout en révélant des phénomènes poétiques et des créatures fantastiques qui, dans ces compositions, font véritablement du processus par lequel elles prennent forme dans l’esprit du spectateur pendant un état de rêve éveillé le sujet principal. Dans ''Taches solaires'' et ''Ciel de pieuvre'', Paalen révèle toute l’étendue de son talent lyrique par la subtilité et la précision remarquables dans le traitement des détails. Il parvient à mettre en scène avec une délicatesse raffinée l’ensemble des processus dialogiques du visible et du pensable au sein de ce champ intrasubjectif. Aucun peintre avant lui n’a dépeint avec une telle exactitude cet état de conscience éveillé, caractérisé par des superpositions fulgurantes d’objets visibles et de projections imaginées. | |||
==L’exil et la revue DYN== | |||
Au printemps de l’année 1939, alarmé par la politique de plus en plus agressive du régime nazi et fasciné par la culture totémique des peuples autochtones de Colombie-Britannique, Paalen est le premier surréaliste à quitter l’Europe. Il a, par ailleurs, obtenu l’accord de Breton pour organiser une grande exposition dédiée au surréalisme au Mexique. Le 12 mai 1939, il embarque à Boulogne à destination de New York à bord du TSS Nieuw Amsterdam, muni d’un passeport tchèque. Sa femme Alice et son amie Eva Sulzer<ref>https://d-nb.info/gnd/1124012508</ref> l’accompagnent. Il détient en outre une invitation de Frida Kahlo<ref>https://www.deutsche-biographie.de/pnd11855932X.html</ref>, un ensemble de dessins et de photographies surréalistes servant de base à l’exposition prévue et une lettre de recommandation de Breton à Léon Trotski, qui se trouve en exil au Mexique. Au cours de la première semaine de juin, les trois Européens voyagent en train en passant par Albany, le Vermont, Montréal, Ottawa et Winnipeg jusqu’aux premiers territoires indiens autour de la rivière Skeena, entre Jasper et les paysages insulaires sauvages au large de Prince Rupert. De là, ils prennent un bateau, traversent les paysages de la Colombie-Britannique, passent par Ketchikan pour poursuivre leur route jusqu’à Sitka. Ils prennent ensuite l’avion en direction de Juneau, le point le plus au nord de leur voyage en Alaska. Eva Sulzer, en étroite collaboration avec Paalen, documente de manière systématique les différents paysages de ce voyage, qui font écho de manière subtile et allusive au récit ''Paysage totémique'', aux journaux intimes et aux tableaux réalisés entre 1937 et 1939. Au ''Bear Totem Store'' de Walter C. Waters, à Wrangell, Paalen fait l’acquisition la plus importante de sa vie de collectionneur : un mur de maison mesurant 4,6 x 2,7 mètres représentant une mère ours. Cette œuvre, dont il publiera la photographie dans ''DYN'', ornera pendant près de dix ans son studio à San Angel, au Mexique, aux côtés d’un phallus de baleine. | |||
[[File:Wolfgang Paalen, Le genie de l'espèce, 1938 (2017).jpg|thumb|Wolfgang Paalen, Le genie de l'espèce, 1938 (2017)]] Le 14 septembre 1939, les voyageurs arrivent au Mexique. Paalen s’attelle immédiatement à la préparation de la grande exposition dédiée au surréalisme, inaugurée au début de l’année 1940 à la Galeria de Arte Mexicano. Parallèlement à la rédaction de ses essais destinés à la revue en cours d’élaboration, il explore également une nouvelle conception de l’espace dans la peinture. Dans ces œuvres transitoires, s’appuyant sur sa technique de fumage, il aborde la toile comme une sorte de champ magnétique d’événements, un espace intérieur multidimensionnel qui est aussi un espace extérieur, où des points et des lignes représentant des sentiments et des pensées se déploient comme des microparticules dans un liquide nutritif coloré et lumineux. Les moyens picturaux utilisés doivent désormais refléter de manière beaucoup plus directe les tempêtes poétiques de l’épanouissement émotionnel, sans aucune mythologie ni allusion directe et personnelle aux épiphanies enfantines. Le galeriste new-yorkais Julien Levy est conscient des tendances dissidentes de Paalen, que l’on peut observer notamment dans sa critique de Dalí, et ce, au moins depuis mai 1939. Il organise néanmoins une exposition individuelle de l’artiste, soigneusement mise en valeur dans les nouveaux locaux de la galerie au design sinueux, situés sur la 57e rue. Bénéficiant d’un accueil critique élogieux, cette exposition est accompagnée d’un catalogue original constitué de deux cartons plastifiés avec des fenêtres découpées qui se tournent et se retournent à volonté tel un livre pour enfants. Il contient la photo du squelette de revolver ''Le génie de l’espèce'' (1938). | |||
