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La France fait partie des destinations que Raoul Schrott (*1964) a régulièrement fréquentées et parcourues. Il séjourne à Paris en 1986/1987, suit des cours à la Sorbonne et devient secrétaire du dernier poète surréaliste, Philippe Soupault[1] (1897–1990). Les vecteurs privilégiés de son rapport à la France sont la littérature et la traduction. La présence multiforme de la langue et de la culture françaises dans son œuvre contraste toutefois avec la réception encore relativement marginale dont il fait l’objet en France.
Réception en France
Raoul Schrott se présente volontiers comme un écrivain cosmopolite et érudit dont la « marque de fabrique » est de circuler entre les langues, les cultures et les savoirs. Cette mobilité intellectuelle est l’un des traits les plus saillants de sa trajectoire et elle détermine son positionnement éditorial dans le champ littéraire autrichien et international. Depuis la publication en 1999 de son premier roman, Finis terrae – Ein Nachlass (1995), chez Hachette, dans une traduction de Nicole Casanova, Finis terrae : Écrits posthumes, Raoul Schrott est lu et reçu en France comme un représentant des écrivains autrichiens du voyage, à l’image de Christoph Ransmayr[2] (*1954) ou Walter Grond[3] (*1957). La traduction française de son deuxième récit, Die Wüste Lop Nor (2000) chez Actes Sud en 2001, confirmera encore cette réputation de « [g]rand voyageur et érudit » qui « a le désir d’appréhender le monde dans toutes ses dimensions – géographique, historique et artistique. » (Le désert de Lop Nor, quatrième de couverture). C’est également cette facette de l’auteur qu’Olivier Barrot met en avant dans un reportage consacré au [D]ésert de Lop Nor comme « Livre du jour » sur France 3 le 27 mars 2001, au moment de la sortie du livre en France.
Cette image de « baroudeur des lettres[4] » le démarque des représentations qui dominent encore largement la réception de la littérature autrichienne en France aujourd’hui. Il tourne ostensiblement le dos aux réalités de l’Autriche et au solipsisme dont ce pays est souvent taxé. Ses romans, ses nouvelles comme ses poèmes ne se laissent pas enrôler sous la bannière des « ruminations austro-autrichiennes » et de ses thématiques de l’enfermement et de la claustration[5] qu’incarnent les « monstres sacrés » de cette littérature, Thomas Bernhard (1931–1989), Peter Handke (*1942) ou Elfriede Jelinek (*1946). Perçu comme l’auteur de récits exotiques dans lesquels le poète-voyageur mêle fiction, documentaire et compte-rendu scientifique, Raoul Schrott s’inscrit dans une veine littéraire plébiscitée en France par un festival comme celui des Étonnants voyageurs à Saint-Malo et semble entretenir un phénomène de « zanzibarisme » que Valérie de Daran définit comme un tropisme des ailleurs, qu’ils soient temporels, géographiques, réels ou fictifs[6].
En plus des deux récits Finis terrae : Écrits posthumes et Le désert de Lop Nor, le lecteur francophone peut avoir accès à la traduction de la première partie du récit Khamsin publié dans la revue Dédale en 1998[7] et à six poèmes du recueil Tropen (1998), traduits par Odile Demange dans une anthologie sur La poésie allemande contemporaine, parue en 2001. Kurt Drawert considère dans l’introduction du volume que la poésie de Raoul Schrott est représentative des années 1990 où resurgissent « des formes et [des] éléments stylistiques d’un classicisme que les années 80 et le début des années 90 auraient indéniablement jugé anachronique[s][8] ». Il n’est pas fait spécifiquement mention du fait que Raoul Schrott est autrichien. Il est présenté dans ces pages comme un « technicien de la langue ».
