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Parmi les travaux de recherche, il faut citer en particulier, outre Jean-Yves Masson (''Hofmannsthal, renoncement et métamorphose'', Lagrasse, Verdier 2000), les ouvrages de [[Jacques Le Rider]] (''Hugo von Hofmannsthal. Historicisme et modernité'', Paris, PUF 1995) et de Pierre-André Huré (''Savons-nous lire Hofmannsthal ? La Lettre de Lord Chandos cent ans après'', Paris, Klincksieck 2004), ainsi que la thèse de doctorat (non publiée) d’Audrey Giboux, ''Hugo von Hofmannsthal et la littérature française classique : enjeux d’une réception créatrice'', sous la direction de Jean-Yves Masson, Université Paris-Sorbonne, 2010.
Parmi les travaux de recherche, il faut citer en particulier, outre Jean-Yves Masson (''Hofmannsthal, renoncement et métamorphose'', Lagrasse, Verdier 2000), les ouvrages de [[Jacques Le Rider]] (''Hugo von Hofmannsthal. Historicisme et modernité'', Paris, PUF 1995) et de Pierre-André Huré (''Savons-nous lire Hofmannsthal ? La Lettre de Lord Chandos cent ans après'', Paris, Klincksieck 2004), ainsi que la thèse de doctorat (non publiée) d’Audrey Giboux, ''Hugo von Hofmannsthal et la littérature française classique : enjeux d’une réception créatrice'', sous la direction de Jean-Yves Masson, Université Paris-Sorbonne, 2010.
==Références et liens externes==
<references />


