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Page créée avec « 250px|thumb|Leopold von Sacher-Masoch (env. 1860-1870) Le romancier autrichien Leopold von Sacher-Masoch (*27 janvier 1836 à Lviv, † 9 mars 1895 à Lindheim) a bénéficié d’un accueil particulièrement favorable en France dans les années 1870-1890. Ses récits galiciens ont séduit le lectorat académique français, amateur d’exotisme et de nouveauté. Écrivain cosmopolite et polyglotte, Sacher-Masoch s... »
 
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==L'amour de la culture et de la langue françaises==
==L'amour de la culture et de la langue françaises==
Dans ses écrits, Sacher-Masoch a souvent exprimé son attachement profond à la culture et à la langue françaises. Dans ses Souvenirs, parus en feuilleton dans ''Le Gaulois'' en 1887, il décrit le français comme sa « seconde langue maternelle », apprise avec sa gouvernante durant son enfance<ref>Sacher-Masoch 1887, 3</ref>. Il évoque aussi ses nuits passées à lire les œuvres des écrivains français, « dérobés » pour la plupart dans la bibliothèque de son père et de son grand-père<ref>ibid.</ref>. Parmi les premiers auteurs qu’il découvre figurent [[Molière]], Philippe-Paul de Ségur, Agathon Jean François Fain, [[Voltaire]]. Il est aussi un grand admirateur du roman ''Paul et Virginie'' de Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre et, plus généralement, de la littérature française du XVIII<sup>e</sup> siècle<ref>Michel 1989, 36</ref>. Cet attachement se reflète dans sa revue internationale ''Auf der Höhe''<ref>https://onb.digital/result/131D2351</ref>, dont le premier numéro paraît le 1<sup>er</sup> octobre 1881 à Leipzig. Dans l’avant-propos, il souligne le caractère cosmopolite de la revue ainsi que l’importance de la culture française dans le paysage intellectuel européen. En 1882, dans ''Le Temps'', le romancier Jules Claretie<ref>https://data.bnf.fr/11896929/jules_claretie/</ref> commente avec enthousiasme cet amour de Sacher-Masoch pour la France : « Je l’ai lue, cette revue. Elle est remplie de nous, de nos idées, de nos sentiments, de ce qui se passe à Paris, de ce qui s’y écrit, de ce qui s’y dit. Cela est touchant de voir la fidélité d’un tel homme envers ceux qu’il aime.<ref>Claretie 1882, n. p</ref> ». La revue contient notamment un article sur les comètes rédigé par l’astronome Camille Flammarion<ref>1882, vol. 2</ref>, des « Images de Bretagne » (''Bilder aus der Bretagne'') d’Alphonse Daudet<ref>ibid.</ref>, ainsi qu’un essai de Camille Saint-Saëns sur le matérialisme et la musique<ref>1882, vol. 4</ref>. La salonnière Juliette Adam<ref>https://data.bnf.fr/fr/11888074/juliette_adam/</ref> y publie aussi une nouvelle intitulée ''À Golfe-Juan''<ref>1884, vol. 11</ref>.
Dans ses écrits, Sacher-Masoch a souvent exprimé son attachement profond à la culture et à la langue françaises. Dans ses ''Souvenirs'', parus en feuilleton dans ''Le Gaulois'' en 1887, il décrit le français comme sa « seconde langue maternelle », apprise avec sa gouvernante durant son enfance<ref>Sacher-Masoch 1887, 3</ref>. Il évoque aussi ses nuits passées à lire les œuvres des écrivains français, « dérobés » pour la plupart dans la bibliothèque de son père et de son grand-père<ref>ibid.</ref>. Parmi les premiers auteurs qu’il découvre figurent [[Molière]], Philippe-Paul de Ségur, Agathon Jean François Fain, [[Voltaire]]. Il est aussi un grand admirateur du roman ''Paul et Virginie'' de Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre et, plus généralement, de la littérature française du XVIII<sup>e</sup> siècle<ref>Michel 1989, 36</ref>. Cet attachement se reflète dans sa revue internationale ''Auf der Höhe''<ref>https://onb.digital/result/131D2351</ref>, dont le premier numéro paraît le 1<sup>er</sup> octobre 1881 à Leipzig. Dans l’avant-propos, il souligne le caractère cosmopolite de la revue ainsi que l’importance de la culture française dans le paysage intellectuel européen. En 1882, dans ''Le Temps'', le romancier Jules Claretie<ref>https://data.bnf.fr/11896929/jules_claretie/</ref> commente avec enthousiasme cet amour de Sacher-Masoch pour la France : « Je l’ai lue, cette revue. Elle est remplie de nous, de nos idées, de nos sentiments, de ce qui se passe à Paris, de ce qui s’y écrit, de ce qui s’y dit. Cela est touchant de voir la fidélité d’un tel homme envers ceux qu’il aime.<ref>Claretie 1882, n. p</ref> ». La revue contient notamment un article sur les comètes rédigé par l’astronome Camille Flammarion<ref>1882, vol. 2</ref>, des « Images de Bretagne » (''Bilder aus der Bretagne'') d’Alphonse Daudet<ref>ibid.</ref>, ainsi qu’un essai de Camille Saint-Saëns sur le matérialisme et la musique<ref>1882, vol. 4</ref>. La salonnière Juliette Adam<ref>https://data.bnf.fr/fr/11888074/juliette_adam/</ref> y publie aussi une nouvelle intitulée ''À Golfe-Juan''<ref>1884, vol. 11</ref>.