L’exil de Breton à New York après l’assassinat de Léon Trotsky incite Paalen à publier le conflit latent avec le chef de file surréaliste dans sa propre revue, qui paraît en six numéros entre mars 1942 et 1944 sous le titre ''DYN''. Une nouvelle analyse de la correspondance houleuse avec Paalen révèle que Breton a d’abord encouragé son ami à entreprendre cette démarche, mais qu’il s’ y est ensuite explicitement opposé, par l’intermédiaire de sa propre revue ''VVV''. Cette opposition vise particulièrement la philosophie de la contingence défendue par Paalen, dérivée de la physique quantique, que ce dernier souhaite substituer aux anciens principes freudo-marxistes du surréalisme. Parallèlement, Paalen élabore de nouvelles œuvres, comme ''Polarités majeures'', ''Espace libre'', ''Le messager'' et ''Les premières spatiales''. Chacun de ces tableaux illustre un type d’espace pictural entièrement inédit : l’artiste y développe un usage audacieux de ses concepts pré-surréalistes afin de faire émerger des entités qui se manifestent exclusivement par le biais de moyens picturaux immanents : le rythme, la lumière et la couleur. Il s’attache à explorer le rythme cubiste, qu’il compare à la même période à la fugue et au jazz dans le texte ''Über die Aktualität des Kubismus'' (Sur l’actualité du cubisme), en employant une technique mosaïque et des contrastes complémentaires. Ce travail est également marqué par le staccato naturel des traces de fumage dans un espace sonore choral et auratique, semblable à celui qui se crée dans la musique entre les instruments et les auditeurs. | |||
Grâce à ces tableaux, caractérisés par une spatialité préfigurative, ainsi qu’à ses essais, Paalen devient, durant plusieurs années, l’artiste européen en exil le plus discuté et le plus influent. Dans sa théorie de l’espace des possibles, qui dépend de l’observateur et qui a insufflé un nouvel élan à la peinture abstraite des années 1940 tout en offrant une vision unifiée du monde, Paalen intègre tant des connaissances issues de la physique quantique que des interprétations novatrices de la conception totémique du monde et des structures spatiales présentes dans les peintures indiennes de la côte nord-ouest. Robert Motherwell a étudié avec lui au Mexique en 1941 et en 1943, puis il a publié en 1945 ses essais sous le titre ''Form and Sense'', qui constitue le premier numéro de la série ''Problems of Contemporary Art'' à New York. Cette revue a également vu paraître en 1947 la première publication des expressionnistes abstraits, intitulée ''Possibilities'', dans le prolongement thématique de la revue ''DYN'' de Paalen (du grec ''to dynaton'' : le possible). Enfin, la théorie de l’espace de l’artiste a de nouveau été résumée en 1951 dans le livre-catalogue de l’exposition ''Dynaton, A New Vision'' au musée d’Art moderne de San Francisco sous le titre ''Metaplastic''. | |||
==Sources et liens externes== | |||
<references /> | |||
==Bibliographie== | |||
*Neufert, Andreas: Wolfgang Paalen. Im Inneren des Wals. Springer, Wien und New York 1999 (Monografie und Werkverzeichnis). | |||
*Neufert, Andreas: Auf Liebe und Tod. Das Leben des Surrealisten Wolfgang Paalen. Parthas, Berlin 2015. | |||
*Neufert, Andreas: PAALEN Life and Work – I. Forbidden Land: The Early and Crucial Years 1905–1939. Berlin/Hamburg 2022. | |||
*Neufert, Andreas: Andreas: PAALEN Life and Work – I. Forbidden Land: The Early and Crucial Years 1905–1939. Begleitbotschaft des Autors zu der englischen Ausgabe der Paalen Biografie November 2022. URL: https://www.youtube.com/watch?v=zniCMLfvjh8 | |||
