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Sa vie professionnelle est représentative de celle des traducteurs de l’époque. Castelli naît à Vienne le 6 mars 1781. Après sa scolarité au lycée, il étudie le droit à l’université, puis devient fonctionnaire au gouvernement régional de Basse-Autriche. Incité par son ami Joseph von Seyfried, il commence à traduire quelques scènes. Sa première traduction complète d’un drame, ''Cœlina ou L’enfant du mystère'' (1800) de René-Charles Guilbert de Pixerécourt, est créée le 14 octobre 1802 au [[Theater an der Wien]] sous le titre ''Die Mühle am Arpennerfelsen''. La première œuvre que Castelli publie sous son nom, la comédie ''Tot und lebendig'' [''Mort et vivant''] (première le 29 octobre 1803 au Theater an der Wien), est également adaptée d’une source française (''Le duel impossible'' d’Alphonse Martainville, 1803). Leur succès l’encourage à se consacrer à la traduction de pièces françaises pour les théâtres de langue allemande : Castelli est l’auteur de plus de 200 œuvres dramatiques, qui sont en majeure partie des adaptations<ref>Castelli 1861, IV, 219–237 ; 230 selon Martinetz 1932</ref>. C’est avec ''Die Schweizerfamilie'', opéra composé par Joseph Weigl et créé au [[Kärntnertortheater]] le 14 mars 1809, dont il écrit le livret d’après la comédie de Charles-Augustin Sewrin et René de Chazet ''Pauvre Jacques'' (1807), que Castelli acquiert une notoriété comme traducteur. En 1811, il obtient au Kärntnertortheater un poste d’auteur dramatique qu’il conserve jusqu’en 1814. Entre 1809 et 1835, il publie les ''Dramatische Sträußchen'', qui rassemblent ses œuvres et, particulièrement, ses traductions du français. Il est aussi éditeur et collaborateur de plusieurs almanachs et revues. Sa connaissance du français lui procure différentes missions lors des deux occupations de Vienne, en 1805 et 1809. En 1815, Castelli accompagne, en tant que secrétaire, le comte Maximilian Cavriani à Paris, puis à Bourg-en-Bresse (préfecture du département de l’Ain occupé par les Autrichiens) et il poursuit ses fonctions sous le baron Joachim von Münch-Bellinghausen. Ce voyage lui permet d’améliorer ses connaissances linguistiques et culturelles, mais aussi, certainement, d’accéder à des pièces de théâtre françaises. De retour à Vienne, Castelli demande à [[Giacomo Meyerbeer]] de lui envoyer les nouveautés dramatiques parisiennes<ref>Meyerbeer 1960, I, 280</ref>. Co-fondateur et membre des associations artistiques Ludlamshöhle, Concordia et Grüne Insel, il est régulièrement confronté à la censure. Collectionneur passionné, Castelli réunit une importante collection de pièces de théâtre, dont 4000 françaises, de portraits d’artistes célèbres et d’affiches de théâtre depuis 1600. Il meurt à Vienne le 5 février 1862 et repose au Cimetière central.
Sa vie professionnelle est représentative de celle des traducteurs de l’époque. Castelli naît à Vienne le 6 mars 1781. Après sa scolarité au lycée, il étudie le droit à l’université, puis devient fonctionnaire au gouvernement régional de Basse-Autriche. Incité par son ami Joseph von Seyfried, il commence à traduire quelques scènes. Sa première traduction complète d’un drame, ''Cœlina ou L’enfant du mystère'' (1800) de René-Charles Guilbert de Pixerécourt, est créée le 14 octobre 1802 au [[Theater an der Wien]] sous le titre ''Die Mühle am Arpennerfelsen''. La première œuvre que Castelli publie sous son nom, la comédie ''Tot und lebendig'' [''Mort et vivant''] (première le 29 octobre 1803 au Theater an der Wien), est également adaptée d’une source française (''Le duel impossible'' d’Alphonse Martainville, 1803). Leur succès l’encourage à se consacrer à la traduction de pièces françaises pour les théâtres de langue allemande : Castelli est l’auteur de plus de 200 œuvres dramatiques, qui sont en majeure partie des adaptations<ref>Castelli 1861, IV, 219–237 ; 230 selon Martinetz 1932</ref>. C’est avec ''Die Schweizerfamilie'', opéra composé par Joseph Weigl et créé au [[Kärntnertortheater]] le 14 mars 1809, dont il écrit le livret d’après la comédie de Charles-Augustin Sewrin et René de Chazet ''Pauvre Jacques'' (1807), que Castelli acquiert une notoriété comme traducteur. En 1811, il obtient au Kärntnertortheater un poste d’auteur dramatique qu’il conserve jusqu’en 1814. Entre 1809 et 1835, il publie les ''Dramatische Sträußchen'', qui rassemblent ses œuvres et, particulièrement, ses traductions du français. Il est aussi éditeur et collaborateur de plusieurs almanachs et revues. Sa connaissance du français lui procure différentes missions lors des deux occupations de Vienne, en 1805 et 1809. En 1815, Castelli accompagne, en tant que secrétaire, le comte Maximilian Cavriani à Paris, puis à Bourg-en-Bresse (préfecture du département de l’Ain occupé par les Autrichiens) et il poursuit ses fonctions sous le baron Joachim von Münch-Bellinghausen. Ce voyage lui permet d’améliorer ses connaissances linguistiques et culturelles, mais aussi, certainement, d’accéder à des pièces de théâtre françaises. De retour à Vienne, Castelli demande à [[Giacomo Meyerbeer]] de lui envoyer les nouveautés dramatiques parisiennes<ref>Meyerbeer 1960, I, 280</ref>. Co-fondateur et membre des associations artistiques Ludlamshöhle, Concordia et Grüne Insel, il est régulièrement confronté à la censure. Collectionneur passionné, Castelli réunit une importante collection de pièces de théâtre, dont 4000 françaises, de portraits d’artistes célèbres et d’affiches de théâtre depuis 1600. Il meurt à Vienne le 5 février 1862 et repose au Cimetière central.