Cependant, malgré un accueil favorable de la presse internationale, la revue doit cesser sa publication en 1885 à cause de difficultés financières et des escroqueries orchestrées par Armand Rosenthal<ref>https://data.bnf.fr/de/12998309/jacques_saint-cere/</ref>, l’amant de Wanda de Sacher-Masoch<ref>https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb121135258</ref><ref>Michel 1989, 255 sq.</ref>. Malgré ces revers, l’orientation francophile de la revue ainsi que les liens personnels tissés par Sacher-Masoch avec des auteurs et autrices parisiens, en particulier Juliette Adam, lui valent l’obtention de la Légion d’honneur en 1883<ref>ibid., 276</ref>. Lors de son séjour à Paris, en 1886-1887, l’écrivain prend pleinement la mesure de sa renommée en France<ref>Samuel 2008, 94 sq.</ref>. Une semaine à peine après son arrivée, le 19 décembre 1886, le publiciste Adrien Marx<ref>https://data.bnf.fr/fr/14542420/adrien_marx/</ref> lui consacre un article élogieux en première page du ''Figaro''. Les liens établis sur place avec les directeurs de revues et de journaux lui permettent de publier ses ''Souvenirs'' dans ''Le Gaulois'' entre août et septembre 1887. Par la suite, sous l’impulsion d’Eugène Yung<ref>https://data.bnf.fr/13517693/eugene_yung/</ref>, directeur de La Revue bleue, une série de 16 textes autobiographiques intitulée ''Choses vécues'' paraît dans la revue entre février 1888 et mai 1890. Outre Alexandre Dumas fils, Alphonse Daudet et Jules Claretie, Sacher-Masoch rencontre Octave Mirbeau<ref>https://data.bnf.fr/fr/11916258/octave_mirbeau/</ref>, qui l’introduit dans l’atelier d’Auguste Rodin. En janvier 1889, l’écrivain dédie un article à Mirbeau dans le ''Magazin für die Literatur des In- und Auslands''. Après avoir critiqué [[Émile Zola]] et le naturalisme, comme il l’a déjà fait dans ''La Revue bleue''<ref>Sacher-Masoch 1888, 144</ref>, il examine en particulier ''L’Abbé Jules', ''Le Calvaire'' et deux contes, « Le Veuf » et « Vers le bohneur », estimant que Mirbeau est bien supérieur à Zola malgré quelques travers naturalistes<ref>Michel, Dictionnaire Octave Mirbeau, s. d.</ref>. En 1890, Sacher-Masoch entreprend un dernier voyage à Paris pour présenter son livre ''Jüdisches Leben in Wort und Bild'' qui offre une analyse approfondie de la vie et des traditions juives tout en adoptant une posture particulièrement critique à l’égard des attaques antisémites contre le peuple juif<ref>Samuel 2008, 95</ref>.
Cependant, malgré un accueil favorable de la presse internationale, la revue doit cesser sa publication en 1885 à cause de difficultés financières et des escroqueries orchestrées par Armand Rosenthal<ref>https://data.bnf.fr/de/12998309/jacques_saint-cere/</ref>, l’amant de Wanda de Sacher-Masoch<ref>https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb121135258</ref><ref>Michel 1989, 255 sq.</ref>. Malgré ces revers, l’orientation francophile de la revue ainsi que les liens personnels tissés par Sacher-Masoch avec des auteurs et autrices parisiens, en particulier Juliette Adam, lui valent l’obtention de la Légion d’honneur en 1883<ref>ibid., 276</ref>. Lors de son séjour à Paris, en 1886-1887, l’écrivain prend pleinement la mesure de sa renommée en France<ref>Samuel 2008, 94 sq.</ref>. Une semaine à peine après son arrivée, le 19 décembre 1886, le publiciste Adrien Marx<ref>https://data.bnf.fr/fr/14542420/adrien_marx/</ref> lui consacre un article élogieux en première page du ''Figaro''. Les liens établis sur place avec les directeurs de revues et de journaux lui permettent de publier ses ''Souvenirs'' dans ''Le Gaulois'' entre août et septembre 1887. Par la suite, sous l’impulsion d’Eugène Yung<ref>https://data.bnf.fr/13517693/eugene_yung/</ref>, directeur de ''La Revue bleue'', une série de 16 textes autobiographiques intitulée ''Choses vécues'' paraît dans la revue entre février 1888 et mai 1890. Outre Alexandre Dumas fils, Alphonse Daudet et Jules Claretie, Sacher-Masoch rencontre Octave Mirbeau<ref>https://data.bnf.fr/fr/11916258/octave_mirbeau/</ref>, qui l’introduit dans l’atelier d’Auguste Rodin. En janvier 1889, l’écrivain dédie un article à Mirbeau dans le ''Magazin für die Literatur des In- und Auslands''. Après avoir critiqué [[Émile Zola]] et le naturalisme, comme il l’a déjà fait dans ''La Revue bleue''<ref>Sacher-Masoch 1888, 144</ref>, il examine en particulier ''L’Abbé Jules'', ''Le Calvaire'' et deux contes, « Le Veuf » et « Vers le bonheur », estimant que Mirbeau est bien supérieur à Zola malgré quelques travers naturalistes<ref>Michel, Dictionnaire Octave Mirbeau, s. d.</ref>. En 1890, Sacher-Masoch entreprend un dernier voyage à Paris pour présenter son livre ''Jüdisches Leben in Wort und Bild'' qui offre une analyse approfondie de la vie et des traditions juives tout en adoptant une posture particulièrement critique à l’égard des attaques antisémites contre le peuple juif<ref>Samuel 2008, 95</ref>.