==Bibliographie==
==Bibliographie==
===Littérature primaire===
===Littérature primaire===
*Hofmannsthal, Hugo von : Gesammelte Werke in zehn Einzelbänden. Éd. : Bernd Schoeller. Frankfurt/Main: Fischer Verlag 1979–1980.
*Hofmannsthal, Hugo von : Gesammelte Werke in zehn Einzelbänden. Éd. : Bernd Schoeller. Frankfurt/Main : Fischer Verlag 1979–1980.
*Hofmannsthal, Hugo von : Sämtliche Werke. Kritische Ausgabe in 40 Bänden. Éd. : Rudolf Hirsch [et al]. Frankfurt/Main: S. Fischer 1975–2022.
*Hofmannsthal, Hugo von : Sämtliche Werke. Kritische Ausgabe in 40 Bänden. Éd. : Rudolf Hirsch [et al]. Frankfurt/Main : S. Fischer 1975–2022.
*Hofmannsthal, Hugo von : Briefe I (1890–1901). Berlin: Fischer 1935.
*Hofmannsthal, Hugo von : Briefe I (1890–1901). Berlin : Fischer 1935.
*Hofmannsthal, Hugo von : Briefe II (1900–1909) Wien: Bermann-Fischer 1937.
*Hofmannsthal, Hugo von : Briefe II (1900–1909) Vienne: Bermann-Fischer 1937.
===Littérature secondaire===
===Littérature secondaire===
*Austriaca 37 (1993) (Thema: „Modernité de Hofmannsthal“, mit Beiträgen von R. Bauer, J. Le Rider, J.-Y. Masson, G. Stieg, G. Ravy u.a.)
*Austriaca 37 (1993) (Sujet: „Modernité de Hofmannsthal“, avec des contributions de R. Bauer, J. Le Rider, J.-Y. Masson, G. Stieg, G. Ravy et al.)
*Hofmannsthal-Forschungen, vol. 9 (Thema: „Hofmannsthal und Frankreich“, mit Beiträgen von C. David, F. Derré, J.-M. Valentin, U. Weisstein, G. Ravy, D. Iehl, P. Por, A. Corbineau-Hoffmann, F. Claudon, J. Body, S. Bogosavljević, J. Stoupy) (1987).
*Hofmannsthal-Forschungen, vol. 9 (Sujet: „Hofmannsthal und Frankreich“, avec des contributions de C. David, F. Derré, J.-M. Valentin, U. Weisstein, G. Ravy, D. Iehl, P. Por, A. Corbineau-Hoffmann, F. Claudon, J. Body, S. Bogosavljević, J. Stoupy) (1987).
*Hofmannsthal Handbuch. Leben – Werk – Wirkung. Éd. : Mathias Mayer et Julian Werlitz. Stuttgart, Weimar : Metzler 2016.
*Hofmannsthal Handbuch. Leben – Werk – Wirkung. Éd. : Mathias Mayer et Julian Werlitz. Stuttgart, Weimar : Metzler 2016.
*Arlaud, Sylvie : Hofmannsthal’s Return to Molière, 1909-23 : The Conditions of Reception. In : Austrian Studies 13 (2005), p. 55–76.
*Arlaud, Sylvie : Hofmannsthal’s Return to Molière, 1909-23 : The Conditions of Reception. In : Austrian Studies 13 (2005), p. 55–76.
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*Curtius, Ernst Robert : Hofmannsthal und die Romanität. In : Kritische Essays zur europäischen Literatur. Bern, München : Francke 1963, p. 122–127.
*Curtius, Ernst Robert : Hofmannsthal und die Romanität. In : Kritische Essays zur europäischen Literatur. Bern, München : Francke 1963, p. 122–127.
*David, Claude : Hofmannsthal als Leser des französischen Schrifttums. In : Hofmannsthal-Forschungen, vol. 9 (1987), p. 9–18.
*David, Claude : Hofmannsthal als Leser des französischen Schrifttums. In : Hofmannsthal-Forschungen, vol. 9 (1987), p. 9–18.
*Foldenauer, Karl : Hugo von Hofmannsthal und die französische Literatur des 19. und 20. Jahrhunderts. Univ. Diss., Eberhard-Karls-Universität Tübingen 1958.
*Foldenauer, Karl : Hugo von Hofmannsthal und die französische Literatur des 19. und 20. Jahrhunderts. Thèse de doctorat, Eberhard-Karls-Universität Tübingen 1958.
*Hellmann, Friedrich Wilhelm : Hofmannsthal und Frankreich: die Bedeutung Frankreichs für Hofmannsthals Wendung zum Sozialen. Univ. Diss., Albert-Ludwigs-Universität Freiburg i. Br. 1959.
*Giboux, Audrey : Hugo von Hofmannsthal et la littérature française classique : enjeux d'une réception créatrice, thèse de doctorat sous la direction de Jean-Yves Masson, Université Paris-Sorbonne, 2010.
*Hellmann, Friedrich Wilhelm : Hofmannsthal und Frankreich: die Bedeutung Frankreichs für Hofmannsthals Wendung zum Sozialen. Thèse de doctorat, Albert-Ludwigs-Universität Freiburg i. Br. 1959.
*Hirsch, Rudolf : Hofmannsthal und Frankreich. Zwei Beiträge. In : Beiträge zum Verständnis Hugo von Hofmannsthals. Frankfurt/Main: Fischer 1995, p. 304–315.
*Hirsch, Rudolf : Hofmannsthal und Frankreich. Zwei Beiträge. In : Beiträge zum Verständnis Hugo von Hofmannsthals. Frankfurt/Main: Fischer 1995, p. 304–315.
*Huré, Pierre-Antoine : Savons-nous lire Hofmannsthal? La Lettre de Lord Chandos cent ans après. Paris: Klincksieck 2004.
*Huré, Pierre-Antoine : Savons-nous lire Hofmannsthal? La Lettre de Lord Chandos cent ans après. Paris: Klincksieck 2004.

Dernière version du 11 décembre 2025 à 13:20

Hugo von Hofmannsthal (Hugo Laurenz August Hofmann, 01/02/1874, Vienne, 15/07/1929, Rodaun, banlieue de Vienne), connu pour son théâtre, son œuvre lyrique, ses romans et ses nouvelles, mais aussi comme librettiste, critique de théâtre, essayiste et traducteur, est également un « passeur entre les cultures ». Il fait partie des représentants les plus importants de la modernité viennoise. De par ses lectures et ses expériences, il est familier de diverses langues et cultures étrangères, mais l’influence de la France est déterminante.