On relèvera encore que sa traduction de l’Iliade (Ilias, 2008) et ses thèses iconoclastes sur la patrie d’Homère (Homers Heimat. Der Kampf um Troia und seine realen Hintergründe, 2008) n’ont pas suscité en France les vifs débats et querelles qu’elles ont déclenchés dans les pays germaniques. On peut supposer que cela tient au fait que Troie n’est pas un lieu aussi symbolique pour l’archéologie française qu’il ne l’est pour l’archéologie allemande qui a été, par l’entremise de Heinrich Schliemann[9], à l’origine des premières fouilles de la cité en 1870. Philippe Rousseau fait toutefois mention des thèses de Raoul Schrott dans son ouvrage Destin des hommes et jeu des dieux. Lectures de l’Iliade[10].
La transposition en allemand par Raoul Schrott d’une autre œuvre canonique du patrimoine littéraire mondial, l’épopée de Gilgamesh (2001), a fait l’objet en revanche d’une traduction en français par Stéphanie Lux, à l’occasion de la publication chez Actes Sud de la bande dessinée de Jens Harder[11] sur Gilgamesh en 2017.
Plus récemment, en 2023, sa fascination pour l’univers a fait l’objet d’une courte mention dans un magazine de la chaîne franco-allemande Arte, Twist, qui était consacrée à l’attrait des artistes pour l’astrophysique.
Cette présence relativement faible, et somme toute assez consensuelle, de l’œuvre de Raoul Schrott en France contraste toutefois avec la présence multiforme de la culture et de la langue françaises dans ses propres textes. Son apprentissage du français à Tunis, où il passe une partie de son enfance, la famille ayant suivi le père, délégué au commerce extérieur autrichien, marque très tôt son rapport à la langue. C’est par ses périphéries et ses marges, en lisant puis en traduisant ses langues régionales, ignorées ou oubliées, le corse, le breton ou l’occitan, vestiges de civilisations millénaires à tout jamais disparues, qu’il se familiarise avec la littérature de France, plutôt que « française ». Son deuxième livre, non traduit, Die Legenden vom Tod (Haymon 1990), s’inspire de la Légende de la mort du poète breton Anatole Le Braz[12] (1859–1926). La même année, il traduit dans Rime les poèmes de Guillaume IX d’Aquitaine, comte de Poitou (1071–1126) en qui il voit l’un des premiers troubadours. En 1996, il publiera également ses traductions de quelques poèmes du poète breton Koulizh Kedez, nom de plume de Jean-Yves Queffellec (*1947) et du poète occitan Philippe/Felip Gardy[13] (*1948) dans la revue Zwischen den Zeilen (7/8), éditée par Urs Engeler[14]. Ce qui l’intéresse, c’est une poésie populaire, ignorée et marginalisée, lointaine héritière de la poésie orale des troubadours ou des chamanes, qui porte la trace d’une langue poétique perdue. Ce qui le fascine est aussi le mysticisme de la nature et de la langue qui s’y expriment et l’inscription des textes dans les paysages qu’ils célèbrent.
Le français, dans toutes ses variantes, est à ses yeux la langue de la romanité. Il l’oppose dans sa mythologie personnelle à l’allemand qu’il décrit comme une langue didactique et moralisante qui reste grevée par le poids du protestantisme[15]. En 1994, Raoul Schrott traduira avec Kurt Salchi le roman Règlement (1993) / Abrechnung de l’écrivain austro-français Jean-Pierre Maurel[16], né en 1949 à Reutte d’une mère autrichienne et d’un père français. Dans son roman, ce dernier pose un regard critique sur le Tyrol et son pays natal, et dresse un portrait sans concession de la littérature et de l’histoire intellectuelle autrichiennes.