==Réception en France et traductions==
==Réception en France et traductions==
[[Fichier:Sacher-Masoch - Le legs de Caïn.jpg|170px|thumb|left|''Le Legs de Caïn'' édité en 1874 par Hachette]][[Fichier:Sacher-Masoch - Les Prussiens d’aujourd’hui.jpg|170px|thumb|right|''Les Prussiens d'aujourd'hui'' édité en 1877 par Calmann-Lévy]]L’analyse des publications françaises consacrées à Sacher-Masoch de 1870 à nos jours révèle quatre phases distinctes de réception de l’œuvre de l’écrivain<ref>Cagneau 2020, 104 sq.</ref>. La première (1872-1895) est particulièrement riche en traductions et permet de mieux comprendre l’accueil enthousiaste réservé à Sacher-Masoch lors de son voyage à Paris en 1886-1887. En 1872, la ''Revue des Deux Mondes''<ref>https://www.revuedesdeuxmondes.fr/</ref> fait œuvre de pionnière avec la publication de deux nouvelles, ''Don Juan de Kolomea'' et ''Frinko Balaban'' (''Der Capitulant''), extraites de la première partie du ''Legs de Caïn''. Suivent 18 autres traductions dans la même revue. Surnommé le Tourgueniev de la Petite-Russie, Sacher-Masoch acquiert une renommée certaine. Le caractère exotique de son œuvre, qui fait découvrir aux lecteurs des contrées lointaines et mystérieuses, suscite d’autres traductions dans des périodiques influents tels que ''La Nouvelle Revue'', ''La Revue bleue'', ''Le Figaro'' et ''Le Gaulois''. En outre, le succès des quatre ''Contes galiciens'', publiés chez Hachette en 1874, incite l’éditeur [[Robert Calmann-Lévy|Calmann-Lévy]] à proposer deux ans plus tard de Nouveaux récits galiciens. Cette initiative est suivie par cinq autres publications chez Hachette, six chez Calmann-Lévy. La sortie en deux volumes du roman ''Les Prussiens d’aujourd’hui'' (''Die Ideale unserer Zeit'') chez Calmann-Lévy en 1877 accroît encore la notoriété de Sacher-Masoch. Ce livre est en effet une critique sévère de l’Allemagne bismarckienne et reçoit un accueil favorable auprès du lectorat français<ref>Tissot 1878, 100</ref>.
[[Fichier:Sacher-Masoch - Le legs de Caïn.jpg|170px|thumb|left|''Le Legs de Caïn'' édité en 1874 par Hachette]][[Fichier:Sacher-Masoch - Les Prussiens d’aujourd’hui.jpg|170px|thumb|right|''Les Prussiens d'aujourd'hui'' édité en 1877 par Calmann-Lévy]]L’analyse des publications françaises consacrées à Sacher-Masoch de 1870 à nos jours révèle quatre phases distinctes de réception de l’œuvre de l’écrivain<ref>Cagneau 2020, 104 sq.</ref>. La première (1872-1895) est particulièrement riche en traductions et permet de mieux comprendre l’accueil enthousiaste réservé à Sacher-Masoch lors de son voyage à Paris en 1886-1887. En 1872, la ''Revue des Deux Mondes''<ref>https://www.revuedesdeuxmondes.fr/</ref> fait œuvre de pionnière avec la publication de deux nouvelles, ''Don Juan de Kolomea'' et ''Frinko Balaban'' (''Der Capitulant''), extraites de la première partie du ''Legs de Caïn''. Suivent 18 autres traductions dans la même revue. Surnommé le Tourgueniev de la Petite-Russie, Sacher-Masoch acquiert une renommée certaine. Le caractère exotique de son œuvre, qui fait découvrir aux lecteurs des contrées lointaines et mystérieuses, suscite d’autres traductions dans des périodiques influents tels que ''La Nouvelle Revue'', ''La Revue bleue'', ''Le Figaro'' et ''Le Gaulois''. En outre, le succès des quatre ''Contes galiciens'', publiés chez Hachette en 1874, incite l’éditeur [[Robert Calmann-Lévy|Calmann-Lévy]] à proposer deux ans plus tard de ''Nouveaux récits galiciens''. Cette initiative est suivie par cinq autres publications chez Hachette, six chez Calmann-Lévy. La sortie en deux volumes du roman ''Les Prussiens d’aujourd’hui'' (''Die Ideale unserer Zeit'') chez Calmann-Lévy en 1877 accroît encore la notoriété de Sacher-Masoch. Ce livre est en effet une critique sévère de l’Allemagne bismarckienne et reçoit un accueil favorable auprès du lectorat français<ref>Tissot 1878, 100</ref>.