Première approche de la culture française

La relation de Hofmannsthal avec la France se distingue essentiellement par une grande proximité, par une appropriation fondée sur une sympathie naturelle et par une émulation féconde. Les liens profonds qui unissent Hofmannsthal à la France s’expliquent d’une part par une ambiance francophile, au sein de sa famille comme à Vienne, d’autre part par les excellents cours de langues dispensés à l’Akademisches Gymnasium de Vienne par Gabriel Dubray, avec qui Hofmannsthal entreprend en 1892 son premier voyage en France et à qui il dédie son essai sur les Französische Redensarten, (« tournures françaises », 1897). Dès ses années de lycée, Hofmannsthal s’intéresse à la littérature française – mais pas seulement. Voici ce qu’il écrit en 1891 dans une lettre à Hermann Bahr : « J’ai lu MM. de la Rochefoucauld, de la Bruyère, de St.-Simon, de Montaigne, de Montesquieu, de Buffon, ainsi que MM. Chamfort, Courier, Chateaubriand, Voltaire, La Mettrie, Louvet, Jean-Jacques, Diderot, Prévost, Gresset, Mably et (hélas) aussi Volney. » Ces expériences de lectures ne sont pas toutes suivies d’effets à long terme, et ce ne sont pas toujours les « grands » noms qui exercent une influence déterminante (on trouve par exemple dans Le Chevalier à la rose des traces de L’Ingénu libertin, opérette de Louis Artus[1] et Claude Terrasse[2]).

Après des études de droit assez vite interrompues, Hofmannsthal se consacre à des études de romanistique, qu’il conclut par une thèse sur L’usage de la langue chez les poètes de la Pléiade. En 1901, il abandonne son Étude sur l’évolution de Victor Hugo et ne soutient pas ce qui devait être sa thèse d’État, pourtant achevée. En dépit de quelques remarques sceptiques sur les poètes de la Pléiade (lettre de juin 1897 à Leopold von Andrian), on peut penser que c’est essentiellement son travail sur la poésie de Ronsard[3] qui détermine son goût pour les formes ‘anciennes’ telles que le sonnet. D’une manière générale, les interactions entre Hofmannsthal et la France sont repérables à tous les niveaux d’intertextualité et d’interculturalité : on constate d’abord l’appropriation de certains topoi et de certaines thématiques, puis des remarques relatives aux genres et aux dramaturgies, et, pour finir, une analyse des questions esthétiques et une réflexion sur la relation entre le poète et la société. Dans un écrit tardif, Vorrede zu St.-J. Perse « Anabasis » (1929, « Préface à ‘Anabase’ de Saint-John Perse »), il rend justice aux efforts des poètes de la Pléiade (tout comme à ceux de Mallarmé[4], entre autres), qui tentent de « renouveler l’inspiration poétique à partir de l’intérieur du langage ».

Son premier voyage en France, en 1892, est suivi de plusieurs autres, notamment à Paris. Son séjour de 1900-1901, le plus long, le marque plus durablement. Hofmannsthal profite de Paris pour fréquenter théâtres, galeries et musées (« C’est grâce aux marchands d’art et aux collections privées que je me familiarise avec des peintres que je ne connais pas encore très bien : Cézanne, Gauguin, Toulouse-Lautrec, Van Gogh », écrit-il dans une lettre à Hermann Bahr datée du 24 mars 1900) ; c’est aussi pour lui l’occasion de rencontres qui débouchent parfois sur une amitié (Anatole France[5], Maurice Maeterlinck, par exemple), parfois sur un échange épistolaire, et qui peuvent même susciter des engagements professionnels concrets, comme sa relation avec le directeur de théâtre Aurélien-Marie Lugné-Poe[6], qui lui fait découvrir le roman Poil de carotte de Jules Renard et la pièce Venise sauvée du dramaturge anglais Thomas Otway[7], ou, plus tard, sa collaboration avec les « ballets russes » de Diaghilev[8], qui trouve son aboutissement dans la Josephslegende (« Légende de Joseph »).

Réception créative

Hofmannsthal, loin de se limiter au volet de la réception des œuvres, considère d’emblée sa relation à la France comme un tremplin pour le développement de son œuvre personnelle. Dès 1891 paraissent ses articles sur Paul Bourget[9], Maurice Barrès[10] et Henri-Frédéric Amiel[11], de même qu’une nécrologie de Théodore de Banville[12] ; suit en 1893 son commentaire du Journal de Marie Bashkirtseff[13]. Les recensions qu’il consacre aux ouvrages nouvellement parus en France dans les années 1890 montrent d’une part sa volonté d’ancrer dans un lieu défini la littérature ‘moderne’ de son époque, d’autre part sa propre conception de l’approche critique, qui prend ses distances par rapport à l’appropriation des œuvres par la critique.