*Regler, Gustav: Wolfgang Paalen. Nierendorf Editions, New York 1946. | |||
*Schrage, Dieter: Paalen, Wolfgang Robert. In: Neue Deutsche Biographie (NDB). Band 19, Duncker & Humblot, Berlin 1999. | |||
*Winter, Amy: Wolfgang Paalen. Artist and Theorist of the Avantgarde Praeger, Westport (Connecticut) 2002. | |||
==Auteur== | |||
Andreas Neufert | |||
Traduit de l'allemand par Irène Cagneau | |||
Mise en ligne: 16/04/2025 | |||
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Version du 16 avril 2025 à 12:12

Le peintre, sculpteur et théoricien de l’art Wolfgang Paalen (* 22 juillet 1905 à Vienne, † 24 septembre 1959 à Taxco de Alarcón, Mexique) est considéré comme le seul représentant de la ‘modernité viennoise’ au sein du surréalisme français. Outre son œuvre plastique hétérogène, il laisse derrière lui de nombreux écrits théoriques, des poèmes, des pièces de théâtre et des nouvelles. Après avoir fait partie du groupe parisien Abstraction-Création de 1934 à 1935, il intègre le groupe des surréalistes et joue par la suite un rôle éminent en tant que peintre et générateur d’idées novatrices. Pendant son exil au Mexique à partir de 1939, il publie la revue d’art anti-surréaliste DYN, dans laquelle il s’efforce de concilier les tendances matérialistes et mystiques divergentes du surréalisme par le biais d’une philosophie de la contingence, apparentée aux réflexions du Cercle de Vienne et de Ludwig Wittgenstein. Pendant son séjour à Paris entre 1951 et 1954, il se réconcilie avec André Breton et rejoint à nouveau le cercle surréaliste jusqu’à son retour au Mexique, où il met fin à ses jours en 1959.
Biographie
Wolfgang Paalen naît à Vienne en 1905. Il est le premier des quatre fils de Gustav Robert Paalen, un commerçant et inventeur juif autrichien, et de son épouse allemande, l’actrice Clothilde Emilie Gunkel. Il passe les premières années de sa vie à Vienne et à Tobelbad, en Styrie, où son père dirige le légendaire hôtel de cure où Alma Mahler[1] a rencontré Walter Gropius[2]. En 1912, la famille déménage à Żagań, en Silésie, où Paalen fréquente l’école primaire et le lycée humaniste. Pendant la guerre, il suit les cours d’un professeur particulier. En 1938, à l’apogée de sa période surréaliste, il revient sur la « magie des fées qui se manifesta une nuit dans mon enfance[3] » comme expérience déterminante vécue à Żagań et point d’origine de ses créatures fantasmatiques, dont l’exploration artistique constituera plus tard le lien principal de son amitié avec Breton.

Pendant les années de guerre, Paalen manifeste un intérêt soutenu pour les œuvres poétiques du romantisme allemand, la philosophie d’Arthur Schopenhauer et le Veda indien. Après des séjours à Rome et à Berlin, il s’installe en France en 1925 (à Paris et à Cassis), où il tisse des liens avec Roland Penrose[4], Jean Varda[5] et Georges Braque[6]. En 1927-1928, il fréquente l’école d’art de Hans Hofmann[7] à Munich, adoptant un regard critique vis-à-vis de la théorie métaphysique de ce dernier, et se rend également à Saint-Tropez. En 1932, il étudie brièvement chez Fernand Léger[8] et devient membre du groupe Abstraction-Création en 1934. Il quitte le groupe en 1935, en même temps que Hans Arp[9] et Jean Hélion[10]. Dans l’œuvre élaborée à cette période, Paalen s’efforce d’assouplir les règles picturales rigides du groupe et de leur donner une dimension poétique, une démarche qui le prépare à son travail de réforme théorique et picturale des fondements surréalistes établis par Breton, qu’il développera au cours de la Seconde Guerre mondiale en Amérique. Les résultats obtenus au début des années 1930 doivent être considérés comme une sorte de jeu de langage : il s’agit d’explorer jusqu’à quel point des formes concrètes peuvent être dépouillées afin d’éveiller de multiples significations dans l’imaginaire du spectateur, avant que celles-ci ne deviennent vides de sens et de tension. En 1934, il épouse la créatrice de chapeaux et poétesse française Alice Phillipot (Alice Rahon)[11] et devient un ami proche de Roland Penrose et de son épouse Valentine, qui mettent les Paalen en relation avec Paul Éluard[12].