[[Fichier:Thérèse Bentzon.jpg|200px|thumb||Thérèse Bentzon (1905)]]Bien que la plupart des traductions ne soient pas signées, conformément à la pratique de l’époque, deux noms de traductrices se distinguent : Thérèse Bentzon<ref>https://data.bnf.fr/12473556/therese_bentzon/</ref> et Catherine Strebinger<ref>https://data.bnf.fr/12200893/anna-catherine_strebinger/</ref>. Jusqu’en 1879, Bentzon est la traductrice attitrée de Sacher-Masoch. D’origine allemande par son père et danoise par sa mère, elle maîtrise l’anglais et l’allemand. Elle collabore activement à ''La Revue bleue'' et à la ''Revue des Deux Mondes'', où elle rédige de nombreux articles sur la littérature étrangère. En décembre 1875, elle publie également une étude sur l’œuvre de Sacher-Masoch dans la ''Revue des Deux Mondes''. Il s’agit d’une des premières analyses approfondies des textes de l’écrivain. Catherine Strebinger présente un profil plus atypique. Originaire de Genève, fille d’un pasteur bavarois installé à Morges, elle sollicite Sacher-Masoch en 1876 afin d’être autorisée à traduire ses écrits dans la ''Revue des Deux Mondes''. En 1877 paraissent ainsi ses deux premières traductions sous le titre ''Récits galliciens'' [sic]. Alors que Bentzon n’a jamais entretenu de liens particuliers avec l’écrivain, Strebinger fréquente régulièrement le couple Sacher-Masoch entre 1878 et 1879 à Graz. Grâce à ses relations à Paris, elle réussit à faire publier la traduction de deux romans : ''La femme séparée'' (Dentu, 1881) et ''La Mère de Dieu'' (Hachette, 1886). À cette période, les écrits de Sacher-Masoch jugés trop sulfureux sont mis de côté. En effet, le réseau éditorial tissé autour de son œuvre, qui contribue à son vif succès en France, implique en contrepartie une présélection rigoureuse des œuvres traduites. Bentzon, avec l’aval de ses éditeurs, a ainsi effectué un travail de modération et d’élagage similaire à celui que l’auteur lui-même était prêt à réaliser pour ses propres textes auprès des éditeurs germanophones<ref>Piveteau 2010, 95</ref>.
[[Fichier:Thérèse Bentzon.jpg|200px|thumb||Thérèse Bentzon (1905)]]Bien que la plupart des traductions ne soient pas signées, conformément à la pratique de l’époque, deux noms de traductrices se distinguent : Thérèse Bentzon<ref>https://data.bnf.fr/12473556/therese_bentzon/</ref> et Catherine Strebinger<ref>https://data.bnf.fr/12200893/anna-catherine_strebinger/</ref>. Jusqu’en 1879, Bentzon est la traductrice attitrée de Sacher-Masoch. D’origine allemande par son père et danoise par sa mère, elle maîtrise l’anglais et l’allemand. Elle collabore activement à ''La Revue bleue'' et à la ''Revue des Deux Mondes'', où elle rédige de nombreux articles sur la littérature étrangère. En décembre 1875, elle publie également une étude sur l’œuvre de Sacher-Masoch dans la ''Revue des Deux Mondes''. Il s’agit d’une des premières analyses approfondies des textes de l’écrivain. Catherine Strebinger présente un profil plus atypique. Originaire de Genève, fille d’un pasteur bavarois installé à Morges, elle sollicite Sacher-Masoch en 1876 afin d’être autorisée à traduire ses écrits dans la ''Revue des Deux Mondes''. En 1877 paraissent ainsi ses deux premières traductions sous le titre ''Récits galliciens'' [sic]. Alors que Bentzon n’a jamais entretenu de liens particuliers avec l’écrivain, Strebinger fréquente régulièrement le couple Sacher-Masoch entre 1878 et 1879 à Graz. Grâce à ses relations à Paris, elle réussit à faire publier la traduction de deux romans : ''La femme séparée'' (Dentu, 1881) et ''La Mère de Dieu'' (Hachette, 1886). À cette période, les écrits de Sacher-Masoch jugés trop sulfureux sont mis de côté. En effet, le réseau éditorial tissé autour de son œuvre, qui contribue à son vif succès en France, implique en contrepartie une présélection rigoureuse des œuvres traduites. Bentzon, avec l’aval de ses éditeurs, a ainsi effectué un travail de modération et d’élagage similaire à celui que l’auteur lui-même était prêt à réaliser pour ses propres textes auprès des éditeurs germanophones<ref>Piveteau 2010, 95</ref>.
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De 1910 à 1950, à l’exception des rééditions clandestines des écrits dits ‘masochistes’, l’œuvre de l’écrivain tombe dans l’oubli. Les rares études qui lui sont consacrées se concentrent sur le masochisme. En 1917, le docteur Paul Voivenel assimile Sacher-Masoch à un écrivain allemand et utilise son nom pour dénigrer l’Allemagne. Il avance ainsi que celle-ci serait atteinte de « masochisme social » et que « le boche n’est satisfait que quand il est flagellé et battu par ses dirigeants<ref>Voivenel 1917, 4</ref> ». Dans les années 1930, le biographe Léopold Stern place « l’amour de la souffrance » au cœur de son analyse tandis qu’un autre auteur, Mark Amiaux, s’intéresse à « un grand anormal, le Chevalier de Sacher-Masoch ». Il faudra attendre plus de cinquante ans pour qu’une biographie documentée, signée de l’historien de l’Europe centrale Bernard Michel<ref>https://data.bnf.fr/fr/11915967/bernard_michel/</ref>, soit publiée en France<ref>Michel 1989</ref>.
De 1910 à 1950, à l’exception des rééditions clandestines des écrits dits ‘masochistes’, l’œuvre de l’écrivain tombe dans l’oubli. Les rares études qui lui sont consacrées se concentrent sur le masochisme. En 1917, le docteur Paul Voivenel assimile Sacher-Masoch à un écrivain allemand et utilise son nom pour dénigrer l’Allemagne. Il avance ainsi que celle-ci serait atteinte de « masochisme social » et que « le boche n’est satisfait que quand il est flagellé et battu par ses dirigeants<ref>Voivenel 1917, 4</ref> ». Dans les années 1930, le biographe Léopold Stern place « l’amour de la souffrance » au cœur de son analyse tandis qu’un autre auteur, Mark Amiaux, s’intéresse à « un grand anormal, le Chevalier de Sacher-Masoch ». Il faudra attendre plus de cinquante ans pour qu’une biographie documentée, signée de l’historien de l’Europe centrale Bernard Michel<ref>https://data.bnf.fr/fr/11915967/bernard_michel/</ref>, soit publiée en France<ref>Michel 1989</ref>.