Son analyse des écrits de ses contemporains consiste en une série de réflexions sur la jeunesse de sa génération, avec son instabilité, sa sensibilité exacerbée et une absence de repères généralisée. Il cite Maurice Barrès : « Je suis perdu dans le vagabondage, ne sachant où trouver l’unité de ma vie », et il semble bien parler aussi de lui-même lorsque, évoquant Barrès, il passe sans transition du « il » au « nous » : « nous dont les nerfs sont tellement sensibles et la volonté si faible », nous pour qui la vie est « un enchevêtrement de phénomènes sans cohérence ».

La lecture des auteurs contemporains a sur lui moins d’impact que son exploration du symbolisme et de ses précurseurs Baudelaire, Rimbaud et Verlaine, même s’il ne nous a laissé sur ces auteurs que peu de grands écrits achevés. C’est seulement de manière indirecte – dans une critique des poèmes de Francis Vielé-Griffin[14] – que se manifeste son admiration pour la musicalité des vers de Verlaine et pour la « magie » de son « rythme indéfinissable ». Cette admiration est probablement à l’origine de certains poèmes du jeune Hofmannsthal (par exemple Vorfrühling), proches du chant (« Lied ») et de son atmosphère suggestive. Tout cela s’applique aussi à Rimbaud, et plus encore à Baudelaire : les correspondances et l’inspiration, plus nettes, s’imposent avec plus de vigueur. La manière dont Baudelaire conçoit la place du poète dans la société se retrouve chez Hofmannsthal. L’image du poète proposée par Baudelaire dans L’Albatros que « ses ailes de géant [l’] empêchent de marcher », qui boite et se traîne maladroitement sur les planches du bateau, correspond bien à cette vision de Hofmannsthal pour qui l’artiste est comparable au soutier qui en haut, sur le pont, ne fait que trébucher, « chancelant, le regard idiot » (Über Charaktere im Roman und im Drama, « Les personnages du roman et du théâtre »). Quant à la représentation baudelairienne du poète en critique (« il est impossible qu’un poète ne contienne pas un critique », L’art romantique), elle trouve son parallèle dans la sensibilité et la délicatesse du critique Hofmannsthal. Il note ceci : « L’art et la critique, ces deux moitiés complémentaires de la vie dédiée à l’art. »

L’œuvre de Maurice Maeterlinck occupe une place singulière dans ses écrits. Hermann Bahr attire très tôt l’attention de Hofmannsthal sur ce poète d’origine belge que l’auteur autrichien rencontre en 1900 et avec qui il entretient par la suite une relation épistolaire. Avec sa Princesse Maleine (1890), Maeterlinck bouleverse complètement le théâtre européen. Dans les années 90, les jeunes auteurs intéressés par le théâtre ne pouvaient ignorer Maeterlinck. Son influence sur Hofmannsthal, multiple, est repérable dans l’atmosphère des pièces, la scénographie, la conception des personnages, l’intrigue, les dialogues et la thématique de la mort. Très vite, Hofmannsthal propose une traduction libre des Aveugles, pièce en un acte, centrée sur l’idée que l’homme est livré au destin. Le « tragique quotidien » de Maeterlinck trouve une forme concrète dans l’absence de perspective et d’issue à laquelle sont confrontés les personnages de Hofmannsthal (Die Frau im Fenster, Idylle, Die Hochzeit der Sobeide / « La femme à la fenêtre », « Idylle », « Le mariage de Zubayda »). Dans son théâtre, la plupart du temps, les femmes meurent ou sont assassinées (comme chez Maeterlinck). « L’idée fascinante que c’est la vie qui nous fait mourir », évoquée par Hofmannsthal dans ses Cahiers, correspond, sous une forme concentrée, à l’essence même des pièces de Maeterlinck et à l’effet produit sur ses contemporains.

Hofmannsthal n’a jamais cessé de traduire et de retravailler des œuvres littéraires (pas seulement françaises). De la pièce en un acte de Maeterlinck, Les Aveugles, aux grandes adaptations des pièces de Molière, en passant par Poil de Carotte de Jules Renard[15], il nous offre une large palette de transpositions et d’adaptations. En 1900, il traduit la comédie de Molière Le Mariage forcé (Die Heirat wider Willen), et en 1916, à partir des Fâcheux et du Misanthrope, il fabrique une pièce de son cru, Die Lästigen (« Les fâcheux ») ; de son travail sur Le Bourgeois gentilhomme et Monsieur de Pourceaugnac, on trouve des traces dans Le Chevalier à la Rose (Der Rosenkavalier) et Ariane à Naxos (Ariadne auf Naxos) ; on peut également remonter les traces du Dépit amoureux et de L’Étourdi jusqu’à Lucidor et Arabella. Comme toujours, la singularité de ces œuvres réside dans l’appropriation créative des modèles.