Le mode de traduction de Castelli peut être qualifié d’« adaptierende Übersetzungsweise<ref>Koller 1992, 60</ref> », puisqu’il remplace les éléments spécifiques du texte de départ par d’autres tirés de la culture cible, entraînant une assimilation presque complète de l’original dans la traduction. Pour analyser ses traductions, il faut considérer le contexte social et littéraire, car les changements s’expliquent moins par des motivations personnelles que par la pratique habituelle de l’époque. De plus, le traducteur de théâtre doit prendre en compte l’horizon d’attente du public et, plus généralement, le goût littéraire dominant, particulièrement dans la Vienne de la première moitié du XIX<sup>e</sup> siècle, où le théâtre est l’un des principaux lieux de divertissements et le public l’une des instances suprêmes. Castelli a formulé à plusieurs reprises sa conception de la traduction, notamment dans sa ''Proposition d’une nouvelle méthode de traduction'' (''Vorschlag zu einer neuen Übersetzungsmethode'') : pour lui, une bonne traduction doit « traduire ce que les gens disent par ce qu’ils pensent (« das, was die Menschen sagen, mit dem, was sie denken übersetzen » : Castelli 1848, XIV, 42</ref>.
Le mode de traduction de Castelli peut être qualifié d’« adaptierende Übersetzungsweise<ref>Koller 1992, 60</ref> », puisqu’il remplace les éléments spécifiques du texte de départ par d’autres tirés de la culture cible, entraînant une assimilation presque complète de l’original dans la traduction. Pour analyser ses traductions, il faut considérer le contexte social et littéraire, car les changements s’expliquent moins par des motivations personnelles que par la pratique habituelle de l’époque. De plus, le traducteur de théâtre doit prendre en compte l’horizon d’attente du public et, plus généralement, le goût littéraire dominant, particulièrement dans la Vienne de la première moitié du XIX<sup>e</sup> siècle, où le théâtre est l’un des principaux lieux de divertissements et le public l’une des instances suprêmes. Castelli a formulé à plusieurs reprises sa conception de la traduction, notamment dans sa ''Proposition d’une nouvelle méthode de traduction'' (''Vorschlag zu einer neuen Übersetzungsmethode'') : pour lui, une bonne traduction doit « traduire ce que les gens disent par ce qu’ils pensent (« das, was die Menschen sagen, mit dem, was sie denken übersetzen<ref>Castelli 1848, XIV, 42</ref>».