À partir des années 1960, on voit poindre une certaine ‘renaissance’ de Sacher-Masoch en France grâce à une nouvelle édition en trois volumes des ''Contes et Romans'' chez Tchou (1967) ainsi qu’aux études critiques de Gilles Deleuze<ref>http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-Pr%C3%A9sentation_de_Sacher_Masoch%C2%A0-2549-1-1-0-1.html</ref> (1967), Pascal Quignard<ref>https://www.mercuredefrance.fr/letre-du-balbutiement/9782715235014</ref> (1969) et Jean-Paul Corsetti<ref>https://data.bnf.fr/fr/12083751/jean-paul_corsetti/</ref> (1988-1991). L’édition de Tchou a certes le mérite de raviver l’intérêt pour le romancier, mais son contenu ne représente en définitive que 15% de son œuvre complète. En 2013, les éditions Robert Laffont publient à leur tour les ''Œuvres maîtresses'' de l’écrivain mais se limitent, là encore, à la seule réédition des anciennes traductions. Les textes inédits sont rares. Il faut saluer à ce titre la publication soignée de ''L’Esthétique de la laideur'' et de ''Diderot à Pétersbourg'' chez Buchet-Chastel en 1967, dans laquelle Georges-Paul Villa<ref>https://data.bnf.fr/fr/10516848/georges_villa/</ref>, préfacier et traducteur, juge qu’il est temps de rétablir le vrai visage de Sacher-Masoch, « déformé par trop d’interprétations plus ou moins hasardeuses<ref>Sacher-Masoch 1967, 7</ref> ». Plus récemment, de nouvelles traductions ont vu le jour, notamment le travail effectué par Vianney Piveteau<ref>https://data.bnf.fr/16507023/vianney_piveteau/</ref> en 2011 dans ''Marzella ou le conte du bonheur'' ainsi que celui d’Olivier Cariguel<ref>https://www.revuedesdeuxmondes.fr/auteur/olivier-cariguel/</ref> en 2013 dans son édition des Femmes slaves, recueil de dix nouvelles paru dans la ''Revue des Deux Mondes'' entre 1889 et 1891. La Vénus à la fourrure demeure à ce jour la nouvelle la plus traduite et adaptée (éditions de luxe, bandes dessinées, adaptations cinématographiques et théâtrales, etc.). Cependant, il est permis d’espérer qu’à travers de nouvelles traductions, cette prédominance s’estompe au moins partiellement afin d’enrichir la connaissance du romancier galicien en France.
À partir des années 1960, on voit poindre une certaine ‘renaissance’ de Sacher-Masoch en France grâce à une nouvelle édition en trois volumes des ''Contes et Romans'' chez Tchou (1967) ainsi qu’aux études critiques de Gilles Deleuze<ref>http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-Pr%C3%A9sentation_de_Sacher_Masoch%C2%A0-2549-1-1-0-1.html</ref> (1967), Pascal Quignard<ref>https://www.mercuredefrance.fr/letre-du-balbutiement/9782715235014</ref> (1969) et Jean-Paul Corsetti<ref>https://data.bnf.fr/fr/12083751/jean-paul_corsetti/</ref> (1988-1991). L’édition de Tchou a certes le mérite de raviver l’intérêt pour le romancier, mais son contenu ne représente en définitive que 15% de son œuvre complète. En 2013, les éditions Robert Laffont publient à leur tour les ''Œuvres maîtresses'' de l’écrivain mais se limitent, là encore, à la seule réédition des anciennes traductions. Les textes inédits sont rares. Il faut saluer à ce titre la publication soignée de ''L’Esthétique de la laideur'' et de ''Diderot à Pétersbourg'' chez Buchet-Chastel en 1967, dans laquelle Georges-Paul Villa<ref>https://data.bnf.fr/fr/10516848/georges_villa/</ref>, préfacier et traducteur, juge qu’il est temps de rétablir le vrai visage de Sacher-Masoch, « déformé par trop d’interprétations plus ou moins hasardeuses<ref>Sacher-Masoch 1967, 7</ref> ». Plus récemment, de nouvelles traductions ont vu le jour, notamment le travail effectué par Vianney Piveteau<ref>https://data.bnf.fr/16507023/vianney_piveteau/</ref> en 2011 dans ''Marzella ou le conte du bonheur'' ainsi que celui d’Olivier Cariguel<ref>https://www.revuedesdeuxmondes.fr/auteur/olivier-cariguel/</ref> en 2013 dans son édition des ''Femmes slaves'', recueil de dix nouvelles paru dans la ''Revue des Deux Mondes'' entre 1889 et 1891. ''La Vénus à la fourrure'' demeure à ce jour la nouvelle la plus traduite et adaptée (éditions de luxe, bandes dessinées, adaptations cinématographiques et théâtrales, etc.). Cependant, il est permis d’espérer qu’à travers de nouvelles traductions, cette prédominance s’estompe au moins partiellement afin d’enrichir la connaissance du romancier galicien en France.


==Références et liens externes==
==Références et liens externes==

Version du 3 octobre 2024 à 14:36

Leopold von Sacher-Masoch (env. 1860-1870)

Le romancier autrichien Leopold von Sacher-Masoch (*27 janvier 1836 à Lviv, † 9 mars 1895 à Lindheim) a bénéficié d’un accueil particulièrement favorable en France dans les années 1870-1890. Ses récits galiciens ont séduit le lectorat académique français, amateur d’exotisme et de nouveauté. Écrivain cosmopolite et polyglotte, Sacher-Masoch s’est également engagé dans la diffusion de la culture et de la littérature françaises en Allemagne et en Autriche, notamment par l’intermédiaire de sa revue Auf der Höhe. Cependant, la publication de La Vénus à la fourrure en 1902 a engendré une rupture significative dans la réception de l’écrivain en France, éclipsant ses œuvres antérieures et le reléguant le plus souvent au statut d’auteur de littérature masochiste.