Lors de l’été 1935, Paalen fait la connaissance d’André Breton[13]. En collaboration avec ce dernier et Roland Penrose, il participe à l’organisation de l’Exposition surréaliste d’objets à la galerie Charles Ratton et de l’International Surrealist Exhibition aux New Burlington Galleries (1936) à Londres, où il présente son premier « fumage », un tableau réalisé avec de la fumée de bougie, intitulé Dictated by a Candle. En 1936, il montre ses œuvres au public parisien nouvellement acquis lors d’une exposition individuelle à la galerie Pierre Loeb. Aux côtés de Marcel Duchamp[14], Man Ray[15] et Salvador Dali[16], il figure parmi les concepteurs de l’Exposition Internationale du Surréalisme qui se tient à Paris à la galerie des Beaux-Arts de Georges Wildenstein en 1938. Il y installe un véritable étang, appelé Avant la mare, agrémenté de roseaux, de lierre et de nénuphars. S’inspirant de sa propre création Le sol de la forêt (1933), il fait également recouvrir tout le sol des salles d’exposition de feuilles mortes et de terre humide provenant du cimetière Montparnasse. La poupée présentée lors de l’exposition, décorée par Paalen et photographiée notamment par Man Ray et Denise Bellon[17], évoque, avec son foulard de soie, sa chauve-souris géante surplombant sa tête et son effrayante robe de feuilles couvertes de champignons, l’une des créatures féeriques totémiques de ses tableaux peints à l’huile et au fumage, à peine visibles et flottant dans les airs, qu’il présente en mai de la même année à la galerie surréaliste Renou et Colle. Par ailleurs, Paalen contribue à la réalisation du livre-catalogue Dictionnaire abrégé du surréalisme, dans lequel on trouve une première ébauche de son œuvre emblématique, Nuage articulé.
Le rêve éveillé comme motif pictural
Dans les tableaux qui contribueront à établir la renommée de Paalen, non seulement à Paris grâce à Renou et Colle, mais surtout à New York grâce à l’exposition de 1940 organisée par Julien Levy [18], l’artiste autrichien parvient de manière inattendue à fusionner les principes du surréalisme et du cubisme. Le tableau devient une surface plane où émergent des moyens picturaux (à l’instar du cubisme) tout en révélant des phénomènes poétiques et des créatures fantastiques qui, dans ces compositions, font véritablement du processus par lequel elles prennent forme dans l’esprit du spectateur pendant un état de rêve éveillé le sujet principal. Dans Taches solaires et Ciel de pieuvre, Paalen révèle toute l’étendue de son talent lyrique par la subtilité et la précision remarquables dans le traitement des détails. Il parvient à mettre en scène avec une délicatesse raffinée l’ensemble des processus dialogiques du visible et du pensable au sein de ce champ intrasubjectif. Aucun peintre avant lui n’a dépeint avec une telle exactitude cet état de conscience éveillé, caractérisé par des superpositions fulgurantes d’objets visibles et de projections imaginées.