Castelli a traduit des livrets d’opéra (quelques grands opéras, mais surtout des opéras-comiques et des vaudevilles) et des pièces de théâtre (drames, mélodrames, comédies, comédies-vaudevilles), dont plus de 30 d’[[Eugène Scribe]]. Sa pratique de la traduction correspond à celle en usage au XIX<sup>e</sup> siècle<ref>Tumfart 1998, 46–88 ; 2008, 106–113</ref> : le texte original est – parfois fortement – transformé, adapté au contexte du public et remanié, à l’exception des moments essentiels de l’action. Comme ses collègues autrichiens et allemands, Castelli transpose le lieu dans sa patrie ou le neutralise. Ses adaptations se déroulent la plupart du temps « dans la capitale » (« in der Hauptstadt »), dans laquelle il est aisé de reconnaître Vienne, puisque les noms de rues parisiennes sont remplacés par des équivalents viennois. Castelli substitue souvent aussi aux indications locales françaises des désignations neutres comme « campagne » (« Land ») et « province » (« Provinz ») afin que ses adaptations puissent être jouées dans des théâtres de langue allemande en dehors de l’Autriche. Les noms des personnages sont germanisés pour les rendre facilement compréhensibles au public viennois, proches de la vie réelle, mais aussi typiques. Les rapports sociaux sont également modifiés : la suppression de toute critique de la noblesse déplace l’accent sur les valeurs et représentations de la bourgeoisie ; les relations hiérarchiques entre les personnages deviennent plus amicales. La critique de certaines catégories sociales est effacée, atténuée ou neutralisée, les valeurs bourgeoises sont mises en avant et les vices de la noblesse dissimulés. Outre le contexte social, les pièces de Scribe représentent les événements politiques de l’époque. Ils sont modifiés et désamorcés dans les traductions : par exemple, dans ''Die Familie Rickeburg'' (1832, traduction de ''La Famille Riquebourg'', ou ''Le Mariage mal assorti'', 1831), Castelli transforme le personnage libéral de Riquebourg en un réactionnaire. Les attaques de Scribe contre l’Allemagne et ses habitants et, plus généralement, les mentions de nationalités sont supprimées ou neutralisées par l’adjectif « étranger » (« fremd »). Ces changements sont également dus à la censure autrichienne, qui interdisait de nommer certaines fonctions politiques et de dénigrer les nationalités et les dynasties régnantes. La culture française des personnages est remplacée par des références allemandes ou autrichiennes.
Castelli a traduit des livrets d’opéra (quelques grands opéras, mais surtout des opéras-comiques et des vaudevilles) et des pièces de théâtre (drames, mélodrames, comédies, comédies-vaudevilles), dont plus de 30 d’[[Eugène Scribe]]. Sa pratique de la traduction correspond à celle en usage au XIX<sup>e</sup> siècle<ref>Tumfart 1998, 46–88 ; 2008, 106–113</ref> : le texte original est – parfois fortement – transformé, adapté au contexte du public et remanié, à l’exception des moments essentiels de l’action. Comme ses collègues autrichiens et allemands, Castelli transpose le lieu dans sa patrie ou le neutralise. Ses adaptations se déroulent la plupart du temps « dans la capitale » (« in der Hauptstadt »), dans laquelle il est aisé de reconnaître Vienne, puisque les noms de rues parisiennes sont remplacés par des équivalents viennois. Castelli substitue souvent aussi aux indications locales françaises des désignations neutres comme « campagne » (« Land ») et « province » (« Provinz ») afin que ses adaptations puissent être jouées dans des théâtres de langue allemande en dehors de l’Autriche. Les noms des personnages sont germanisés pour les rendre facilement compréhensibles au public viennois, proches de la vie réelle, mais aussi typiques. Les rapports sociaux sont également modifiés : la suppression de toute critique de la noblesse déplace l’accent sur les valeurs et représentations de la bourgeoisie ; les relations hiérarchiques entre les personnages deviennent plus amicales. La critique de certaines catégories sociales est effacée, atténuée ou neutralisée, les valeurs bourgeoises sont mises en avant et les vices de la noblesse dissimulés. Outre le contexte social, les pièces de Scribe représentent les événements politiques de l’époque. Ils sont modifiés et désamorcés dans les traductions : par exemple, dans ''Die Familie Rickeburg'' (1832, traduction de ''La Famille Riquebourg'', ou ''Le Mariage mal assorti'', 1831), Castelli transforme le personnage libéral de Riquebourg en un réactionnaire. Les attaques de Scribe contre l’Allemagne et ses habitants et, plus généralement, les mentions de nationalités sont supprimées ou neutralisées par l’adjectif « étranger » (« fremd »). Ces changements sont également dus à la censure autrichienne, qui interdisait de nommer certaines fonctions politiques et de dénigrer les nationalités et les dynasties régnantes. La culture française des personnages est remplacée par des références allemandes ou autrichiennes.
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*Castelli, Ignaz Franz (éd.) : Dramatisches Sträußchen. Wien : Wallishausser 1809–1835.
*Castelli, Ignaz Franz (éd.) : Dramatisches Sträußchen. Wien : Wallishausser 1809–1835.
*Castelli, Ignaz Franz : Memoiren meines Lebens. Gefundenes und Empfundenes, Erlebtes und Erstrebtes. 4 vol. Wien-Prag : Kober & Markgraf 1861.
*Castelli, Ignaz Franz : Memoiren meines Lebens. Gefundenes und Empfundenes, Erlebtes und Erstrebtes. 4 vol. Wien-Prag : Kober & Markgraf 1861.
*Castelli, Ignaz Franz : Nachwort zu Fernand Cortez, oder: Die Eroberung von Mexiko. Eine große heroische Oper mit Ballett in drey Aufzügen. Nach dem Französischen von I. F. *Castelli. Die Musik ist von Herrn G. Spontini, Kapellmeister des Conservatoriums in Neapel, General-Direktor der Musik bey dem Theater Ihrer Majestät der Kaiserinn von Frankreich. Für das k. k. Hof-Operntheater. Wien : J. B. Wallishausser, 1812.
*Castelli, Ignaz Franz : Nachwort zu Fernand Cortez, oder: Die Eroberung von Mexiko. Eine große heroische Oper mit Ballett in drey Aufzügen. Nach dem Französischen von I. F.
*Castelli. Die Musik ist von Herrn G. Spontini, Kapellmeister des Conservatoriums in Neapel, General-Direktor der Musik bey dem Theater Ihrer Majestät der Kaiserinn von Frankreich. Für das k. k. Hof-Operntheater. Wien : J. B. Wallishausser, 1812.
*Castelli, Ignaz Franz : Vorschlag zu einer neuen Übersetzungsmethode. In : Sämmtliche Werke. Wien : Pichler 1848, vol. 14, p. 41–44.
*Castelli, Ignaz Franz : Vorschlag zu einer neuen Übersetzungsmethode. In : Sämmtliche Werke. Wien : Pichler 1848, vol. 14, p. 41–44.
*Meyerbeer, Giacomo : Briefwechsel und Tagebücher. Éd. par Heinz Becker. Berlin : de Gruyter 1960.
*Meyerbeer, Giacomo : Briefwechsel und Tagebücher. Éd. par Heinz Becker. Berlin : de Gruyter 1960.
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Mise en ligne : 05/06/2024
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Ignaz Franz Castelli, 1842 © ÖNB