L'amour de la culture et de la langue françaises

Dans ses écrits, Sacher-Masoch a souvent exprimé son attachement profond à la culture et à la langue françaises. Dans ses Souvenirs, parus en feuilleton dans Le Gaulois en 1887, il décrit le français comme sa « seconde langue maternelle », apprise avec sa gouvernante durant son enfance[1]. Il évoque aussi ses nuits passées à lire les œuvres des écrivains français, « dérobés » pour la plupart dans la bibliothèque de son père et de son grand-père[2]. Parmi les premiers auteurs qu’il découvre figurent Molière, Philippe-Paul de Ségur, Agathon Jean François Fain, Voltaire. Il est aussi un grand admirateur du roman Paul et Virginie de Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre et, plus généralement, de la littérature française du XVIIIe siècle[3]. Cet attachement se reflète dans sa revue internationale Auf der Höhe[4], dont le premier numéro paraît le 1er octobre 1881 à Leipzig. Dans l’avant-propos, il souligne le caractère cosmopolite de la revue ainsi que l’importance de la culture française dans le paysage intellectuel européen. En 1882, dans Le Temps, le romancier Jules Claretie[5] commente avec enthousiasme cet amour de Sacher-Masoch pour la France : « Je l’ai lue, cette revue. Elle est remplie de nous, de nos idées, de nos sentiments, de ce qui se passe à Paris, de ce qui s’y écrit, de ce qui s’y dit. Cela est touchant de voir la fidélité d’un tel homme envers ceux qu’il aime.[6] ». La revue contient notamment un article sur les comètes rédigé par l’astronome Camille Flammarion[7], des « Images de Bretagne » (Bilder aus der Bretagne) d’Alphonse Daudet[8], ainsi qu’un essai de Camille Saint-Saëns sur le matérialisme et la musique[9]. La salonnière Juliette Adam[10] y publie aussi une nouvelle intitulée À Golfe-Juan[11].

Cependant, malgré un accueil favorable de la presse internationale, la revue doit cesser sa publication en 1885 à cause de difficultés financières et des escroqueries orchestrées par Armand Rosenthal[12], l’amant de Wanda de Sacher-Masoch[13][14]. Malgré ces revers, l’orientation francophile de la revue ainsi que les liens personnels tissés par Sacher-Masoch avec des auteurs et autrices parisiens, en particulier Juliette Adam, lui valent l’obtention de la Légion d’honneur en 1883[15]. Lors de son séjour à Paris, en 1886-1887, l’écrivain prend pleinement la mesure de sa renommée en France[16]. Une semaine à peine après son arrivée, le 19 décembre 1886, le publiciste Adrien Marx[17] lui consacre un article élogieux en première page du Figaro. Les liens établis sur place avec les directeurs de revues et de journaux lui permettent de publier ses Souvenirs dans Le Gaulois entre août et septembre 1887. Par la suite, sous l’impulsion d’Eugène Yung[18], directeur de La Revue bleue, une série de 16 textes autobiographiques intitulée Choses vécues paraît dans la revue entre février 1888 et mai 1890. Outre Alexandre Dumas fils, Alphonse Daudet et Jules Claretie, Sacher-Masoch rencontre Octave Mirbeau[19], qui l’introduit dans l’atelier d’Auguste Rodin. En janvier 1889, l’écrivain dédie un article à Mirbeau dans le Magazin für die Literatur des In- und Auslands. Après avoir critiqué Émile Zola et le naturalisme, comme il l’a déjà fait dans La Revue bleue[20], il examine en particulier L’Abbé Jules, Le Calvaire et deux contes, « Le Veuf » et « Vers le bonheur », estimant que Mirbeau est bien supérieur à Zola malgré quelques travers naturalistes[21]. En 1890, Sacher-Masoch entreprend un dernier voyage à Paris pour présenter son livre Jüdisches Leben in Wort und Bild qui offre une analyse approfondie de la vie et des traditions juives tout en adoptant une posture particulièrement critique à l’égard des attaques antisémites contre le peuple juif[22].

Réception en France et traductions

Le Legs de Caïn édité en 1874 par Hachette
Les Prussiens d'aujourd'hui édité en 1877 par Calmann-Lévy

L’analyse des publications françaises consacrées à Sacher-Masoch de 1870 à nos jours révèle quatre phases distinctes de réception de l’œuvre de l’écrivain[23]. La première (1872-1895) est particulièrement riche en traductions et permet de mieux comprendre l’accueil enthousiaste réservé à Sacher-Masoch lors de son voyage à Paris en 1886-1887. En 1872, la Revue des Deux Mondes[24] fait œuvre de pionnière avec la publication de deux nouvelles, Don Juan de Kolomea et Frinko Balaban (Der Capitulant), extraites de la première partie du Legs de Caïn. Suivent 18 autres traductions dans la même revue. Surnommé le Tourgueniev de la Petite-Russie, Sacher-Masoch acquiert une renommée certaine. Le caractère exotique de son œuvre, qui fait découvrir aux lecteurs des contrées lointaines et mystérieuses, suscite d’autres traductions dans des périodiques influents tels que La Nouvelle Revue, La Revue bleue, Le Figaro et Le Gaulois. En outre, le succès des quatre Contes galiciens, publiés chez Hachette en 1874, incite l’éditeur Calmann-Lévy à proposer deux ans plus tard de Nouveaux récits galiciens. Cette initiative est suivie par cinq autres publications chez Hachette, six chez Calmann-Lévy. La sortie en deux volumes du roman Les Prussiens d’aujourd’hui (Die Ideale unserer Zeit) chez Calmann-Lévy en 1877 accroît encore la notoriété de Sacher-Masoch. Ce livre est en effet une critique sévère de l’Allemagne bismarckienne et reçoit un accueil favorable auprès du lectorat français[25].