L’exil et la revue DYN
Au printemps de l’année 1939, alarmé par la politique de plus en plus agressive du régime nazi et fasciné par la culture totémique des peuples autochtones de Colombie-Britannique, Paalen est le premier surréaliste à quitter l’Europe. Il a, par ailleurs, obtenu l’accord de Breton pour organiser une grande exposition dédiée au surréalisme au Mexique. Le 12 mai 1939, il embarque à Boulogne à destination de New York à bord du TSS Nieuw Amsterdam, muni d’un passeport tchèque. Sa femme Alice et son amie Eva Sulzer[19] l’accompagnent. Il détient en outre une invitation de Frida Kahlo[20], un ensemble de dessins et de photographies surréalistes servant de base à l’exposition prévue et une lettre de recommandation de Breton à Léon Trotski, qui se trouve en exil au Mexique. Au cours de la première semaine de juin, les trois Européens voyagent en train en passant par Albany, le Vermont, Montréal, Ottawa et Winnipeg jusqu’aux premiers territoires indiens autour de la rivière Skeena, entre Jasper et les paysages insulaires sauvages au large de Prince Rupert. De là, ils prennent un bateau, traversent les paysages de la Colombie-Britannique, passent par Ketchikan pour poursuivre leur route jusqu’à Sitka. Ils prennent ensuite l’avion en direction de Juneau, le point le plus au nord de leur voyage en Alaska. Eva Sulzer, en étroite collaboration avec Paalen, documente de manière systématique les différents paysages de ce voyage, qui font écho de manière subtile et allusive au récit Paysage totémique, aux journaux intimes et aux tableaux réalisés entre 1937 et 1939. Au Bear Totem Store de Walter C. Waters, à Wrangell, Paalen fait l’acquisition la plus importante de sa vie de collectionneur : un mur de maison mesurant 4,6 x 2,7 mètres représentant une mère ours. Cette œuvre, dont il publiera la photographie dans DYN, ornera pendant près de dix ans son studio à San Angel, au Mexique, aux côtés d’un phallus de baleine.

Le 14 septembre 1939, les voyageurs arrivent au Mexique. Paalen s’attelle immédiatement à la préparation de la grande exposition dédiée au surréalisme, inaugurée au début de l’année 1940 à la Galeria de Arte Mexicano. Parallèlement à la rédaction de ses essais destinés à la revue en cours d’élaboration, il explore également une nouvelle conception de l’espace dans la peinture. Dans ces œuvres transitoires, s’appuyant sur sa technique de fumage, il aborde la toile comme une sorte de champ magnétique d’événements, un espace intérieur multidimensionnel qui est aussi un espace extérieur, où des points et des lignes représentant des sentiments et des pensées se déploient comme des microparticules dans un liquide nutritif coloré et lumineux. Les moyens picturaux utilisés doivent désormais refléter de manière beaucoup plus directe les tempêtes poétiques de l’épanouissement émotionnel, sans aucune mythologie ni allusion directe et personnelle aux épiphanies enfantines. Le galeriste new-yorkais Julien Levy est conscient des tendances dissidentes de Paalen, que l’on peut observer notamment dans sa critique de Dalí, et ce, au moins depuis mai 1939. Il organise néanmoins une exposition individuelle de l’artiste, soigneusement mise en valeur dans les nouveaux locaux de la galerie au design sinueux, situés sur la 57e rue. Bénéficiant d’un accueil critique élogieux, cette exposition est accompagnée d’un catalogue original constitué de deux cartons plastifiés avec des fenêtres découpées qui se tournent et se retournent à volonté tel un livre pour enfants. Il contient la photo du squelette de revolver Le génie de l’espèce (1938).