Aujourd’hui peu connu, le poète, dramaturge et écrivain Ignaz Franz Castelli (1781–1862) fut un traducteur important de pièces de théâtre et de livrets d’opéra français, à Vienne, dans la première moitié du XIXe siècle.

Biographie

Sa vie professionnelle est représentative de celle des traducteurs de l’époque. Castelli naît à Vienne le 6 mars 1781. Après sa scolarité au lycée, il étudie le droit à l’université, puis devient fonctionnaire au gouvernement régional de Basse-Autriche. Incité par son ami Joseph von Seyfried, il commence à traduire quelques scènes. Sa première traduction complète d’un drame, Cœlina ou L’enfant du mystère (1800) de René-Charles Guilbert de Pixerécourt, est créée le 14 octobre 1802 au Theater an der Wien sous le titre Die Mühle am Arpennerfelsen. La première œuvre que Castelli publie sous son nom, la comédie Tot und lebendig [Mort et vivant] (première le 29 octobre 1803 au Theater an der Wien), est également adaptée d’une source française (Le duel impossible d’Alphonse Martainville, 1803). Leur succès l’encourage à se consacrer à la traduction de pièces françaises pour les théâtres de langue allemande : Castelli est l’auteur de plus de 200 œuvres dramatiques, qui sont en majeure partie des adaptations[1]. C’est avec Die Schweizerfamilie, opéra composé par Joseph Weigl et créé au Kärntnertortheater le 14 mars 1809, dont il écrit le livret d’après la comédie de Charles-Augustin Sewrin et René de Chazet Pauvre Jacques (1807), que Castelli acquiert une notoriété comme traducteur. En 1811, il obtient au Kärntnertortheater un poste d’auteur dramatique qu’il conserve jusqu’en 1814. Entre 1809 et 1835, il publie les Dramatische Sträußchen, qui rassemblent ses œuvres et, particulièrement, ses traductions du français. Il est aussi éditeur et collaborateur de plusieurs almanachs et revues. Sa connaissance du français lui procure différentes missions lors des deux occupations de Vienne, en 1805 et 1809. En 1815, Castelli accompagne, en tant que secrétaire, le comte Maximilian Cavriani à Paris, puis à Bourg-en-Bresse (préfecture du département de l’Ain occupé par les Autrichiens) et il poursuit ses fonctions sous le baron Joachim von Münch-Bellinghausen. Ce voyage lui permet d’améliorer ses connaissances linguistiques et culturelles, mais aussi, certainement, d’accéder à des pièces de théâtre françaises. De retour à Vienne, Castelli demande à Giacomo Meyerbeer de lui envoyer les nouveautés dramatiques parisiennes[2]. Co-fondateur et membre des associations artistiques Ludlamshöhle, Concordia et Grüne Insel, il est régulièrement confronté à la censure. Collectionneur passionné, Castelli réunit une importante collection de pièces de théâtre, dont 4000 françaises, de portraits d’artistes célèbres et d’affiches de théâtre depuis 1600. Il meurt à Vienne le 5 février 1862 et repose au Cimetière central.

Le mode de traduction de Castelli peut être qualifié d’« adaptierende Übersetzungsweise[3] », puisqu’il remplace les éléments spécifiques du texte de départ par d’autres tirés de la culture cible, entraînant une assimilation presque complète de l’original dans la traduction. Pour analyser ses traductions, il faut considérer le contexte social et littéraire, car les changements s’expliquent moins par des motivations personnelles que par la pratique habituelle de l’époque. De plus, le traducteur de théâtre doit prendre en compte l’horizon d’attente du public et, plus généralement, le goût littéraire dominant, particulièrement dans la Vienne de la première moitié du XIXe siècle, où le théâtre est l’un des principaux lieux de divertissements et le public l’une des instances suprêmes. Castelli a formulé à plusieurs reprises sa conception de la traduction, notamment dans sa Proposition d’une nouvelle méthode de traduction (Vorschlag zu einer neuen Übersetzungsmethode) : pour lui, une bonne traduction doit « traduire ce que les gens disent par ce qu’ils pensent (« das, was die Menschen sagen, mit dem, was sie denken übersetzen[4]».