Thérèse Bentzon (1905)

Bien que la plupart des traductions ne soient pas signées, conformément à la pratique de l’époque, deux noms de traductrices se distinguent : Thérèse Bentzon[26] et Catherine Strebinger[27]. Jusqu’en 1879, Bentzon est la traductrice attitrée de Sacher-Masoch. D’origine allemande par son père et danoise par sa mère, elle maîtrise l’anglais et l’allemand. Elle collabore activement à La Revue bleue et à la Revue des Deux Mondes, où elle rédige de nombreux articles sur la littérature étrangère. En décembre 1875, elle publie également une étude sur l’œuvre de Sacher-Masoch dans la Revue des Deux Mondes. Il s’agit d’une des premières analyses approfondies des textes de l’écrivain. Catherine Strebinger présente un profil plus atypique. Originaire de Genève, fille d’un pasteur bavarois installé à Morges, elle sollicite Sacher-Masoch en 1876 afin d’être autorisée à traduire ses écrits dans la Revue des Deux Mondes. En 1877 paraissent ainsi ses deux premières traductions sous le titre Récits galliciens [sic]. Alors que Bentzon n’a jamais entretenu de liens particuliers avec l’écrivain, Strebinger fréquente régulièrement le couple Sacher-Masoch entre 1878 et 1879 à Graz. Grâce à ses relations à Paris, elle réussit à faire publier la traduction de deux romans : La femme séparée (Dentu, 1881) et La Mère de Dieu (Hachette, 1886). À cette période, les écrits de Sacher-Masoch jugés trop sulfureux sont mis de côté. En effet, le réseau éditorial tissé autour de son œuvre, qui contribue à son vif succès en France, implique en contrepartie une présélection rigoureuse des œuvres traduites. Bentzon, avec l’aval de ses éditeurs, a ainsi effectué un travail de modération et d’élagage similaire à celui que l’auteur lui-même était prêt à réaliser pour ses propres textes auprès des éditeurs germanophones[28].


Illustration de Gaston Noury pour la parution française de Les Batteuses d'hommes (1906)
Traduction de La Czarine noire par "D. Dolorès" pseudonyme de Wanda Sacher-Masoch (1907)

À partir de 1902, les premières éditions de La Vénus à la fourrure, suivies des Batteuses d’hommes (1906), de La Czarine noire et autres Contes sur la flagellation (1907) et de La Pantoufle de Sapho et autres contes (1907), éclipsent les œuvres précédentes. Ces écrits, associés à la notion de « masochisme » forgée par le psychiatre Richard von Krafft-Ebing[29] en 1890, ont suscité l’intérêt des éditeurs parisiens spécialisés dans les ouvrages érotiques (C. Carrington, R. Dorn, J. Fort). À la dynamique éditoriale des années 1870-1890 succède une série dispersée de publications à caractère érotique qui, encore aujourd’hui, réduisent Sacher-Masoch à un auteur masochiste, sinon à un déviant sexuel. L’écrivain semble voué à n’être plus que « Masoch », l’auteur de littérature flagellante. Le pseudonyme de la traductrice de La Czarine noire et de La Pantoufle de Sapho, « D. Dolorès » (il s’agit en fait de Wanda de Sacher-Masoch), ajoute encore à l’onomastique masochiste et contribue à la réduction de l’œuvre du romancier à cette seule particularité. Dans Le Temps, par exemple, Jules Claretie, pourtant enthousiaste à l’égard du romancier dans les années 1880, condamne à présent son « vice » qui, à l’égal du « nietzschéisme » et du « pessimisme », empoisonnerait la culture française[30].

De 1910 à 1950, à l’exception des rééditions clandestines des écrits dits ‘masochistes’, l’œuvre de l’écrivain tombe dans l’oubli. Les rares études qui lui sont consacrées se concentrent sur le masochisme. En 1917, le docteur Paul Voivenel assimile Sacher-Masoch à un écrivain allemand et utilise son nom pour dénigrer l’Allemagne. Il avance ainsi que celle-ci serait atteinte de « masochisme social » et que « le boche n’est satisfait que quand il est flagellé et battu par ses dirigeants[31] ». Dans les années 1930, le biographe Léopold Stern place « l’amour de la souffrance » au cœur de son analyse tandis qu’un autre auteur, Mark Amiaux, s’intéresse à « un grand anormal, le Chevalier de Sacher-Masoch ». Il faudra attendre plus de cinquante ans pour qu’une biographie documentée, signée de l’historien de l’Europe centrale Bernard Michel[32], soit publiée en France[33].

À partir des années 1960, on voit poindre une certaine ‘renaissance’ de Sacher-Masoch en France grâce à une nouvelle édition en trois volumes des Contes et Romans chez Tchou (1967) ainsi qu’aux études critiques de Gilles Deleuze[34] (1967), Pascal Quignard[35] (1969) et Jean-Paul Corsetti[36] (1988-1991). L’édition de Tchou a certes le mérite de raviver l’intérêt pour le romancier, mais son contenu ne représente en définitive que 15% de son œuvre complète. En 2013, les éditions Robert Laffont publient à leur tour les Œuvres maîtresses de l’écrivain mais se limitent, là encore, à la seule réédition des anciennes traductions. Les textes inédits sont rares. Il faut saluer à ce titre la publication soignée de L’Esthétique de la laideur et de Diderot à Pétersbourg chez Buchet-Chastel en 1967, dans laquelle Georges-Paul Villa[37], préfacier et traducteur, juge qu’il est temps de rétablir le vrai visage de Sacher-Masoch, « déformé par trop d’interprétations plus ou moins hasardeuses[38] ». Plus récemment, de nouvelles traductions ont vu le jour, notamment le travail effectué par Vianney Piveteau[39] en 2011 dans Marzella ou le conte du bonheur ainsi que celui d’Olivier Cariguel[40] en 2013 dans son édition des Femmes slaves, recueil de dix nouvelles paru dans la Revue des Deux Mondes entre 1889 et 1891. La Vénus à la fourrure demeure à ce jour la nouvelle la plus traduite et adaptée (éditions de luxe, bandes dessinées, adaptations cinématographiques et théâtrales, etc.). Cependant, il est permis d’espérer qu’à travers de nouvelles traductions, cette prédominance s’estompe au moins partiellement afin d’enrichir la connaissance du romancier galicien en France.