L’exil de Breton à New York après l’assassinat de Léon Trotsky incite Paalen à publier le conflit latent avec le chef de file surréaliste dans sa propre revue, qui paraît en six numéros entre mars 1942 et 1944 sous le titre DYN. Une nouvelle analyse de la correspondance houleuse avec Paalen révèle que Breton a d’abord encouragé son ami à entreprendre cette démarche, mais qu’il s’ y est ensuite explicitement opposé, par l’intermédiaire de sa propre revue VVV. Cette opposition vise particulièrement la philosophie de la contingence défendue par Paalen, dérivée de la physique quantique, que ce dernier souhaite substituer aux anciens principes freudo-marxistes du surréalisme. Parallèlement, Paalen élabore de nouvelles œuvres, comme Polarités majeures, Espace libre, Le messager et Les premières spatiales. Chacun de ces tableaux illustre un type d’espace pictural entièrement inédit : l’artiste y développe un usage audacieux de ses concepts pré-surréalistes afin de faire émerger des entités qui se manifestent exclusivement par le biais de moyens picturaux immanents : le rythme, la lumière et la couleur. Il s’attache à explorer le rythme cubiste, qu’il compare à la même période à la fugue et au jazz dans le texte Über die Aktualität des Kubismus (Sur l’actualité du cubisme), en employant une technique mosaïque et des contrastes complémentaires. Ce travail est également marqué par le staccato naturel des traces de fumage dans un espace sonore choral et auratique, semblable à celui qui se crée dans la musique entre les instruments et les auditeurs. Grâce à ces tableaux, caractérisés par une spatialité préfigurative, ainsi qu’à ses essais, Paalen devient, durant plusieurs années, l’artiste européen en exil le plus discuté et le plus influent. Dans sa théorie de l’espace des possibles, qui dépend de l’observateur et qui a insufflé un nouvel élan à la peinture abstraite des années 1940 tout en offrant une vision unifiée du monde, Paalen intègre tant des connaissances issues de la physique quantique que des interprétations novatrices de la conception totémique du monde et des structures spatiales présentes dans les peintures indiennes de la côte nord-ouest. Robert Motherwell a étudié avec lui au Mexique en 1941 et en 1943, puis il a publié en 1945 ses essais sous le titre Form and Sense, qui constitue le premier numéro de la série Problems of Contemporary Art à New York. Cette revue a également vu paraître en 1947 la première publication des expressionnistes abstraits, intitulée Possibilities, dans le prolongement thématique de la revue DYN de Paalen (du grec to dynaton : le possible). Enfin, la théorie de l’espace de l’artiste a de nouveau été résumée en 1951 dans le livre-catalogue de l’exposition Dynaton, A New Vision au musée d’Art moderne de San Francisco sous le titre Metaplastic.
Sources et liens externes
- ↑ https://www.geschichtewiki.wien.gv.at/Alma_Mahler-Werfel
- ↑ https://bauhauskooperation.de/wissen/das-bauhaus/koepfe/biografien/biografie-detail/person-Gropius-Walter-1436
- ↑ zit.n. Wolfgang Paalen, Paysage totémique II, in: DYN 2, Mexiko 1943, S. 46f.
- ↑ https://d-nb.info/gnd/119329999
- ↑ http://www.jeanyankovarda.com/
- ↑ https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb120557687
- ↑ https://www.historisches-lexikon-bayerns.de/Lexikon/Hans_Hofmann_Schule_f%C3%BCr_Bildende_Kunst
- ↑ https://www.fernand-leger.de/
- ↑ https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/011477/2020-05-05
- ↑ https://d-nb.info/gnd/118710125
- ↑ http://www.deutsche-biographie.de/sfz74645.html
- ↑ https://www.deutsche-biographie.de/pnd118530062.html
- ↑ https://www.deutsche-biographie.de/sfz127413.html
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Bibliographie
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- Neufert, Andreas: Auf Liebe und Tod. Das Leben des Surrealisten Wolfgang Paalen. Parthas, Berlin 2015.
- Neufert, Andreas: PAALEN Life and Work – I. Forbidden Land: The Early and Crucial Years 1905–1939. Berlin/Hamburg 2022.
- Neufert, Andreas: Andreas: PAALEN Life and Work – I. Forbidden Land: The Early and Crucial Years 1905–1939. Begleitbotschaft des Autors zu der englischen Ausgabe der Paalen Biografie November 2022. URL: https://www.youtube.com/watch?v=zniCMLfvjh8
- Regler, Gustav: Wolfgang Paalen. Nierendorf Editions, New York 1946.
- Schrage, Dieter: Paalen, Wolfgang Robert. In: Neue Deutsche Biographie (NDB). Band 19, Duncker & Humblot, Berlin 1999.
- Winter, Amy: Wolfgang Paalen. Artist and Theorist of the Avantgarde Praeger, Westport (Connecticut) 2002.
Auteur
Andreas Neufert
Traduit de l'allemand par Irène Cagneau
Mise en ligne: 16/04/2025