Albert Camus (1913–1960) et Philippe Soupault (1897–1990) sont toutefois les deux figures tutélaires dont Raoul Schrott revendique le plus explicitement l’héritage et qu’il dit avoir découvert vers 11-12 ans[17]. Cet appariement paradoxal entre deux écrivains cosmopolites et intellectuels engagés que tout semble opposer est révélateur de sa vision de la littérature et de sa démarche poétique qui s’inscrivent simultanément dans des régimes de légitimité qui peuvent paraître s’exclure. En dépit de leurs différences, l’un comme l’autre incarnent à ses yeux un « état d’esprit » comparable, fondé sur la confrontation avec le nihilisme et la quête de formes de résistance esthétiques et existentielles à l’absurde[18]. Tandis que le renvoi à l’héritage existentialiste de Camus tient à sa propre quête d’un sens de l’existence humaine, son rapport à Philippe Soupault relève de son intérêt pour les mouvements d’avant-garde, le dadaïsme puis le surréalisme, et leur goût des jeux de langage. Philippe Soupault, dont il est le secrétaire en 1986/87, lui ouvrira l’accès aux archives et aux inédits des poètes dadaïstes et surréalistes entreposés à la bibliothèque Doucet à Paris qu’il exploitera pour sa thèse de doctorat. Publiée sous le titre Dada 21/22, Eine Dokumentation der letzten beiden Dadajahre (1988), elle analyse la portée esthétique de la rencontre de Tristan Tzara, André Breton et Paul Éluard avec Max Ernst et Hans Arp[19] au Tyrol au début des années vingt. Dans Dada 15/25 (1992), il mettra en regard la correspondance de Tristan Tzara avec des extraits de l’œuvre de ce dernier et des textes présentés dans le cadre des soirées dada à Zurich.
À côté de ces présences manifestes et assumées, on trouve enfin des empreintes d’œuvres ou d’auteurs français moins nettement affichées, mais non moins déterminantes, comme celle de l’hélléniste Jean-Pierre Vernant (1914–2007) aux thèses duquel fait écho, sans le nommer, le recueil de poésie Hotels (1995). En plaçant son recueil sous le double patronage d’Hermès et d’Hestia, le poète autrichien reprend à son compte l’interprétation des deux divinités grecques proposée par Vernant dans Mythe et pensée chez les Grecs. Études de psychologie historique[20], un ouvrage de référence pour une approche anthropologique de l’Antiquité grecque. Fidèle en cela à la lecture de Jean-Pierre Vernant, Raoul Schrott présente les deux divinités grecques comme des figurations du rapport au temps et à l’espace dans la Grèce ancienne et des expressions de la tension qui caractérise le rapport des sociétés archaïques à l’espace. Tandis qu’Hestia, déesse du foyer, incarne l’espace domestique et le centre du foyer autour et à partir duquel s’organise l’espace humain, Hermès est le dieu qui vit l’espace comme mouvement et passage. La description de la statue de Phidias dans Hotels correspond presque mot pour mot au début du chapitre de Vernant sur Hermès et Hestia dans Mythe et pensée chez les Grecs[21].
Mentionnons, pour finir, le roman An den Mauern des Paradieses (2019) que Raoul Schrott présente comme une traduction d’un roman de l’auteur alsacien Martin Schneidewindt, qui serait né à Strasbourg en 1945 avant de partir s’établir à Tübingen, puis à Marburg et finalement en Amérique du Sud. En l’absence de preuves tangibles de l’existence de cet auteur ou de tout récit original français, il faut considérer cette « traduction » comme une invention qui correspond parfaitement à l’esprit de cet écrivain qui aime déporter ses textes non seulement vers les confins géographiques et littéraires mais aussi vers des zones qui bruissent de multiples langues et de sources parfois identifiables, parfois tout simplement inventées. On peut y voir le pied de nez d’un poète et traducteur qui s’est forgé très tôt un double littéraire auto-parodique dans Le désert de Lop Nor en la personne de l’écrivain français Raoul Louper, un nom dont les résonances n’échapperont à aucun lecteur francophone !