Cela s’applique aussi en partie aux travaux de Hofmannsthal sur la peinture française. Les œuvres picturales représentent souvent une incitation très concrète, à peine identifiable dans leur mise en œuvre littéraire (pensons au rôle du Coucher de la mariée, de Pierre-Antoine Baudouin[16], dans l’écriture du Chevalier à la Rose), et il arrive que le contact avec la peinture soit le déclencheur d’une réflexion de fond sur des questions d’ordre esthétique (on pense par exemple à la rencontre avec les tableaux de Van Gogh dans les Briefe des Zurückgekehrten / « Lettres du retour »).

Après 1900, le nombre de travaux approfondis consacrés à des écrivains français diminue – si l’on excepte Victor Hugo, Balzac et Molière.

Dès le lycée, Hofmannsthal s’intéresse à Victor Hugo, et c’est avec sa thèse d’habilitation, Studie über die Entwicklung des Dichters Victor Hugo (« Étude sur l’évolution du poète Victor Hugo ») qu’il nous livre l’analyse la plus complète de son œuvre. À première vue, ce travail surprend, car Victor Hugo n’offre guère de parenté avec Hofmannsthal. En fait, dans cette étude, ce sont surtout certains aspects de la vie et de l’œuvre de l’écrivain français qui retiennent l’intérêt du jeune homme, en dépit de toutes leurs différences.[17] C’est ainsi que la longue vie de Victor Hugo, « dieu de l’Olympe » (Carnets), permet, mieux que bien des biographies, de s’interroger sur la relation qu’un écrivain entretient avec son époque. De plus, l’œuvre considérable du poète national français est pour un écrivain cosmopolite comme Hofmannsthal l’occasion de se rapprocher encore davantage de la littérature et de la culture françaises. Mais incontestablement, le lien qui unit les deux écrivains, c’est l’importance accordée au verbe. Le travail consacré à Victor Hugo représente donc une étape importante dans la difficile quête du poète à la recherche d’une esthétique qui lui soit propre.

Les mêmes considérations s’appliquent au travail de Hofmannsthal sur Balzac, qui s’étend sur des années et trouve entre autres son aboutissement dans trois textes particuliers : d’abord un texte de fiction, datant de 1902, Gespräch zwischen Balzac und Hammer-Purgstall in einem Döblinger Garten im Jahre 1842, in : Über Charakter im Roman und im Drama, op. cit. (« Conversation entre Balzac et Hammer-Purgstall dans un jardin de Döbling en 1842 ») ; ensuite un commentaire de Das Mädchen mit den Goldaugen, 1905, (La fille aux yeux d’or) ; enfin, l’introduction « Balzac » pour une édition allemande de La Comédie humaine (1908). Jamais, écrit-il, un volume isolé de l’œuvre de Balzac ne permettra de dégager l’essence de sa vis poetica, car elle est présente, sous une forme diffuse, dans l’ensemble de ses romans et de ses nouvelles. Et dans la mesure où sa grande œuvre a pour dessein de représenter le monde de son temps dans sa diversité et dans sa pluralité, il (Balzac) est condamné à écrire des romans, et non pas des pièces de théâtre – ce que regrette Hammer-Purgstall[18]. Ce n’est pas un hasard si le travail consacré à Balzac correspond à une phase durant laquelle Hofmannsthal s’efforce de s’intéresser au « social » et si, grâce à ce détour par Balzac, il trouve une forme, la sienne, celle d’une « nouvelle » comédie comme expression d’une « dimension sociale enfin réalisée ».