Castelli a traduit des livrets d’opéra (quelques grands opéras, mais surtout des opéras-comiques et des vaudevilles) et des pièces de théâtre (drames, mélodrames, comédies, comédies-vaudevilles), dont plus de 30 d’Eugène Scribe. Sa pratique de la traduction correspond à celle en usage au XIXe siècle[5] : le texte original est – parfois fortement – transformé, adapté au contexte du public et remanié, à l’exception des moments essentiels de l’action. Comme ses collègues autrichiens et allemands, Castelli transpose le lieu dans sa patrie ou le neutralise. Ses adaptations se déroulent la plupart du temps « dans la capitale » (« in der Hauptstadt »), dans laquelle il est aisé de reconnaître Vienne, puisque les noms de rues parisiennes sont remplacés par des équivalents viennois. Castelli substitue souvent aussi aux indications locales françaises des désignations neutres comme « campagne » (« Land ») et « province » (« Provinz ») afin que ses adaptations puissent être jouées dans des théâtres de langue allemande en dehors de l’Autriche. Les noms des personnages sont germanisés pour les rendre facilement compréhensibles au public viennois, proches de la vie réelle, mais aussi typiques. Les rapports sociaux sont également modifiés : la suppression de toute critique de la noblesse déplace l’accent sur les valeurs et représentations de la bourgeoisie ; les relations hiérarchiques entre les personnages deviennent plus amicales. La critique de certaines catégories sociales est effacée, atténuée ou neutralisée, les valeurs bourgeoises sont mises en avant et les vices de la noblesse dissimulés. Outre le contexte social, les pièces de Scribe représentent les événements politiques de l’époque. Ils sont modifiés et désamorcés dans les traductions : par exemple, dans Die Familie Rickeburg (1832, traduction de La Famille Riquebourg, ou Le Mariage mal assorti, 1831), Castelli transforme le personnage libéral de Riquebourg en un réactionnaire. Les attaques de Scribe contre l’Allemagne et ses habitants et, plus généralement, les mentions de nationalités sont supprimées ou neutralisées par l’adjectif « étranger » (« fremd »). Ces changements sont également dus à la censure autrichienne, qui interdisait de nommer certaines fonctions politiques et de dénigrer les nationalités et les dynasties régnantes. La culture française des personnages est remplacée par des références allemandes ou autrichiennes.

La langue naturelle et simple, proche du style parlé, des pièces de Scribe est agrémentée de nouveaux éléments stylistiques et culturels. Les vifs dialogues sont souvent remplacés par un monologue exprimant les sentiments et problèmes du protagoniste. Il en résulte, comme des descriptions, un ralentissement du rythme de l’action. Un autre type d’ajout est l’introduction d’une nuance érotique : dans les traductions, les personnages deviennent, dans le respect des règles de la censure, plus audacieux et passionnés. Castelli élève par ailleurs le style en insérant des références culturelles, des sentences et des proverbes. Des jeux de mots rimant entre eux sont greffés pour produire un effet particulier.

Le déroulement de l’action reste proche de l’original. En revanche, les parties chantées (vaudevilles), présentes dans de nombreuses scènes, sont soit rendues en prose, soit supprimées, a fortiori quand elles contiennent une critique de l’époque ou renvoient à des événements parisiens contemporains.