Références et liens externes

  1. Sacher-Masoch 1887, 3
  2. ibid.
  3. Michel 1989, 36
  4. https://onb.digital/result/131D2351
  5. https://data.bnf.fr/11896929/jules_claretie/
  6. Claretie 1882, n. p
  7. 1882, vol. 2
  8. ibid.
  9. 1882, vol. 4
  10. https://data.bnf.fr/fr/11888074/juliette_adam/
  11. 1884, vol. 11
  12. https://data.bnf.fr/de/12998309/jacques_saint-cere/
  13. https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb121135258
  14. Michel 1989, 255 sq.
  15. ibid., 276
  16. Samuel 2008, 94 sq.
  17. https://data.bnf.fr/fr/14542420/adrien_marx/
  18. https://data.bnf.fr/13517693/eugene_yung/
  19. https://data.bnf.fr/fr/11916258/octave_mirbeau/
  20. Sacher-Masoch 1888, 144
  21. Michel, Dictionnaire Octave Mirbeau, s. d.
  22. Samuel 2008, 95
  23. Cagneau 2020, 104 sq.
  24. https://www.revuedesdeuxmondes.fr/
  25. Tissot 1878, 100
  26. https://data.bnf.fr/12473556/therese_bentzon/
  27. https://data.bnf.fr/12200893/anna-catherine_strebinger/
  28. Piveteau 2010, 95
  29. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k76843b.texteImage
  30. Claretie 1906, n. p.
  31. Voivenel 1917, 4
  32. https://data.bnf.fr/fr/11915967/bernard_michel/
  33. Michel 1989
  34. http://www.leseditionsdeminuit.fr/livre-Pr%C3%A9sentation_de_Sacher_Masoch%C2%A0-2549-1-1-0-1.html
  35. https://www.mercuredefrance.fr/letre-du-balbutiement/9782715235014
  36. https://data.bnf.fr/fr/12083751/jean-paul_corsetti/
  37. https://data.bnf.fr/fr/10516848/georges_villa/
  38. Sacher-Masoch 1967, 7
  39. https://data.bnf.fr/16507023/vianney_piveteau/
  40. https://www.revuedesdeuxmondes.fr/auteur/olivier-cariguel/

Bibliographie

Littérature primaire

  • Amiaux, Mark : Un grand anormal. Le Chevalier de Sacher-Masoch. Paris : Les Éditions de France 1938.
  • Bentzon, Thérèse : Un romancier galicien. M. Sacher-Masoch. In : Revue des Deux Mondes, 15 décembre 1875, p. 816-837.
  • Claretie, Jules : La Vie à Paris. In : Le Temps, 22 décembre 1882, n. p.
  • Claretie, Jules : La Vie à Paris. In : Le Temps, 31 août 1906, n. p.
  • Marx, Adrien : Sacher-Masoch. In : Le Figaro, 19 décembre 1886, p. 1.
  • Sacher-Masoch, Leopold von : Souvenirs. In : Le Gaulois, 28 août 1887, p. 3.
  • Sacher-Masoch, Leopold von : Choses vécues. In : La Revue bleue, 4 février 1888, p. 144-149.
  • Sacher-Masoch, Leopold von : L’Esthétique de la laideur suivi de Diderot à Petersbourg. Trad. Georges-Paul Villa. Paris : Buchet-Chastel 1967.
  • Sacher-Masoch, Leopold von : La madone à la fourrure. Marzella ou le conte du bonheur. Trad. Vianney Piveteau. Paris : Epel 2011.
  • Sacher-Masoch, Leopold von : Femmes slaves, dix nouvelles. Préfacé et annoté par Olivier Cariguel. Paris : Pocket 2013.
  • Stern, Leopold : Sacher-Masoch ou l’Amour de la souffrance. Paris : Grasset 1933.
  • Tissot, Victor : Vienne et la vie viennoise. Paris : E. Dentu 1878.
  • Voivenel, Paul : À propos de Sacher-Masoch, les Allemands et le Marquis de Sade. Paris : Progrès médical 1917.

Littérature secondaire

  • Cagneau, Irène : Les traductions françaises de Leopold von Sacher-Masoch : du réseau d’importation académique à la nébuleuse masochiste. In : Irène Cagneau, Sylvie Grimm-Hamen, Marc Lacheny (dir.) : Les traducteurs, passeurs culturels entre la France et l’Autriche. Berlin : Frank & Timme, 2020, p. 103-125.
  • Michel, Bernard : Sacher-Masoch (1836-1895). Paris : R. Laffont 1989.
  • Michel, Bernard : Leopold von Sacher-Masoch und Frankreich. In : Marion Kobelt-Groch, Michael Salewski (dir.) : Leopold von Sacher-Masoch. Ein Wegbereiter des 20. Jahrhunderts. Hildesheim, Zurich, New York : G. Olms 2010, p. 75-89.
  • Michel, Pierre : Leopold von Sacher-Masoch. In : Dictionnaire Octave Mirbeau. s.d. URL : https://mirbeau.asso.fr/dicomirbeau/index.php?option=com_glossary&id=129 (consulté le 6 septembre 2024).
  • Piveteau, Vianney : Einige Fragen zu den französischen Ausgaben von Sacher-Masochs Werk. In : Marion Kobelt-Groch, Michael Salewski (dir.) : Leopold von Sacher-Masoch. Ein Wegbereiter des 20. Jahrhunderts. Hildesheim, Zurich, New York : G. Olms 2010, p. 90-100.
  • Samuel, Lara : « Je vais faire de vous mon jouet ». Das Erotische bei Leopold von Sacher-Masoch und seine Rezeption in Frankreich. Diplomarbeit unter der Betreuung von Norbert Bachleitner. Universität Wien 2008. URL : https://services.phaidra.univie.ac.at/api/object/o:1252242/get (consulté le 6 septembre 2024).

Auteur

Irène Cagneau

Mise en ligne : 03/10/2024

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