Dans cette quête, il est aussi accompagné par un autre Français d’envergure, Molière, auquel il s’intéresse particulièrement entre 1909 et 1923.[19] Il voit en lui d’une part un sommet de la compétence et de l’habileté en termes de technique dramatique, d’autre part une incarnation de la compréhension du « social », la faculté de « comprendre les hommes comme on le fait non pas avec sa seule intelligence, mais avec la totalité de son être, avec ses tripes » (Worte zum Gedächtnis Molières / « Paroles en souvenir de Molière »). Entre les traductions proprement dites et les adaptations (cf. plus haut), la palette est large : on identifie bien les allusions au Bourgeois gentilhomme dans l’opéra Ariane à Naxos, mais aussi, à peine détectable aujourd’hui, l’influence de Molière et de son art de la comédie dans Der Schwierige et Der Unbestechliche (« L’homme difficile » et « L’incorruptible »). L’exemple de Molière montre de manière éclatante que l’enthousiasme de Hofmannsthal pour la France, tout à fait spécifique, s’explique tout simplement par le fait que les auteurs français sont liés à leur époque et à la tradition dans laquelle ils sont ancrés.

Réception de Hofmannsthal en France

La réception de Hofmannsthal en France oscille, de son vivant, entre l’enthousiasme (Charles Du Bos[20] ou Henri Guilbeaux par exemple[21]), une aimable neutralité (André Gide ou Paul Valéry[22]) et, chez plusieurs critiques, l’incompréhension ou le refus (ce dont les mauvaises traductions sont en partie responsables). Plus récemment, c’est surtout grâce à Pierre Deshusses[23] et à Jean-Yves Masson que nous avons accès, en traduction française, aux œuvres les plus importantes de Hofmannsthal. Deshusses a publié plusieurs textes chez Payot & Rivages, notamment la Lettre de Lord Chandos, avec une préface de Claudio Magris[24] (2000), ainsi que de la prose sous le titre Chemins et rencontres (2002) et les lettres de Hofmannsthal à Rilke, sous le titre Lettres à Rilke (2004) ; Masson a joué un rôle majeur dans la réception de Hofmannsthal en France, d’une part en tant que traducteur (La Femme sans ombre, 1997, Le Livre des amis, 2015, Gestern / Hier, édition bilingue, 2023, L’Aventurier et la cantatrice, 2025), d’autre part en tant qu’éditeur (Œuvres en prose et Jedermann, l’un et l’autre en 2010), et aussi en tant que chercheur.

Sur les scènes françaises, Hofmannsthal est surtout présent comme librettiste des opéras de Richard Strauss : Le Chevalier à la rose, Électre, Ariane à Naxos, La Femme sans ombre sont régulièrement représentés, et les Archives du Spectacle[25] signalent sur leur plateforme internet 65 productions entre 1957 et 2024. Quant au théâtre, on note au cours des trente dernières années (depuis 1992) plusieurs représentations d’Électre, ainsi que les représentations mémorables de L’Homme difficile (Der Schwierige, mise en scène de Jacques Lassalle, Théâtre de la Colline, 1996) et de L’Incorruptible (Der Unbestechliche, Philippe Adrien, Comédie-Française, 1999), les deux œuvres dans une traduction de Jean-Yves Masson. La seconde a été retenue pour le programme de l’agrégation de Lettres modernes, choix d’importance pour la diffusion de l’œuvre dans l’espace scolaire : en 2008 et 2009, L’Incorruptible s’est trouvé ainsi dans un programme de Littérature comparée intitulé « La misanthropie au théâtre » en compagnie de Ménandre (Le Bourru), Molière (Le Misanthrope) et Shakespeare (Timon d’Athènes).

Parmi les travaux de recherche, il faut citer en particulier, outre Jean-Yves Masson (Hofmannsthal, renoncement et métamorphose, Lagrasse, Verdier 2000), les ouvrages de Jacques Le Rider (Hugo von Hofmannsthal. Historicisme et modernité, Paris, PUF 1995) et de Pierre-André Huré (Savons-nous lire Hofmannsthal ? La Lettre de Lord Chandos cent ans après, Paris, Klincksieck 2004), ainsi que la thèse de doctorat (non publiée) d’Audrey Giboux, Hugo von Hofmannsthal et la littérature française classique : enjeux d’une réception créatrice, sous la direction de Jean-Yves Masson, Université Paris-Sorbonne, 2010.

Références et liens externes

Bibliographie

Littérature primaire

  • Hofmannsthal, Hugo von : Gesammelte Werke in zehn Einzelbänden. Éd. : Bernd Schoeller. Frankfurt/Main : Fischer Verlag 1979–1980.
  • Hofmannsthal, Hugo von : Sämtliche Werke. Kritische Ausgabe in 40 Bänden. Éd. : Rudolf Hirsch [et al]. Frankfurt/Main : S. Fischer 1975–2022.
  • Hofmannsthal, Hugo von : Briefe I (1890–1901). Berlin : Fischer 1935.
  • Hofmannsthal, Hugo von : Briefe II (1900–1909) Vienne: Bermann-Fischer 1937.