Enfin, Castelli développe les didascalies pour intensifier la gestuelle et les mimiques des personnages, ce qui, combiné au nouveau style, produit une amplification générale des affects (ainsi dans Gabriele [1823], traduction de Valérie [1822], de Scribe et Mélesville[6], ou Yelva, oder: Die russische Waisen [1830], d’après Yelva, ou L’Orpheline russe [1828], de Scribe, Devilleneuve et Desvergers). L’effet touchant concerne non seulement les personnages sur scène, mais aussi le public, dont il satisfait l’attente émotionnelle. Grâce à ses traductions et adaptations, présentes durant plusieurs décennies sur les scènes viennoises, Ignaz Franz Castelli a contribué à diffuser en Autriche le répertoire parisien de son époque.

Références et liens externes

  1. Castelli 1861, IV, 219–237 ; 230 selon Martinetz 1932
  2. Meyerbeer 1960, I, 280
  3. Koller 1992, 60
  4. Castelli 1848, XIV, 42
  5. Tumfart 1998, 46–88 ; 2008, 106–113
  6. https://rism.online/people/30036712

Bibliographie

Littérature primaire

  • Castelli, Ignaz Franz : Catalogue des pièces dramatiques françaises dans sa collection a. 1818. Österreichische Nationalbibliothek, Sammlung von Handschriften und alten Drucken, Cod. 15399.
  • Castelli, Ignaz Franz (éd.) : Dramatisches Sträußchen. Wien : Wallishausser 1809–1835.
  • Castelli, Ignaz Franz : Memoiren meines Lebens. Gefundenes und Empfundenes, Erlebtes und Erstrebtes. 4 vol. Wien-Prag : Kober & Markgraf 1861.
  • Castelli, Ignaz Franz : Nachwort zu Fernand Cortez, oder: Die Eroberung von Mexiko. Eine große heroische Oper mit Ballett in drey Aufzügen. Nach dem Französischen von I. F.
  • Castelli. Die Musik ist von Herrn G. Spontini, Kapellmeister des Conservatoriums in Neapel, General-Direktor der Musik bey dem Theater Ihrer Majestät der Kaiserinn von Frankreich. Für das k. k. Hof-Operntheater. Wien : J. B. Wallishausser, 1812.
  • Castelli, Ignaz Franz : Vorschlag zu einer neuen Übersetzungsmethode. In : Sämmtliche Werke. Wien : Pichler 1848, vol. 14, p. 41–44.
  • Meyerbeer, Giacomo : Briefwechsel und Tagebücher. Éd. par Heinz Becker. Berlin : de Gruyter 1960.

Littérature secondaire

  • Koller, Werner : Einführung in die Übersetzungswissenschaft. Heidelberg, Wiesbaden : Quelle und Meyer 1992.
  • Martinetz, Walter : Ignaz Franz Castelli als Dramatiker. Diss. Wien 1932.
  • Platelle, Fanny : L’image de la France dans les Memoiren meines Lebens (1861) d’Ignaz Franz Castelli. In Marc Lacheny, Maria Piok, Sigurd Paul Scheichl, Karl Zieger (dir.) : Französische Österreichbilder – Österreichische Frankreichbilder. Berlin : Frank & Timme 2021, p. 121–140.
  • Schneider, Herbert : Ignaz Franz Castelli als Übersetzer und Librettist. In : Pierre Béhar, Herbert Schneider (dir.) : Österreichische Oper oder Oper in Österreich? Die Librettoproblematik. Hildesheim : Olms 2005, p. 157–203.
  • Tumfart, Barbara : „… aus fremden Gärten in unseren deutschen Boden von mir verpflanzt“. Ignaz Franz Castelli als Übersetzer französischer Theaterstücke. In : Bernd Kortländer, Hans T. Siepe (dir.) : Übersetzen im Vormärz. Bielefeld : Aisthesis 2008 (Forum Vormärz Forschung, Jahrbuch 2007, 13. Jg.), p. 85–116.
  • Tumfart, Barbara : Ignaz Franz Castelli als Übersetzer französischer Theaterstücke. Ein Beitrag zum österreichischen Übersetzungswesen im 19. Jahrhundert. Diplomarbeit Wien 1996.

Auteur

Fanny Platelle

Mise en ligne : 05/06/2024