Références et liens externes
- ↑ https://www.universalis.fr/encyclopedie/philippe-soupault/
- ↑ https://www.geschichtewiki.wien.gv.at/Christoph_Ransmayr
- ↑ http://www.literaturhaus.at/index.php?id=4899
- ↑ Grimm-Hamen 2018
- ↑ de Daran 2010, p. 6
- ↑ Ibid., p. 352
- ↑ numéros 7/8, 292–302
- ↑ 2001, p. 8–9
- ↑ https://www.universalis.fr/encyclopedie/heinrich-schliemann/
- ↑ Rousseau 2022, p. 387–406
- ↑ https://www.bedetheque.com/auteur-10841-BD-Harder-Jens.html
- ↑ https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb11911531z
- ↑ https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb11904135r
- ↑ https://www.engeler.de/engeler.html
- ↑ Fragmente einer Sprache der Dichtung, p. 120
- ↑ http://www.viviane-hamy.fr/les-auteurs/article/jean-pierre-maurel
- ↑ Fragmente einer Sprache der Dichtung, p. 119
- ↑ Ibid., p. 120
- ↑ https://hls-dhs-dss.ch/fr/articles/011477/2020-05-05/
- ↑ La Découverte 1996 [Maspero 1965], p. 155–163
- ↑ Hotels, p. 21
Bibliographie
Littérature primaire
- Schneitewind Martin / Schrott Raoul (trad.) : An den Mauern des Paradieses (2019).
- Schrott, Raoul : Die Legenden vom Tod. Mit Bildern von Adolf Frohner. Innsbruck : Haymon Verlag 1990.
- Schrott, Raoul : Rime. Wie die elf Lieder des Guihelm IX, Herzog von Aquitanien & Graf von Poitiers, 1071-1127, von dem Raoul Schrott ins Deutsch geschrieben wurden und dieser sich, 1990-1991, mit selbiger Feder ein Dutzend Verse darauf machte etc… Mit 4 Bildern von Adolf Frohner. Innsbruck 1991.
- Schrott, Raoul : Finis Terrae. Ein Nachlass. Innsbruck : Haymon Verlag 1995.
- Schrott, Raoul : Finis terrae : Écrits posthumes. Trad Nicole Casanova. Paris : Hachette Littératures 1999.
- Schrott, Raoul : Hotels. Innsbruck : Haymon Verlag 1995.
- Schrott Raoul : „Ein bretonischer Dichter: Koulizh Kedez. Eingeleitet und übersetzt von Raoul *Schrott“, in : ZdZ 7/8 (1996). https://engeler.de/bretonischerdichter.html (dernière consultation le 19.11.2023)
- Schrott Raoul : Ein okzitanischer Dichter: Felip Gardy: Felip Gardy. Eingeleitet und übersetzt von Raoul Schrott. In : ZdZ 7/8 (1996). https://www.engeler.de/okzitanischerdichter.html (dernière consultation le 19.11.2023)
- Schrott, Raoul : Fragmente einer Sprache der Dichtung. Grazer Poetikvorlesung. Graz : Literaturverlag Droschl 1997.
- Schrott, Raoul : Die Wüste Lop Nor. Novelle. Munich : Hanser 2000.
- Schrott, Raoul : Le désert de Lop Nor. Trad. Nicole Casanova. Arles : Actes Sud 2001.
- Schrott, Raoul : Homers Heimat. Der Kampf um Troia und seine realen Hintergründe. Munich : Hanser 2008.
- Schrott, Raoul : Ilias. Neu übertragen von Raoul Schrott. Munich : Hanser 2008.
Littérature secondaire
- De Daran, Valérie : Traduit de l’allemand (Autriche) : étude d’un transfert littéraire. Berne et al. : P. Lang 2010.
- Drawert, Kurt (éd.) : La poésie allemande contemporaine. Textes choisis et présentés par Kurt Drawert. Paris : Seghers Goethe Institut Inter Nationes 2001, p. 51–59.
- Grimm-Hamen, Sylvie : La carte et la pioche. Raoul Schrott, poète « entre deux eaux ». Berlin : Frank & Timme 2018.
- Maurel, Jean-Pierre : Abrechnung : Roman. Aus dem Franz. von Kurt Salchli und Raoul Schrott. Innsbruck : Haymon Verlag 1994.
- Rousseau, Philippe : Destin des hommes et jeu des dieux. Lectures de l’Iliade. Villeneuve-d’Ascq : Presses universitaires du Septentrion 2022
Auteur
Sylvie Grimm-Hamen
Mise en ligne : 03/10/2024