Littérature secondaire

  • Austriaca 37 (1993) (Sujet: „Modernité de Hofmannsthal“, avec des contributions de R. Bauer, J. Le Rider, J.-Y. Masson, G. Stieg, G. Ravy et al.)
  • Hofmannsthal-Forschungen, vol. 9 (Sujet: „Hofmannsthal und Frankreich“, avec des contributions de C. David, F. Derré, J.-M. Valentin, U. Weisstein, G. Ravy, D. Iehl, P. Por, A. Corbineau-Hoffmann, F. Claudon, J. Body, S. Bogosavljević, J. Stoupy) (1987).
  • Hofmannsthal Handbuch. Leben – Werk – Wirkung. Éd. : Mathias Mayer et Julian Werlitz. Stuttgart, Weimar : Metzler 2016.
  • Arlaud, Sylvie : Hofmannsthal’s Return to Molière, 1909-23 : The Conditions of Reception. In : Austrian Studies 13 (2005), p. 55–76.
  • Bolterauer, Alice : Selbstvorstellung. Die literarische Selbstreflexion der Wiener Moderne. Freiburg i.Br. : Rombach 2003.
  • Curtius, Ernst Robert : Hofmannsthal und die Romanität. In : Kritische Essays zur europäischen Literatur. Bern, München : Francke 1963, p. 122–127.
  • David, Claude : Hofmannsthal als Leser des französischen Schrifttums. In : Hofmannsthal-Forschungen, vol. 9 (1987), p. 9–18.
  • Foldenauer, Karl : Hugo von Hofmannsthal und die französische Literatur des 19. und 20. Jahrhunderts. Thèse de doctorat, Eberhard-Karls-Universität Tübingen 1958.
  • Giboux, Audrey : Hugo von Hofmannsthal et la littérature française classique : enjeux d'une réception créatrice, thèse de doctorat sous la direction de Jean-Yves Masson, Université Paris-Sorbonne, 2010.
  • Hellmann, Friedrich Wilhelm : Hofmannsthal und Frankreich: die Bedeutung Frankreichs für Hofmannsthals Wendung zum Sozialen. Thèse de doctorat, Albert-Ludwigs-Universität Freiburg i. Br. 1959.
  • Hirsch, Rudolf : Hofmannsthal und Frankreich. Zwei Beiträge. In : Beiträge zum Verständnis Hugo von Hofmannsthals. Frankfurt/Main: Fischer 1995, p. 304–315.
  • Huré, Pierre-Antoine : Savons-nous lire Hofmannsthal? La Lettre de Lord Chandos cent ans après. Paris: Klincksieck 2004.
  • Krabiel, Klaus-Dieter : „La traduction… une excellente pierre de touche“? Henri Guilbeaux und seine Übertragungen von Gedichten Hugo von Hofmannsthals. In : Marion Steinbach, Dorothee Risse (Dir.): „La poésie est dans la vie“. Flânerie durch die Lyrik beiderseits des Rheins. Bonn : Romanistischer Verlag 2000, p. 207–229.
  • Le Rider, Jacques : Hugo von Hofmannsthal. Historicisme et modernité. Paris : PUF 1995.
  • Masson, Jean-Yves : Hofmannsthal, renoncement et métamorphose. Lagrasse : Verdier 2000.
  • Mayer, Mathias : Hugo von Hofmannsthal. Stuttgart, Weimar : Metzler 1993.
  • Ravy, Gilbert : Hofmannsthal und Victor Hugo. In : Hofmannsthal-Forschungen, vol. 9 (1987), p. 103–116.
  • Ravy, Gilbert : Regards sur la modernité de Hofmannsthal. In : Austriaca 37 (1993), p. 241–251.
  • Rychner, Max : Hugo von Hofmannsthal. In : Der Monat, Jg. 5, H. 51 (1952), p. 322–328.

Auteure

Alice Bolterauer (avec la participation de Marc Lacheny et de Karl Zieger)

Traduction française : Hélène Belletto-Sussel

Mise en ligne : 11/12/2025